Editorial. Savoirs et littérature: état des lieux dans le monde germanophone

Ce 15e numéro d’Epistémocritique a pour objectif de présenter la recherche sur « Littérature et savoir(s) » dans les pays germanophones[1]. Le rythme des publications  ainsi que la parution de plusieurs manuels témoignent de la vitalité de ce champ de recherche[2] ; pour autant, celui-ci n’est pas homogène, au contraire : une variété d’approches et de positions différentes s’y sont développées, donnant lieu à des controverses parfois très vives[3]. Celles-ci touchent notamment à la définition de notions complexes comme celles de savoir (vs science) ou de vérité (de la fiction) ou encore au type de relations existant entre littérature et savoirs (influence, circulation, co-évolution, etc.). Les points litigieux concernent également les rapports entre théorie de la connaissance (Erkenntnistheorie) et histoire du savoir (Wissensgeschichte), entre littérature, théorie scientifique et sociologie de la connaissance[4].
 
1. Tentatives pour structurer le champ de recherche
Pour mettre un peu d’ordre dans ces différentes approches et positions, Nicolas Pethes a établi dès 2003 un rapport de recherche très instructif sur les relations entre histoire littéraire et histoire des sciences[5]. D’autres modèles et schémas classificateurs ont été proposés depuis[6] mais nous pouvons commencer par les analyses de Pethes qui clarifient utilement les relations entre ces deux domaines. Pethes distingue précisément trois ensembles de recherche. Les premiers s’intéressent à l’influence de la science sur la littérature. Pethes range dans ce premier groupe les recherches qui ont pour objet les romans écrits par des auteurs ayant eux-mêmes une formation scientifique, comme Goethe ou, plus tard, Musil, Alfred Döblin ou encore Céline. Certains de ces textes mettent en jeu une relation explicite avec la réalité référentielle, notamment lorsqu’un scientifique ou un chercheur en est le personnage principal – on pense évidemment à Faust. D’autres textes encore font de certains résultats ou théories scientifiques le thème d’une élaboration littéraire : on peut citer par exemple les probabilités pour le roman du XVIIIe siècle, la psychanalyse de Freud pour la littérature du XXe siècle ou encore la théorie des affinités chimiques pour Goethe. On retrouve également dans de nombreux romans l’impact des grands changements de paradigmes apportés par exemple par Newton, Darwin, Einstein ou Heisenberg. Dans cette perspective, un dernier groupe de textes important est évidemment la science-fiction, genre par excellence du dialogue entre science et littérature, dans lequel un imaginaire scientifique, éventuellement nourri par des recherches récentes, irrigue littéralement l’écriture[7].
 
Une seconde approche considère à l’inverse l’influence exercée par la littérature sur la science. Pethes cite comme exemple de fonctionnalisation de l’écriture littéraire dans le domaine scientifique les « récits de cas » (Fallgeschichten) de Carl Philipp Moritz, soulignant par la même occasion l’importance des grands romans du XXe siècle, comme L’homme sans qualités de Musil, pour penser la physique du XXe siècle[8]. Dans la même veine, à la suite notamment d’Yves Jeanneret, on a pu également interroger le projet vulgarisateur de la science en examinant le style d’écriture, les ressources structurelles et la tradition esthétique de ces écrits[9]. Reprenant les intuitions fécondes développées à la fin des années 1970 par Bruno Latour[10], un certain nombre d’auteurs se sont plongés au cœur même de la science la plus institutionnalisée pour analyser l’écriture scientifique et montrer le rôle qu’y jouent certaines techniques littéraires. Si dans un premier temps, ces travaux proposaient une perspective critique sur les stratégies rhétoriques mises en œuvre par les scientifiques pour justifier une position et pour faire taire les critiques, plus récemment ils ont aussi conduit à souligner l’existence d’une poétique propre de la science[11].
 
Le troisième et dernier ensemble de travaux à réfléchir aux liens entre science et littérature paraît le plus fécond. Il s’intéresse aux analogies, à l’interdiscursivité et à la coévolution du discours scientifique et du discours littéraire. Il est aussi celui qui pose le plus de difficultés théoriques, dans la mesure où il soulève le problème de la démarcation. Les approches qui le constituent tendent en effet à réduire la littérature et la science à leur seule dimension discursive. Dès lors, on peut se demander d’où provient le ‘sentiment’ ou à l’inverse la ‘force de conviction’ que suscitent ces textes au plan scientifique. En Allemagne, une réponse importante a été apportée à cette question par un courant émergent de la critique littéraire, la « poétologie du savoir » (aussi appelée Wissenspoetik), que certains considèrent même comme un nouveau « paradigme » dans le champ de recherche sur littérature et savoir[12]. La « poétologie du savoir » a été développée entre autres par le germaniste et Kulturwissenschaftler Joseph Vogl (voir sa contribution dans ce recueil[13]) dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix[14].
 
Un autre courant dominant s’est établi en contrepoint à la « poétologie du savoir », à sa conception du « savoir » et des partages structurants de la science (vrai/faux, expérimentable/non-vérifiable) : la théorie littéraire analytique (analytische Literaturwissenschaft). Cette dernière a trouvé son représentant le plus productif en la personne du germaniste et philosophe Tilmann Köppe à l’Université de Göttingen[15]. Germaniste et philosophe inspiré par les recherches de Peter Lamarque et Stein H. Olsen[16], Köppe interroge entre autres les délimitations entre texte fictionnel et texte non-fictionnel et pose la question de savoir s’il est possible d’acquérir du savoir à partir d’un texte fictionnel[17]. Katharina Lukoschek présente dans le présent volume cette approche théorique plus en détail.
 
S’inspirant de ces deux courants théoriques, Gideon Stiening a proposé en quelque sorte une voie médiane (vermittelnde Stellung), montrant clairement à partir de l’exemple de l’élégie de Goethe, La Métamorphose des plantes, que le travail d’un historien de la littérature consiste surtout  « à reconnaître, à analyser et à interpréter ce contexte du savoir dans un texte littéraire donné, comme un moment dans la mise en forme poétique des exigences épistémiques (de savoir) contemporaines »[18]. Si Stiening inscrit ainsi la wissensgeschichtliche Literaturwissenschaft (la théorie littéraire qui se consacre à l’étude historique des savoirs dans le texte littéraire) dans la tradition de l’histoire des idées et de l’histoire sociale, il est aussi proche des positions de chercheurs français qui travaillent sur la mise en texte du savoir et qui réfléchissent « d’une part, sur la production des représentations littéraires qui impliquent des savoirs, sur les structures textuelles ou les figures qui assurent la conversion et d’autre part, sur les effets de ce recours aux savoir dans les œuvres. » Pour ces chercheurs, « il s’agit donc moins d’identifier des sources que de déterminer l’impact d’une utilisation des savoirs sur la forme textuelle et le style : quels sont les dispositifs inventés, les figures de style, la poétique narrative qui assurent leur intégration et leur transformation ? »[19]
 
Pour mieux comprendre le rôle des Kulturwissenschaften/sciences de la culture dans l’implantation des recherches sur la littérature et les savoir(s) dans les pays germanophones, il faut maintenant dire quelques mots de ce que l’on a appelé le « tournant culturel » dans ces pays.
 
2. Le rôle important du tournant culturel dans les pays germanophones
Dans le monde germanophone comme dans les pays anglo-saxons, la discussion sur le rôle, l’apport et l’influence des « sciences de la culture » sur les études littéraires se situe dans un contexte de crise qui touche ces dernières et dans la recherche d’un renouveau[20]. La situation paraît très différente en France où les sciences de la culture n’ont pas « pris » au même degré ou, du moins, pas dans les mêmes termes[21]. Pour autant, cela ne signifie certes pas que la France n’a pas été touchée par le mouvement ou qu’elle n’a pas participé à ces débats : ainsi Michael Lackner et Michael Werner, dans leur travail sur le tournant culturel dans les sciences humaines, soulignent à juste titre l’existence d’un espace de débat théorique international, impliquant des chercheurs de pays où le terme n’est pas utilisé[22]. Doris Bachmann-Medick dans son livre sur les tournants culturels souligne également la différence des champs intellectuels en France et en Allemagne, et l’intrication particulièrement étroite en France entre le domaine « culturel » et les sciences sociales au sein des sciences humaines[23]. Si par ailleurs, en 2003, Anne Challard-Fillaudeau et Gérard Raulet s’interrogent sur l’absence des sciences de la culture dans la langue, mais aussi dans la conscience épistémologique française, ils soulignent néanmoins que depuis quelques années les termes « Sciences de la culture » et « tournant culturel » ont bel et bien fait leur apparition dans le paysage épistémologique français[24].
 
Si ainsi le paysage des « sciences culturelles » au sens large – par quoi j’entends les diverses approches se revendiquant du « tournant culturel » dans différents pays -, apparaît morcelé entre des traditions nationales variées, on peut néanmoins retenir un certain nombre d’éléments centraux dans ces travaux. On peut ainsi caractériser les sciences de la culture comme une stratégie de recherche et une attitude réflexive qui cherche le dialogue entre les disciplines mais qui insiste en même temps sur l’importance de la contribution de la philologie à ce débat. Si cette orientation culturaliste des études littéraires a souvent été critiquée, on peut tomber d’accord avec Peter Matussek lorsqu’il écrit qu’« une ouverture culturologique n’est pas forcément contraire à une réflexion sur les notions philologiques de base, mais bien plutôt un recours à son propre potentiel qui est souvent encore mal exploité »[25]. Les sciences de la culture constituent en ce sens une « notion heuristique et réflexive » (Such- und Reflexionsbegriff)[26] : une recherche et une réflexion sur l’objet et le but des études philologiques qui, après avoir connu un certain rétrécissement de leur champ, obéissent aujourd’hui à un mouvement de réouverture et d’élargissement grâce à leur orientation culturaliste (ou « culturologique »)[27].
 
3. Epistémocritique – une approche théorique qui traverse les frontières ?
Que peut-on dire sur les différences entre ces travaux allemands et les recherches menées en France ? Dans ce numéro d’Épistémocritique, on ne peut que mettre l’accent sur les affinités entres les uns et les autres.
 
La notion d’ « épistémocritique » a été proposée par Michel Pierssens, lorsqu’il était professeur de littérature française à l’Université de Québec à Montréal[28]. Elle s’est développée parallèlement aux États-Unis au début des années quatre-vingt, sous l’égide de la Society for Science, Literature and the Arts, regroupant des chercheurs et critiques littéraires qui s’intéressaient à la configuration des savoirs dans le texte littéraire. Le concept a été repris en France par un groupe de recherche de l’Université Paris VIII travaillant sur la littérature et la cognition, qui a ainsi largement contribué à l’émergence de l’épistémocritique dans le monde littéraire français[29]. On peut isoler plusieurs points communs entre l’épistémocritique et la poétologie du savoir, qui reflètent les étapes du tournant culturel évoqué plus haut. Au départ des deux approches, se trouve une réflexion sur l’histoire des savoirs qui se situe au carrefour d’influences comme l’analyse du discours (l’approche archéologique), l’histoire des médias, l’anthropologie culturelle et les poetics of culture ou le New historicism. Une autre référence importante pour penser le rapport entre science et littérature est la philosophie de Gilles Deleuze dont Vogl est l’un des traducteurs en allemand. L’épistémocritique s’appuie quant à elle sur les travaux de Michel Serres (M. Pierssens) ou de Bakhtine, avec son principe dialogique (L. Dahan-Gaida)[30].
 
Un autre point commun est la langue théorique, qui s’inscrit dans le tournant culturel. Cette langue est à mon sens le reflet du nouveau vocabulaire culturaliste dont parle Bachmann-Medick[31] et que Vogl évoque lorsqu’il parle d’une dimension performative et théâtrale de la représentation du savoir, autrement dit d’un type d’analyse textuelle « qui lie un objet scientifique à sa forme de représentation et qui suppose qu’une donnée épistémique implique des décisions esthétiques et inversement »[32] ; ici, les mots-clés sont « mise en scène narrative », « performance », « figure », ou plutôt, pour employer les termes de Pierssens, ces « figures épistémiques » « par lesquelles s’opère la greffe d’un savoir sur le discours ou la fiction »[33] et qui permettent de penser les transferts réciproques entre savoir et littérature[34].
 
Le troisième point concerne la portée réflexive qui caractérise les études culturelles et qui s’exprime par le poids qu’accordent Pierssens et Vogl à l’idée que la littérature est un contre-discours et une critique[35]. Pierssens l’indique dans le nom même de son approche : épistémocritique. Il souligne la fonction « critique » de la littérature qui n’est pas seulement un « conservatoire des sciences caduques » comme le propose W. Lepenies[36] ou « la traduction dans la langue des images d’un original écrit dans la pure langue des concepts », comme le disait Michel Serres[37]. La portée critique de la littérature s’explique par le fait qu’elle est, selon Pierssens, à la fois « œuvre de connaissance et entreprise de déconstruction, machine à faire croire et scepticisme dévastateur. La démarche épistémocritique veut être attentive à ces deux réalités : les savoirs y sont une référence, mais une référence toujours contestée. »[38] En cela, Pierssens revendique la leçon de Flaubert telle qu’elle s’élabore dans Bouvard et Pécuchet, laquelle interdit de réduire l’épistémocritique à une simple approche thématique qui étudierait dans les œuvres le savoir comme un motif parmi d’autres, mais invite au contraire à la considérer comme «  une manière bien spécifique d’interroger le statut heuristique de la fiction, l’inquiétude proprement poétique des écrivains dans leur rapport à la vérité »[39].
 
C’est ce statut heuristique de la fiction qui me paraît distinguer la littérature lorsqu’elle appréhende la science. Et c’est ce point qu’il faut, à mon sens, placer au centre d’une analyse des interrelations entre les deux domaines. La littérature ne fait certes pas œuvre de science lorsqu’elle développe tel ou tel savoir. Mais elle est porteuse d’une interrogation sur ce savoir qui dépasse le strict cadre littéraire et intéresse la science elle-même.
 
Les sept contributions rassemblées ici, issues de la germanistique, de la romanistique et de la littérature comparée, ont été choisies pour représenter un éventail aussi varié que possible des approches et des orientations de recherche qui se développent actuellement dans le monde germanophone : la poétologie du savoir (Joseph VOGL), la poétologie du savoir appliquée à l’histoire de la médecine (Yvonne WíœBBEN), les recherches inspirées du cognitivisme esthétique et de la critique analytique (Katharina LUKOSCHEK), les recherches s’appuyant sur la théorie des systèmes sociaux du sociologue allemand Niklas Luhmann (Thomas KLINKERT[40]), les recherches plus thématiques concernant la présence d’un domaine du savoir, comme par exemple l’histoire naturelle, dans la littérature contemporaine (Werner MICHLER), les recherches sur l’encyclopédisme[41] (Monika SCHMITZ-EMANS) et enfin, les recherches portant sur les limites du savoir, le non-savoir et la bêtise (Achim GEISENHANSLíœKE)[42].
 
 
 
 ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV
 

[1] Cet éditorial s’appuie en partie sur ma thèse : H. Haberl, Ecriture encyclopédique – écriture romanesque : représentations et critique du savoir dans le roman allemand et français de Goethe à Flaubert, (thèse de doctorat soutenue le 15/10/2010 à l’EHESS), mise en ligne sur le site du Centre Flaubert : flaubert.univ-rouen.fr/theses/haberl_these.pdf (16/12/2015).
[2] R. Borgards, et al. (dir.), Literatur und Wissen. Ein interdisziplinäres Handbuch, Stuttgart, Metzler, 2013 ; T. Köppe, (dir.), Literatur und Wissen. Theoretisch-methodische Zugänge, Berlin, Walter de Gruyter Verlag, 2011a ; R. Klausnitzer, Literatur und Wissen. Zugänge – Modelle – Analysen, Berlin.
New York, de Gruyter, 2008.
[3]Voir surtout les débats dans les revues KulturPoetik (de l’Université du Saarland) et Zeitschrift für Germanistik (de l’Université Humboldt de Berlin) en 2007: T. Köppe, « Vom Wissen in Literatur », in Zeitschrift für Germanistik, n° 17, 2007a, p. 398-410 ; R. Borgards, « Wissen und Literatur. Eine Replik auf Tilmann Köppe », in Zeitschrift für Germanistik, 17, 2007, p. 425-428 ; A. Dittrich, « Ein Lob der Bescheidenheit. Zum Konflikt zwischen Erkenntnistheorie und Wissensgeschichte », in Zeitschrift für Germanistik, 17, 2007, p. 631-637 ; T. Köppe, « Fiktionalität, Wissen, Wissenschaft », in Zeitschrift für Germanistik, 17, 2007b, p. 638-646. Avec la revue Zeitschrift für Kulturwissenschaften (publiée en Autriche avec des rédactions en Autriche, en Allemagne et en Suisse), nous avons ici trois périodiques en sciences de la culture qui abordent souvent des thématiques dans le domaine de littérature et savoirs.
[4] A. Schäfer, « Poetologie des Wissens », in R. Borgards, et al. (dir.), Literatur und Wissen. Ein interdisziplinäres Handbuch, Stuttgart, Metzler, 2013, p. 36-41 ; Vogl, J., « Robuste und idiosynkratische Theorie »,, in KulturPoetik, 7.2, 2007, p. 249-258 ; G. Stiening, « Am ‘Ungrund’ oder: Was sind und zu welchem Ende studiert man ‘Poetologien des Wissens’? » in KulturPoetik, 7.2, 2007, p. 234-248.
[5] N. Pethes, « Literatur und Wissenschaftsgeschichte. Ein Forschungsbericht », in IASL, 28, n° Heft 1, 2003, p. 181-231. Cette tripartition recoupe en partie la typologie de l’américaine Katherine Hayles – l’une des principales représentantes des « Literature and Science Studies » – en trois approches – lesquelles ne correspondent pas à trois approches complètement distinctes en pratique : approche rhétorique, conceptuelle et culturelle. L’approche conceptuelle de Hayles lie littérature et science par le biais des idées et des perspectives que celles-ci partagent. À la différence de l’approche rhétorique qui reprend le schéma de l’influence (emprunt de métaphores), l’approche conceptuelle s’inspire plutôt de l’idée de « Zeitgeist ». Hayles donne comme exemple les travaux de Michel Serres (Hermès) et son style paratactique, qui par exemple met au même niveau les textes de Molière et la théorie de l’information. La force de l’approche conceptuelle est de révéler des similitudes entre des théories et des pratiques qui de prime abord n’ont rien en commun. L’approche culturelle rejoint ce que j’ai évoqué plus haut, en ceci qu’elle aborde la science aussi bien que la littérature en tant que constructions socio-culturelles. Cf. N. Katherine Hayles, « Literature and Science », in M. Coyle et al., (dir.), Encylopedia of literature and criticism, London, Routledge, 1991, p. 1068-1081 ; Cf. aussi G. Beer, Open Fields: Science in Cultural Encounter, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 177 sq.
[6] T. Köppe, T., « Literatur und Wissen. Zur Strukturierung des Forschungsfeldes und seiner Kontroversen », in T. Köppe, (dir.), Literatur und Wissen. Theoretisch-methodische Zugänge, Berlin/New York, De Gruyter, 2011b, p. 1-28.
[7]On peut citer comme exemple en germanistique les travaux sur la science-fiction allemande de Roland Innerhofer ou l’analyse d’un roman de Gibson et Sterling par Bernhard Dotzler. Cf. R. Innerhofer, Deutsche Science-fiction 1870-1914. Rekonstruktion und Analyse der Anfänge einer Gattung, Köln, Weimar u. Wien, 1996 ; B. Dotzler, « Retrospektive Science fiction? Literarisierte Wissenschaftsgeschichte in Gibson & Sterlings Ê»The Difference Engine’», in H.v. Segeberg, (dir.), New Science und Alte Dichtung?, Berlin, 1994, p. 47-52, 47-52. Ici, il faudrait également mentionner les travaux qui analysent les rapports entre l’histoire des techniques et la littérature, comme ceux de Donna Haraway qui a formé le terme de la « technoculture » : cf. D. Haraway, Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991 ; Idem, Des singes, des cyborgs et des femmes. Réinvention de la nature, Paris, Editions Jacqueline Chambon, 2008. Cf. aussi : L. Allard et al. (dir.), Manifeste cyborg et autres essais : sciences, fictions, féminismes Paris Exils, 2007 ; ou les travaux de Birgit Wagner, qui s’est intéressée aux correspondances entre littérature et monde technique et plus concrètement à la relation homme/machine, à travers le concept de l’imaginaire technique à l’époque des avant-gardes françaises, italiennes et espagnoles. Cf. B. Wagner, Technik und Literatur im Zeitalter der Avantgarden: ein Beitrag zur Geschichte des Imaginären, München, Fink, 1996.
[8] L. Dahan-Gaida, Musil. Savoir et fiction, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1994.
[9]Cf. Y. Jeanneret, Écrire la science. Formes et enjeux de la vulgarisation, Paris, Presses universitaires de France, 1994 (voir surtout le chapitre IV « Eléments de poétique », « Créer un théâtre de la science »)
[10]Cf. B. Latour, et P. Fabbri, « La rhétorique de la science », in Actes de la recherche en sciences sociales, 13, 1977, p. 81-95 ; B. Latour, La science en action [1989], Paris, Gallimard, 1995.
[11]Cf. C. Sinding, « Literary Genres and the Construction of Knowledge in Biology: Semantic Shifts and Scientific Change », in Social Studies of Science, 26, n° 1, 1996, p. 43-70. Un exemple intéressant est la thèse de la comparatiste Frédérique Aït-Touati qui a étudié ce qu’elle appelle la « cosmopoétique » au XVIIe siècle, en soumettant des textes astronomiques à une analyse poétique. La spécificité de son approche tient au rapprochement qu’elle opère entre un corpus scientifique, qu’elle aborde avec les outils de l’analyse littéraire, et un corpus de textes littéraires dont elle met en évidence les « sources » scientifiques. Cf. F. Aït-Touati, Contes de la Lune – Essai sur la fiction et la science modernes, Gallimard, 2011 ; voir aussi F. Aït-Touati, « Littérature et science : faire histoire commune », in Ph. Chométy, J. Lamy (dirs.), Littérature et science: archéologie d’un litige (XVIe-XVIIIe siècles), Armand Colin, 2014/3 (N° 85).
[12] G. Stiening, « Ê»Und das Ganze belebt, so wie das Einzelne, sei’. Zum Verhältnis von Wissen und Literatur am Beispiel von Goethes Die Metamorphose der Pflanzen », in T. Köppe, (dir.), Literatur und Wissen. Theoretisch-methodische Zugänge, Berlin/New York, De Gruyter, 2011, p. 192-213, p. 28.
[13]Il occupe une chaire de « Literatur- und Kulturwissenschaft/Medien » à l’Université Humboldt de Berlin.
[14]La « poétologie du savoir » me paraît par certains points proche de l’« épistémocritique », notion proposée par Michel Pierssens ; voir par exemple : M. Pierssens, Savoirs à l’oeuvre. Essais d’épistémocritique, Lille, Presses universitaires de Lille, 1990 ; Idem, « Savoirs et littérature », in C. Duchet, et S. Vachon (dirs.), La recherche littéraire. Objets et méthodes, 1993, p. 427-431.
[15]Voir à propos de cette controverse Stiening, « Ê»Und das Ganze belebt, so wie das Einzelne, sei’. Zum Verhältnis von Wissen und Literatur am Beispiel von Goethes Die Metamorphose der Pflanzen », op. cit.
[16] P. Lamarque et S. H. Olsen, Truth, Fiction, and Literature. A Philosophical Perspective, Oxford, 1994.
[17] Cf. T. Köppe, « Fiktionalität, Wissen, Wissenschaft. Eine Replik auf Roland Borgards und Andreas Dittrich.  », in Zeitschrift für Germanistik; n° 3, 2007, p. 638-646.
[18] Stiening, op. cit., p. 204.
[19] G. Séginger, « Introduction », in K. Matsuzawa et G. Séginger (dir.), La mise en texte des savoirs, Presses Universitaires de Strasbourg, 2010, p. 11 ; quant à la réflexion sur les relations entre littérature et sciences du point de vue d’une histoire des savoirs et de la constitution d’un imaginaire scientifique et romanesque voir aussi : L. Andriés (dir.), La construction des savoirs. Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2009, et L. Andriés (dir.), Le partage des savoirs. XVIIIe – XIXe siècles. Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2003.
[20] Cf. D. Bachmann-Medick, Cultural Turns. Neuorientierungen in den Kulturwissenschaften ; Benthien, C. et H. R. Velten (dir.), Germanistik als Kulturwissenschaft. Einführung in neue Theoriekonzepte, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt, 2002 ; L. Musner et al. (dir.), Cultural Turn: zur Geschichte der Kulturwissenschaften, Wien, Turia und Kant, 2001 ; H. Böhme H. et al., Orientierung Kulturwissenschaft. Was sie kann, was sie will, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt, 2000.
[21] Cf. à propos de l’histoire des concepts « culture » et « civilisation » : G. Bollenbeck, Bildung und Kultur. Glanz und Elend eines deutschen Deutungsmusters, Frankfurt/Main, Leipzig, Insel Verlag, 1994.
[22] M. Lackner et M. Werner, « Der cultural trun in den Humanwissenschaften. Area Studies im Auf- oder Abwind des Kulturalismus », Werner Reimers Stiftung. Werner Reimers Konferenzen, Heft Nr. 2, 1999 ; voir également sur la discussion des changements dans les sciences humaines et sociales : M. Werner, «Neue Wege der Kulturgeschichte », in E. François et al. (dir.), Marianne – Germania. Deutsch-französischer Kulturtransfer im europäischen Kontext. Les transferts culturels France-Allemagne et leur contexte européen 1789-1914, Leipzig, 1998, pp. 737-743.
[23] D. Bachmann-Medick, Cultural Turns. Neuorientierungen in den Kulturwissenschaften, p. 33. Elle évoque comme points convergents l’intertextualité (Julia Kristeva), l’histoire des mentalités (Marc Bloch/Lucien Febvre et les Annales), les études de transfert (Michel Espagne/Michael Werner), l’histoire croisée (Michael Werner/Bénédicte Zimmermann), le champ scientifique/littéraire (Pierre Bourdieu), la mémoire/les lieux de mémoire (Pierre Nora) etc.
[24] Cf. A. Chalard-Fillaudeau et G. Raulet, « Pour une critique des Ê»sciences de la culture’ », L’Homme et la Société. Revue internationale de recherches et de synthèses en sciences sociales, 149, n° 3, 2003 ; A. Chalard-Fillaudeau (dir.), « Etudes et sciences de la culture : une résistance française ? », in Revue d’Etudes Culturelles, Dijon, Abell, 2010 ; B. Wagner, « La réticence française », in Revue d’Études Culturelles, Dijon, Abell, 2010, p. 65-70 ; A. Chalard-Fillaudeau, « Kulturwissenschaften à la française ? », in A. Allerkamp, G. Raulet, (dir.), Kulturwissenschaften in Europa – eine grenzüberschreitende Disziplin ?, Münster, Verlag Westfälisches Dampfboot, 2010 ; A. Chalard-Fillaudeau, Les études culturelles, Presses Universitaires de Vincennes, 2015.
[25] P. Matussek, « Germanistik als Medienkulturwissenschaft. Neue Perspektiven einer gar nicht so neuen Programmatik », in Dogilmunhak, Koreanische Zeitschrift für Germanistik, 90, n° 2, 2004, p. 9-31, ici p. 30.
[26] G. Bollenbeck et G. Kaiser, « Kulturwissenschaftlicher Ansätze in den Literaturwissenschaften », in F. Jaeger et J. Straub (dir.), Handbuch der Kulturwissenschaften. Paradigmen und Disziplinen, Stuttgart/Weimar, Metzler, 2004, p. 615-637, p. 617.
[27] Cf. W. Erhart (dir.), Grenzen der Germanistik: Rephilologisierung oder Erweiterung? Stuttgart, Metzler, 2004; Cf. aussi le débat ouvert en 1997 dans le Jahrbuch der Deutschen Schillergesellschaft sur l’élargissement de la germanistique et les craintes de certains devant une possible aliénation de leur objet d’étude.
[28] Voir par exemple : Pierssens, Savoirs à l’œuvre, op. cit. ; M. Pierssens, « Savoirs et littérature », in C. Duchet et S. Vachon (dir.), La recherche littéraire. Objets et méthodes, 1993, pp. 427-431.
[29] Le CRLC (Centre de Recherches sur la Littérature et la Cognition), auquel collaborait Laurence Dahan-Gaida, a longtemps été dirigé par Noëlle Batt, professeure de littérature américaine à l’université Paris VIII.
[30] Voir sur le rôle du dialogisme de Bakhtine pour l’épistémocritique Dahan-Gaida, « L’épistémocritique: problèmes et perspectives », op. cit., ici pp. 32 sq.
[31] D’après Bachmann-Medick, le tournant culturel a été caractérisé par un triple mouvement : premièrement un élargissement du champ de recherche, deuxièmement la formation de nouvelles métaphores, c’est-à-dire l’emploi d’un nouveau vocabulaire (par exemple les notions de contexte, de performance, de transfert) et troisièmement l’élaboration de nouvelles méthodes à partir de ces métaphores. Bachmann-Medick résume : « On ne peut parler d’un tournant qu’à partir du moment ou l’intérêt de la recherche « bascule » du niveau de l’objet d’un nouveau champ de recherche vers le niveau des catégories d’analyse et des concepts ; autrement dit quand il ne se contente plus de seulement établir des nouveaux objets de connaissance mais qu’il devient lui-même un nouveau moyen ou médium de connaissance. » Cf. Bachmann-Medick, Cultural Turns. Neuorientierungen in den Kulturwissenschaften, p. 26.
[32] Cf. Vogl, « Robuste und idiosynkratische Theorie », op. cit., ici p. 254.
[33] Pierssens, Savoirs à l’oeuvre, op. cit., p. 11.
[34] Une différence par rapport à une approche structuraliste, que l’on trouve par exemple dans le travail de Philippe Hamon, est le fait que les approches « culturalistes » essaient de rendre compatible une inspiration structurale avec une perspective historique qui insiste sur le contexte. Cf. Hamon, « Du savoir dans le texte ».
[35] Concernant la contre-discursivité, voir Warning, R., « Poetische Konterdiskursivität. Zum literaturwissenschaftlichen Umgang mit Foucault », Die Phantasie der Realisten, München, Fink, 1999, pp. 313-345.
[36] W. Lepenies, « Hommes de science et écrivains. Les fonctions conservatoires de la littérature », Information sur les sciences sociales, XVIII-1, 1979, p. 45-58.
[37] Michel Serres publie entre 1969 et 1980 chez Minuit une série de cinq titres dans la série Hermès : La Communication, L’Interférence, La Traduction, La Distribution et Le Passage du Nord-Ouest.
[38] Pierssens, « Savoirs et littérature », ici p. 428 ; voir aussi en allemand Pierssens, M., « Literatur und Erkenntnis », in J. Anderegg et E. A. Kunz (dir.), Kulturwissenschaften. Positionen und Perspektiven, Bielefeld, Aisthesis, 1999, p. 51-69.
[39] V. Dufief-Sanchez, «Eléments pour une épistémocritique », in V. Dufief-Sanchez (dir.), Les écrivains face au savoir, Dijon, Editions Universitaires de Dijon, 2002, p. 5-15, ici p. 7.
[40] Th. Klinkert, Epistemologische Fiktionen. Zur Interferenz von Literatur und Wissenschaft seit der Aufklärung, Berlin, New York, de Gruyter, 2010.
[41] Cf. Le travail important de A. B. Kilcher, « Mathesis » und « poiesis ». Die Enzyklopädik der Literatur 1600-2000, München, Wilhelm Fink, 2003; M. Schmitz-Emans, (dir.), ABC-Bücher. íœber Buchstaben und Alphabetisches in der Literatur, Bochum, Bachmann, 2010. M. Schmitz-Emans, K. L. Fischer, Schulz, et al., (dir.), Alphabet, Lexikographik und Enzyklopädistik: historische Konzepte und literarisch-künstlerische Verfahren Hildesheim |u.a.], Olms, 2012.
[42]Cf. M. Bies et M. Gamper (dir.), Literatur und Nicht-Wissen. Historische Konstellationen 1730-1930, Zürich, 2012 ; A. Geisenhanslüke, Dummheit und Witz. Poetologie des Nichtwissens, München, Fink, 2011 ; A. Geisenhanslüke et Rott, H. (dir.), Ignoranz. Nichtwissen, Vergessen und Missverstehen in Prozessen kultureller Transformationen, Bielefeld, transcript, 2008; C. Spoerhase et al. (dir.), Unsicheres Wissen. Skeptizismus und Wahrscheinlichkeit 1550-1850, Berlin, New York, Verlag Walter de Gruyter, 2009.
 



Poétologie du savoir

1. La lune de Kepler : position du problème
Un petit texte, rédigé en l’an 1609 à Prague : une nuit, après de longues observations astronomiques, le « je » narrateur s’endort sur son lit et fait alors le rêve suivant. Un livre récemment paru lui tombe entre les mains, dans lequel on voit un deuxième « je » narrateur surgir aussitôt et faire part de l’étrange histoire de sa vie. Après avoir grandi dans l’ancienne Islande aux côtés d’une mère versée dans les pratiques magiques, il se retrouve au Danemark au service de l’astronome Tycho Brahe. Il étudie la science astronomique, éprouve le mal du pays, retourne en Islande, rencontre par hasard sa mère qui l’emmène finalement, au clair de lune d’une nuit de printemps, à un carrefour. Après quelques formules d’invocation, des êtres singuliers, démoniaques, s’y manifestent, et l’un d’eux prend alors la parole, troisième « je » narrateur, qui se présente comme voyageur sur la lune et produit à son tour un long rapport, au sujet de ses voyages entre la terre et la lune, de la forme des êtres vivants sur la lune, de la nature des nuits et des jours lunaires et de l’apparence de la terre quand elle est vue de la lune. Mais soudain, tout le rêve, est-il écrit, s’écroule, les créatures oniriques s’évanouissent, la pluie s’abat sur la fenêtre, et le premier « je » narrateur se retrouve les yeux ouverts sur son lit.
Mais le texte ne s’arrête pas là. Car Johannes Kepler, l’auteur de cette histoire, n’a cessé jusqu’à la fin de sa vie d’annoter les trente pages de son récit, l’enrichissant par des remarques et sollicitant également le savoir astronomique de son temps : 223 remarques d’environ 70 pages qui contiennent des explications des noms, des compléments mythologiques, historiques, littéraires et autobiographiques, mais aussi des explications physiques, des calculs géométriques, des observations télescopiques et des hypothèses astronomiques[1]. La lune dont il s’agit ici est tout sauf un objet simple. Elle se présente comme un référent astronomique, comme une chose hypothétique et comme un objet de fiction littéraire. En l’occurrence, le genre de l’allégorie onirique, les idées coperniciennes, les instruments astronomiques et les connaissances mathématiques, ont, tous à leur manière, contribué à la production d’un objet de savoir qui n’entre ni dans les arts ni dans les sciences, qui ne se conçoit ni comme imaginaire ni comme empirique et qui pourtant inclut tous ces aspects en même temps. Du point de vue de la configuration actuelle des sciences, il en ressort une étrange incompétence, ou plutôt un profil de compétence qui se disperse dans les directions et les disciplines les plus hétérogènes. C’est ainsi que le Somnium de Kepler appartient à la fois à l’histoire littéraire antique et médiévale du récit de rêve et du rêve de savant, à l’histoire des sciences et des technologies des temps modernes, à l’histoire culturelle du copernicianisme, aux traditions pythagoriciennes et enfin à l’histoire des savoirs occultes. Ainsi le texte de Kepler, tout comme son objet, la lune des temps modernes, apparaissent inévitablement comme un objet-frontière instable, qui ne peut laisser intact l’ordre des choses académique contemporain.
Si l’on conçoit que l’histoire du savoir concerne non seulement l’énonciation et l’énoncé, mais aussi les modes d’énonciation, le savoir sur la lune dans le texte de Kepler requiert une méthode d’analyse de la culture qui pourrait être caractérisée comme une ‘poétologie du savoir’. La perspective ainsi ouverte est la corrélation entre l’apparition de nouveaux objets de savoir, de nouveaux domaines de connaissance, et leurs formes de présentation. Une poétologie du savoir suppose d’abord que chaque ordre de savoir développe des options de présentation déterminées, que des procédures spécifiques agissent en son sein et décident de la possibilité, de la visibilité, de la consistance et de la corrélation de ses objets. À travers ces opérations, on peut dégager la force ‘poiétique’d’une forme de savoir, qui n’est pas séparable de sa volonté de connaissance, de la façon dont elle envisage, considère et systématise son propre domaine d’objets. La lune de Kepler se manifeste comme objet de savoir moderne précisément en ceci qu’elle se compose d’éléments hétérogènes, de données empiriques, d’observations et de calculs, de fictions, de conventions génériques aussi bien que de traditions culturelles, et c’est seulement dans cette constellation qu’elle acquiert son importance historique incomparable et son statut de document du savoir copernicien[2]. Avec des constellations de cet ordre – par-delà ce cas exemplaire – on peut dégager quelques perspectives méthodiques et quelques problématiques concernant le domaine d’investigation, les niveaux d’investigation, le concept de savoir et l’organisation théorique générale d’une poétologie du savoir.
Cela signifie en premier lieu que la conception du savoir ici adoptée ne recouvre pas les limitations normatives qui se sont développées au cours d’une longue tradition occidentale. Bien que le concept de savoir dans l’Antiquité grecque comprît encore les divers domaines d’activités pratiques, techniques et poiétiques, dès les présocratiques, on peut remarquer une restriction à son usage spéculatif ; et depuis Platon et Aristote l’exclusion de la doxa, de l’opinion et de la croyance – mais aussi de la phronèsis, des connaissances pratiques et jugements privés, et de l’aisthésis, c’est-à-dire la simple perception sensorielle ”’hors du domaine de l’epistèmè, a conduit à une fusion du savoir et de la théorie de la connaissance : une limitation décisive du concept de savoir, dont les traces et les métamorphoses sont visibles jusque dans la modernité. Ainsi, on a assisté d’une part – au moins depuis Galileo Galilei– à une conjonction du savoir et de la connaissance scientifique, qui définit une activité de questionnement ‘inquisitoire’et qui s’attache aux constantes latentes de la nature, à ses lois : une configuration épistémologique qui a rendu possible l’étroite cohabitation entre savoir, scientificité et culture expérimentale. D’autre part, l’unité du savoir et de la connaissance s’est également manifestée là où l’on définissait la rationalité d’un sujet de connaissance par une activité conceptuelle et des protocoles de preuves correspondants. Ici le savoir est défini comme « tenir-pour-vrai justifié », comme croyance vraie fondée – true-justified belief qui caractérise également une ‘analyse standard’ du savoir de nos jours : le savoir y est caractérisé comme suit : premièrement, l’objet d’une proposition est cru, deuxièmement, il est vrai et troisièmement, on peut produire des raisons correctes et adéquates pour justifier la croyance à la vérité de ce qui est cru[3].
De son côté, une poétologie du savoir travaille avec un concept du savoir faiblement déterminé, qui ne coïncide pas avec la forme d’un savoir propositionnel, c’est-à-dire explicitable dans une logique de l’énoncé. C’est ainsi que les ‘objets de savoir’ n’apparaissent pas simplement comme les référents donnés et stables des énoncés, ils se présentent plutôt comme le champ de différentes procédures, dont la dynamique et les effets déterminent la forme de leurs domaines. Autant il est difficile de douter de ce que les observations astronomiques de Kepler présupposent une réalité préconstituée des phénomènes célestes, autant le ‘préconstitué’concerne aussi les thèmes, les codes et les instruments disponibles, l’infrastructure institutionnelle et sociale, sous les conditions de laquelle il a dirigé son regard vers la lune. Les objets scientifiques ou épistémiques ne présentent pas seulement une ‘nature extérieure’, ils sont plutôt le résultat de manipulations concrètes, de pratiques matérielles et symboliques, auxquelles ils doivent leur existence dans le système du savoir. C’est seulement par ce biais que s’ouvre la possibilité de préciser leur statut et leur qualité dans le processus de leur réception savante et culturelle ; et c’est seulement dans leur dimension ‘poiétique’que les objets de savoir sont mis au monde et ‘réalisés’. Dans des propositions énonciatives, les référents peuvent être représentés sans trop de difficultés, mais dans les constructions expérimentales, le plus souvent, ils ne le sont qu’au prix de beaucoup d’embarras. De ce point de vue la conception normative du savoir comme ‘opinion vraie justifiée’ ne fournit pas vraiment de solution, elle pose plutôt le problème et entraîne quelques réserves méthodologiques. C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement de prendre en considération les procédés à la fois divers et controversés qui peuvent conduire à un tenir-pour-vrai justifié ; il s’agit également de situer cette prétendue spécificité du savoir dans le milieu de son profilage historique. La question d’une histoire du savoir ne coïncide donc que partiellement avec une histoire des doctrines philosophiques ou épistémologiques au sujet de ce qui peut être su ou de ce qu’on appelle le savoir.
Il s’ensuit deux conséquences supplémentaires. D’une part, une poétologie du savoir présuppose que sa relation aux objets de l’histoire du savoir se distingue d’une relation à l’objet de type scientifique. Le rapport entre la science et l’histoire des sciences n’est ni sans problème, ni direct ; il exige une certaine prudence à l’égard d’une démarche qui considère les objets de l’histoire des sciences d’après le modèle de la relation des sciences à leurs objets. Cela ne concerne pas seulement les différents rôles joués ici ou là, par exemple, par les erreurs, les intuitions fausses ou le pur non-sens, mais également la prise en considération des sanctions et des oublis déposés par ces mêmes histoires du savoir et de la science. Dans cette perspective, il pourrait sembler opportun de ne pas confondre le passé d’une science avec la même science dans son passé[4] ; et pour une histoire du savoir élargie, cela implique un rapport à un domaine du savoir qui ne peut (plus) aujourd’hui être su de façon évidente. C’est ainsi que le système copernicien– encore chez Kepler– a pu être envisagé comme un retour à l’harmonique pythagoricienne, mais, en tant que tel, il n’a rien de commun avec ces racines que l’astronomie moderne trouve dans Copernic. D’autre part, on trace ainsi la frontière de ce qu’une explicitation propositionnelle du savoir peut tout simplement atteindre. Lors de l’apparition de la lune des temps modernes en tant qu’objet de savoir spécifique, des formes de savoir implicites, muettes, non-propositionnelles étaient aussi à l’œuvre, présentes par exemple dans les techniques artisanales (comme celles des polisseurs de lentille hollandais), dans les formes symboliques (comme la transformation du visible dans les codes de la perspective) ou dans des conventions de genre (comme la lettre du savant). On y voit un ensemble de processus matériels et symboliques de formatage qui se soustraient à l’accord sur la validité du savoir, et en tant que conditions du savoir, ne deviennent opérantes que dans la mesure où elles ne se présentent justement pas explicitement comme conditions[5].
Assurément, de telles réflexions nous engagent dans une conception élargie du ‘savoir’, qui renvoie à un champ instable et à un domaine de références faiblement structuré, et qui surtout adopte une histoire renouvelée des relations de savoir. On peut rappeler dans ce contexte comment, depuis le XIXe siècle, différentes disciplines – de l’économie politique à l’ethnologie ou la psychanalyse en passant par la sociologie – se sont préoccupées du rôle des savoirs indisponibles, de la puissance des savoirs impensés ou inconscients, de l’inclusion du non-savoir dans le savoir. En outre, avec les multiples approches des formes de pensée ‘sauvages’ ou extra-européennes, des types de savoir se sont présentés qui s’opposent aux systèmes de catégories des épistèmès occidentales tout comme aux formes de rationalité qui leurs correspondent. Cela entraîne également une précaution incitant à ne pas invoquer, par le concept de savoir, un programme logique de contrôle, mais à prendre en considération ces distinctions, ces seuils et ces frontières internes et externes où se pose constamment la question de la structure d’un savoir spécifique, de sa pertinence, de sa consistance, et de sa viabilité. C’est de là que proviennent les transformations et les changements qui ont également rendu possible la configuration actuelle du discours sur le ‘savoir’.
Cela signifie en outre que le ‘savoir’ se présente ici comme un singulier collectif, qu’il renvoie à une pluralité de formes de savoir et rend visible leurs relations réciproques : la relation entre ars et scientia, entre des formes de savoir théoriques et pratiques, implicites et explicites, quotidiennes et scientifiques, publiques et secrètes, hégémoniques et apocryphes, dont on ne peut subsumer les règles immanentes sous un format unique. On observe ainsi des drames de la transition, qui marquent à chaque fois les seuils des domaines de savoir disciplinaires, institutionnellement garantis, épistémologiquement ordonnés ou fortement formalisés. Avec ces tracés de frontières et ces failles, ces régulations normatives, ces procédures sociales et institutionnelles d’inclusion et d’exclusion, le savoir apparaît comme un champ variable, conflictuel et polémogène, dont la dimension historique ne peut être décrite ni établie selon le fil conducteur de formes spécifiques de la connaissance et de la rationalité. Cela signifie d’une part que la séparation entre la formation scientifique des théories et l’expérience préscientifique, par exemple, ne peut être simplement présupposée ; elle est plutôt elle-même mise en jeu. Et d’autre part, c’est seulement ainsi que la considération des facteurs ‘externes’ est rendue possible, et par là-même la prise en compte du rôle de la contingence historique. L’utilisation astronomique du télescope – depuis longtemps en usage dans les foires – par Galilée est ainsi tout autant déterminante dans l’histoire du savoir astronomique que son examen méticuleux et critique par le consortium des mathématiciens ecclésiastiques du Collegio Romano.
Une poétologie du savoir n’élabore donc pas une histoire des objets et des référents scientifiques, mais rend visible des modes de problématisation de ce qu’on peut appeler vérité ou connaissance. Elle ne recherche pas les approximations détournées et asymptotiques d’un horizon de réalité, elle ne s’oriente pas vers l’origine et la fondation d’un sujet connaissant. Bien plutôt, et en deuxième lieu, elle inclut une dimension poétologique qui conçoit les objets de savoir et les domaines de connaissance à travers le processus de leur construction et les formes de leur présentation. Elle suit la thèse selon laquelle chaque ordre de savoir établit et privilégie des modes de représentation déterminés, et elle s’intéresse par là-même aux règles et aux méthodes d’après lesquelles un contexte d’expression historique est établi, délimité et dicte les formes dans lesquelles il produit sa force performative. La ‘poétologie’doit être ainsi comprise comme l’étude de la composition des formes du savoir – de leur poièsis– comme l’étude de ses genres et de ses moyens d’expressions, étude qui agrandit morphologiquement le concept de genre et reconnait aussi bien dans un diagramme statistique, par exemple, que dans une carte, une liste ou un graphique, des systèmes de règles déterminés pour l’organisation des champs du savoir. Ainsi entrent en jeu, par exemple, différentes formes d’organisation, c’est-à-dire différents genres du savoir, comme on en trouve par exemple dans le modèle de l’arbre, les figures de système, l’encyclopédie ou les structures de réseau. Une poétologie du savoir procède ainsi inductivement et inclut à la fois des modes de représentation textuels et picturaux, discursifs et non-discursifs, techniques et médiatiques. Le concept de genre ou d’espèce est ainsi compris en un sens élémentaire et met l’accent sur les différenciations et les méthodes par lesquelles les objets de savoir fondent leur capacité à être distingués dans l’intuition, dans le symbolique, dans le conceptuel. Une poétologie du savoir suppose donc que toute situation épistémique, toute élucidation épistémologique se rapporte à une décision esthétique, liée à la logique de la présentation.
En troisième lieu, ce qui est rendu visible à travers cette dimension poétologique, c’est
l’historicité du savoir lui-même, c’est le fait qu’au-delà de la forme de sa présentation, il n’y a pas de données qui, dans un dehors intemporel et imperturbable, attendent d’être désignées, éveillées et rendues visibles par des discours, des énoncés ou des jugements d’existence. Chaque désignation, chaque conception de l’objet de savoir accomplit en même temps une réalisation discursive du même objet, une composition dans laquelle les codes et les valeurs d’une culture reproduisent la systématique et la praxis d’un domaine de savoir. Cela ne concerne pas seulement la question des points stratégiques ou des carrefours sur lesquels se sont inscrits certains ordres de savoir, domaines de compétence, disciplines, avec leurs règles et ‘cultures’ respectives. C’est bien plutôt la question des discontinuités dans le processus historique qui acquiert une valeur méthodologique particulière. La longévité de certains thèmes et ensembles de thèmes, par exemple, n’exclut pas que les objets et les domaines de référence qui en font partie se soient fondamentalement transformés : ainsi, la lune de Kepler semble plus étroitement apparentée à la manière dont Plutarque aborde le ‘visage de la lune’ qu’au satellite de l’astrophysique moderne ; la traduction par Kepler du Libellus de facie, quae in orbe Lunae apparet de Plutarque fut justement prévue comme appendice à l’édition du Somnium[6]. Une histoire du savoir ne se déroule pas selon le modèle du drame théâtral et ne sépare pas les époques comme un rideau sépare les actes et les scènes. Cette ‘discontinuité’ dans le processus du savoir, suspecte et toujours controversée, fonctionne plutôt comme une hypothèse heuristique, comme une supposition selon laquelle les objets historiques ne se reflètent pas de façon transparente et familière. Comme toute analyse conséquente, la poétologie du savoir suppose elle aussi le caractère non-évident de ses objets. Et quand il s’agit en effet d’un jeu entre longévité et ruptures, dont l’issue ne se décide pas sur-le-champ, quand il s’agit d’identifier différents cours du temps et différentes longues durées, cette tension marque l’apparition de ce qu’on pourrait appeler une histoire de la position des problèmes. Un modèle en a été donné il y a déjà longtemps par François Jacob dans La logique du vivant. Une histoire de la biologie et de ses thèmes s’y entrecroise avec une histoire des problèmes qui réduit amplement la pertinence de la comparaison entre l’histoire naturelle de Buffon et la théorie de l’évolution de Darwin. Cela signifie que des disciplines et des discours différents peuvent avoir plus de ressemblances au cours d’une époque déterminée que les différentes configurations d’une seule et même discipline considérées à travers des périodes plus longues[7]”’voilà l’enjeu heuristique du discontinu, qui incite à ne pas confondre les thèmes avec les objets ni la force d’inertie des expressions avec la durée des concepts.
2. Poièsis et épistèmè
Cette triple problématisation d’une poétologie du savoir – la question des dimensions du savoir, de la relation entre le savoir et la forme de présentation, de l’enjeu de l’histoire – peut se réclamer de diverses lignées et sources d’inspiration. Il faut ici rappeler que le concept de poièsis a d’abord désigné un ensemble particulier regroupant différents types d’activité. Alors que le grec prattein renvoie au but (telos) et à l’accomplissement d’une action, et que dran contient l’idée d’agir, procéder, passer à l’action, poiein accentue la dimension de production, de mise en œuvre, de fabrication, de travail sur l’objet, et désigne un processus dans l’accomplissement duquel sont présentes des circonstances concrètes, des résistances matérielles et des conditions techniques. Dans cette perspective, la poièsis peut être conçue également comme un agir profondément conditionné par des circonstances, dont les effets et les résultats contiennent les traces d’une réalisation processuelle[8]. Le savoir qui s’y rattache est ainsi, au moins depuis Aristote, systématiquement distingué du savoir théorique de l’épistèmè (voir supra p. 5), qui en tant que savoir de l’universel, du nécessaire et du principiel exclut de son domaine de validité l’idée d’une production en situation[9]. C’est précisément cette tension ”’que l’on retrouve dans la distinction entre knowing how et knowing that [10] ”’ qui devient le point de départ d’une poétologie du savoir recherchant dans la validation des ordres de savoir non seulement des indices génétiques et des formations variables, mais également des facteurs contingents et des déterminations circonstancielles.
Dans cette perspective, on peut d’abord dégager quelques points de rencontre avec certaines conceptions récentes de l’histoire du savoir et de l’histoire des sciences. C’est ainsi qu’une poétologie du savoir peut décrire des correspondances avec les positions de ces science studies qui observent la construction d’ « objets épistémiques», qui prennent en compte une pluralité de facteurs hétérogènes, internes et externes – pratiques, techniques de laboratoire, opérations symboliques, collaboration entre acteurs ou agents humains et non-humains – et désolidarisent la scène de l’histoire des sciences du progrès de la rationalité scientifique[11]. Ces questionnements renvoient à des investigations sur l’épistémologie historique et la sociologie du savoir datant des années 1930. Il en va ici du statut du « réel de la science » autant que du processus de réalisation des faits scientifiques et surtout de l’introduction du problème des discontinuités et des coupures épistémologiques dans l’histoire du savoir[12]. Dans ces réflexions, une prise de distance multiforme – vis-vis du fait scientifique comme reflet, de la conception unificatrice du sujet, de l’évidence des expériences pré-discursives, de la structure invariante de la connaissance – a provoqué une ouverture des disciplines et des sciences vers leur dehors respectif, et ce en localisant les énoncés scientifiques dans un complexe hétérogène de pratiques et de procédures. Chez Gaston Bachelard, cela a été motivé par un renoncement au privilège de la relation d’objet, au recours à une instance du réel et surtout par le « caractère polémique » de l’observation scientifique et de la culture expérimentale[13]. Ici, la formation du savoir scientifique ne conduit pas des objets aux concepts, elle se déroule plutôt en sens inverse : l’observation et l’expérimentation ne sont possibles que sous la contrainte de frayages préalables. Cette dénaturalisation du concept de « fait scientifique » rattache le donné à la pratique conceptuelle elle-même que l’institution du factuel choisit. Ainsi, l’accomplissement du savoir scientifique n’est descriptible ni comme inhérent à la science ni comme relation d’objet, et la volonté de vérité se réalise dans la science comme une sorte d’« esthétique de l’intelligence »[14]. Enfin, on peut corrélativement en appeler à une forme d’expression toujours inquiète, qui se dépouille de son caractère référentiel et de son « excès d’image »[15], qui fait face à la non-représentabilité, qui traduit le factuel en processuel et que Bachelard aborde finalement en question poétologique : « Quel poète », demande-t-il au sujet de la physique la plus récente de son temps, « nous donnera les métaphores de ce nouveau langage [scientifique] ? »[16].
Tout comme Bachelard, le bactériologue et historien des sciences polonais Ludwik Fleck a arraché la genèse du fait scientifique au naturalisme et ainsi relativisé le privilège de l’objet autant que le rôle du sujet de la connaissance. C’est ainsi que la genèse du savoir scientifique expérimental est elle-même pensée comme poièsis, et pour décrire son milieu, Fleck lui a attribuée en conséquence le concept de « style de pensée », terme manifestement emprunté à la sociologie de la connaissance de Scheler et Mannheim. Dans ce concept de style de pensée s’unissent les différents motifs de la conception de l’histoire des sciences de Fleck : il ne désigne pas un paradigme transversal à une époque, mais un assemblage local de caractères sociaux et culturels ; en lui-même, il consiste en éléments hétérogènes, dont la coexistence ne s’explique pas logiquement, mais seulement généalogiquement ; ses agents ne sont ni des personnes ni des sujets de connaissance, mais des champs de force collectifs ; en outre, il introduit une dimension poétologique, qui discerne dans la science les formes d’une « poésie objective », attribue au « fait » des sciences naturelles le statut d’une création collective et rend ainsi visible la stratification historique des faits expérimentaux[17]. Enfin, grâce aux perspectives ouvertes par cette épistémologie historicisante, le regard a été aussi orienté vers les processus normatifs immanents qui fondent et orientent les différentes activités scientifiques – question par laquelle un Georges Canguilhem a ramené la formation des concepts scientifiques à un entrelacs de jugements de valeur et de rapports de force[18].
Des résonances essentielles apparaissent également entre la poétologie du savoir et certaines réflexions fondamentales sur le rapport entre le savoir et les formes symboliques ou poétiques. Le concept de « poétique du savoir » proposé par Jacques Rancière désigne « l’étude de l’ensemble des procédures littéraires par lesquelles un discours se soustrait à la littérature, se donne un statut de science et le signifie. »[19] Il renvoie à un entrecroisement fondamental de la narration et de la science dans la constitution du savoir historique, se rattachant ainsi à ces recherches métahistoriques dans lesquelles Hayden White a analysé les discours historiographiques et philosophico-historiques en suivant le fil conducteur des formes narratives caractéristiques[20]. C’est ainsi que peut être affirmée une interpénétration poiétique des connaissances historico-herméneutiques et de la structure rhétorique, c’est-à-dire tropologique, des structures argumentatives ; de là peuvent se dégager au moins trois références supplémentaires. La première se trouve dans les recherches métaphorologiques de Hans Blumenberg, qui affirment dans une sorte de provocation pour l’histoire des concepts le rôle décisif de substrats d’image métaphoriques irréductibles dans l’architecture logique de la conceptualité philosophique. Cela requiert à la fois une « théorie de la non-conceptualité », qui reconstitue la genèse du savoir en-deçà de la formation des concepts, à côté des déterminations claires et distinctes[21]. On trouve une seconde référence dans la Philosophie des formes symboliques d’Ernst Cassirer, en ce que l’organisation des modes de connaissance et la formation des concepts et des jugements scientifiques y est rattachée à la condition de formes d’expression symboliques élémentaires. Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant à ce que Cassirer distingue la portée du logos d’un assujettissement à la raison et à la connaissance objective, et qu’il renvoie à son sens premier de « mode d’expression » et « discours ». Il se produit ici un tournant qui présuppose une structuration prélogique du savoir universel et qui ”’ en revenant à Vico, Herder et Wilhelm von Humboldt ”’ constitue une « logique de la science de la culture » en tant que logique des modes de représentation, en tant que « logique de la langue, de la poésie, de l’histoire »[22]. Si la constitution du savoir culturel n’est pas ramenée à un reflet du monde extérieur, ni à une relation à un modèle ou à une adaequatio intellectus et rei, mais qu’elle est rattachée à la puissance d’organisation immanente des fonctions logiques de représentation, il reste à poser, en troisième et dernier lieu, la question de ces fictions effectives dont le statut épistémique ne peut être assigné par une simple relégation dans le domaine de l’imaginaire, du non-vrai et de la pure représentation. Dans cette perspective, la tentative controversée d’un Hans Vaihinger a attiré l’attention sur l’efficacité pragmatique des fictions justifiées ou nécessaires dans différents domaines du savoir et dans le processus de reconstitution intellectuelle du monde[23].
De fait, ces diverses filiations se croisent là où la généalogie d’une poétologie du savoir peut être dérivée de la question généalogique elle-même. Ainsi, la méthode généalogique de Nietzsche n’était pas seulement empreinte de l’idée selon laquelle chaque formation rigoureuse de concept coïncide avec l’oubli d’un « monde primitif de métaphores » et que la fonction de la forme linguistique elle-même ne doit pas être mesurée selon des critères logiques et des substrats de connaissance, mais selon des potentiels d’illusion efficaces et des attitudes de domination[24]. La généalogie de Nietzsche peut être également conçue comme historicisation de ce qui n’avait jusqu’alors pas d’histoire, de ce qui ne semblait pas ou fort peu historicisable. Les concepts fondamentaux de la morale, de la connaissance et de la métaphysique, tout autant que les affects, les états physiques et les composantes de la forme-homme en général sont rattachés à une analyse historique qui se différencie aussi bien de la science historique que de la philosophie de l’histoire. Cela signifie, d’une part, que des constantes apparentes comme les sentiments moraux et les formes de rationalité, les concepts de vérité et de valeur, ne sont plus rattachées à une origine idéale mais à des provenances dispersées qui ne se laissent pas assimiler dans des systèmes de références permanents. D’autre part, le lieu de l’enquête généalogique se trouve toujours dans le savoir et les certitudes de son propre présent – la généalogie ne s’attribue elle-même qu’un savoir partiel et perspectif [25]. En tout cas, on peut observer au moins depuis le XIXe siècle une dissolution de l’unité du savoir, de la conscience et de la connaissance. Qu’il s’agisse de l’intérêt généalogique de Nietzsche, du concept marxien d’’idéologie’, ou du concept d’interprétation chez Freud, dans tous ces cas se dessine une différence entre la conscience et ce savoir inconscient qui, à travers la longue histoire des formations sociales, mais aussi des instincts, des organismes et des états physiques, s’est condensé en illusion nécessaire et exige un travail de déchiffrage historique.
S’inspirant du projet nietzschéen d’une histoire de la volonté de vérité, les recherches de Foucault notamment ont suivi un tournant généalogique ; avec les questions qu’elles contiennent concernant une ‘volonté de savoir’ occidentale et sa morphologie, les recherches historiques de Foucault peuvent prétendre à une importance décisive à plusieurs égards pour une poétologie du savoir. Cela signifie d’abord, au point de vue méthodique, le choix d’un niveau de description qui évite le recours aux concepts et aux catégories globalisantes, particulièrement les universaux anthropologiques, philosophiques ou politiques, ou qui du moins le restreint et le contrôle scrupuleusement. De même que Foucault évite de parler d’un donné permanent de la folie, de la vie, de la sexualité, de l’Etat ou de la délinquance, de même les ensembles et les transformations des configurations historiques du savoir ne peuvent guère être compris en recourant à des unités constantes comme ‘l’expérience’, le ‘sens’, la ‘connaissance’, le ‘sujet’ ou la ‘raison’[26]. Deuxièmement, un questionnement généalogique devient efficace là où la connaissance doit être interprétée comme une ‘invention’, le savoir lui-même comme l’accomplissement d’un acte polémique, comme le motif et l’effet d’une volonté de puissance, comme Foucault l’interprétait par exemple au sujet de la relation entre la praxis juridique et la procédure de connaissance[27]. Les relations de sens sont interprétées comme des rapports de puissance ; et cette « histoire politique » de la connaissance et du sujet de connaissance[28] conduit d’une part à cela qu’aucun accord, aucune affinité élective entre la connaissance, le monde et la nature humaine ne peut être supposée ; d’autre part, à ce que le regard est orienté vers des ‘jeux de vérité’ dans lesquels les relations de puissance et les modes de connaissance se soutiennent et se renforcent réciproquement. En conséquence, le ‘savoir’ n’est plus défini par « l’axe conscience-connaissance-science ». Ce qui doit ici être pris en compte est plutôt la configuration d’un savoir qui n’est pas plus conservé dans les disciplines et les sciences qu’il n’est la simple expression du « monde de la vie » (lebensweltlich), qui est peut-être structuré pré-conceptuellement ou pré-logiquement mais pas pré-discursivement, qui apparaît à la fois comme dispersé et cohérent, et qui traverse divers genres et discours. Ce savoir est ce milieu dans lequel des objets discursifs sont rendus possibles tout autant que les sujets qui en parlent, c’est un domaine qui met à disposition les règles de coordination et de subordination des énoncés, c’est un espace qui trace à l’avance les frontières entre matières, disciplines et sciences[29]. Ce savoir ne signifie donc ni science, ni connaissance, il requiert bien plutôt la recherche des facteurs et des thèmes opératoires qui reviennent sur plusieurs territoires, qui possèdent en chacun d’eux une position constitutive et pourtant ne présupposent aucune unité ni aucune synthèse de l’objet. Et ce savoir serait ainsi un domaine dans lequel des modes de discours, des formes d’expression et des types de textes incomparables se correspondent.
3. Poétologies du savoir culturel
C’est donc à partir de différentes directions que la poétologie du savoir a reçu certaines impulsions dans ses contenus, ses thèmes et ses méthodes, et c’est une pluralité de formes de savoir qu’elle aborde dans le contexte de leurs modes de représentation. Elle se rattache ainsi à un domaine d’objet que l’on peut – très provisoirement – appeler ‘savoir culturel’. Ce savoir culturel peut être décrit comme un champ sur lequel se détachent des objets essentiels et des domaines de référence de communication culturelle, ainsi que leurs règles et leurs procédés, et finalement les controverses et les conflits sur la pertinence, la fonction et l’évaluation des objets de savoir. L’entrecroisement du savoir et de la culture renvoie à un ensemble dynamique d’ordres symboliques, de technologies et de stratégies qui déterminent le rapport des sociétés à elles-mêmes, à leur histoire et à des formations sociales toujours renouvelées. Si la culture en général peut être déterminée comme l’horizon d’une intercompréhension à l’égard de ce dont les sociétés sont capables, le ‘savoir culturel’ devrait pouvoir être compris comme espace social de possibilités : comme une zone dans laquelle les frontières, les normes et les modes d’expression reflètent ce qui peut être formulé et énoncé dans une société, dans les limites d’un espace-temps déterminé. Ce savoir ne peut être attribué ni à des sujets ni à des hommes et apparaît dans tous les cas comme une « convention d’attribution pratiquée dans la communication »[30].
À partir de là, il est possible d’établir plusieurs orientations méthodiques et thématiques, qui précisent le mode de travail et le domaine d’investigation d’une poétologie du savoir. Ainsi, en premier lieu, les objets du savoir (culturel) ne sont pas prédisposés de façon privilégiée dans les sciences, ni par les sciences. Ils ne sont pas solubles dans une téléologie des procédés de connaissance scientifique ni dans les formes de rationalité de certaines disciplines isolées ; ils acquièrent bien plutôt leur visibilité maximale dans les marges de ces dernières, dans des zones intermédiaires et des espaces de transition qui n’obéissent pas nécessairement aux critères de la cohérence logique et de l’unité conceptuelle. Pour revenir au texte de Kepler évoqué initialement : la lune de Kepler, par exemple, se constitue comme objet assignable précisément en ceci qu’elle regroupe des lignées divergentes et hétérogènes, et qu’elle fait bouger à travers elles un passepartout commun. Qu’il s’agisse des traditions pythagoriciennes ou des mathématiques modernes, des hypothèses coperniciennes ou des instruments comme le tube ou la longue-vue, de l’entrecroisement des observations astrologiques et astronomiques, des pratiques de représentation et des institutions comme l’observatoire de Tycho Brahe, Uraniborg, sur l’Ile de Ven, des histoires de genres littéraires concernant par exemple le rêve du savant, la naissance de la note de bas de page ou la citation des sources, et surtout l’imprimerie qui a fait de l’observation de la lune en 1610 un évènement européen – tout cela fait de la lune de Kepler un système référentiel complexe qui n’est pas réductible à une seule et même chose. Cette lune ne se constitue comme objet astronomique que dans la mesure où cette astronomie des débuts de la modernité est elle-même constellée de façon non-homogène et, tout comme le texte de Kepler, se débat à la fois avec des tropes et des problèmes de parallaxe, des récits et des mythes, des phénomènes stellaires et des signes astraux. Dans cette perspective, une poétologie du savoir ne recherche pas une unité supposée de son objet, mais plutôt les distributions et les migrations de connaissances qui prennent part à la formation de cette objectivité. La considération de leur multiplicité interne se fonde principalement sur la présupposition selon laquelle il faut différencier la validité d’un savoir de sa genèse et observer leurs relations non-univoques. Les règles de vérité des discours et les règles de formation des objets de savoir ne sont pas comparables les unes aux autres, et elles ne sauraient être réduites les unes aux autres. Tandis que les prétentions de vérité divulguent peu de choses sur la scène historique de leur énonciation, les processus de formation nous renseignent sur les critères de pertinence et partant sur le statut et le terrain d’action stratégique de chaque savoir.
En deuxième lieu, cela implique une recherche des thèmes opératoires et des facteurs récurrents dans différents domaines, qui y détiennent à chaque fois une position constitutive et pourtant ne présentent pas de synthèse ni de domaine d’objets cohérents. On peut en donner comme exemple les concepts d’abondance, d’excédent et de circulation au XVIIIe siècle, qui témoignent d’un entrelacement et d’une correspondance entre divers domaines de savoir : ils servent à expliquer les mécanismes de l’échange des marchandises et du cours de l’argent dans l’économie politique, à décrire dans le domaine médical l’entretien et l’homéostase des humeurs corporelles, à déterminer la formation et l’échange des signes, et sont sollicités pour présenter les phénomènes d’histoire naturelle ou de diététique. Des termes ou des catégories de ce type ne sont donc pas des idées, dans la mesure où on l’on entend par là des représentations délimitées et homogènes dont l’efficacité serait fondatrice de l’unité d’un ensemble de savoirs. Ils ne se situent pas dans le milieu d’un « inter-discours » pour autant que cela renvoie à un dénominateur commun et à une transition continue entre les domaines spécialisés[31]. Dans les discussions très répandues sur le ‘luxe’, le faste et le gaspillage, sur la ‘frivolité’, les passions tumultueuses et l’exaltation, ils ne traversent pas seulement les différents domaines de l’histoire naturelle, de l’économie, de la médecine, de l’esthétique, etc., ils ne peuvent réellement être saisis dans chacun de ces domaines que comme multiplicités conceptuelles et produisent dans leur hétérogénéité un ensemble immanent de renvois. Cette chaîne, cette ligne transversale n’a pas d’origine extérieure à elle-même. Elle n’est pas l’étalon de ces différents domaines ; il ne s’ensuit pas que les domaines en question soient structurés de la même façon ou occupés par les mêmes objets. Leur particularité est plutôt constituée par une résonance interne ou par un ensemble de relations d’implications. C’est ainsi que la question de la traduction contient le problème de la valeur, que la formation des richesses entraîne la désastreuse perte de sens des mots, que l’afflux de sang est difficilement pensable sans un trouble affectif, ou que la communication des signes répond à une hydraulique des courants[32]. Ces implications réciproques construisent une corrélation surdéterminée entre différentes régions de savoir, dont aucune ne peut être pensée comme originaire ; elles ne constituent pas un objet unique, mais elles marquent un seuil, sur lequel se dessine la forme spécifique des divers objets – économiques, médicaux, scientifiques, esthétiques. C’est donc en-deçà des différenciations thématiques que l’on peut identifier des systèmes de règles communes.
Ainsi, en troisième lieu, le ‘savoir culturel’ peut être conçu à la fois comme une région dans laquelle, à partir de différentes perspectives, un ensemble limité d’énoncés – pertinents, corrects, erronés, controversés – peuvent être formulés, qui constituent dans leur conjonction une matérialité historique sans équivalent. En tant que condition de possibilité de ces objets communs, ce savoir circule à travers des modes d’expression d’ordre et de genre différents, et apparaît à la fois dans un texte littéraire, dans une observation scientifique, dans une illustration ou une phrase quotidienne : même si la description de Kepler des fortifications de la lune dans son Somnium reste entièrement fictionnelle, il reste qu’elle caractérise la lune en tant qu’objet astronomique au début du XVIIe siècle. D’un côté, des oppositions comme celle du subjectif et de l’objectif, du réel et de l’imaginaire, de la prouvabilité et de la fiction y sont contournés. D’un autre côté, on n’aspire pas à niveler les différences respectives entre création littéraire et science, connaissances et fictions, ni à supposer un rapport stable et ferme entre science, savoir et littérature par exemple. La possibilité d’une relation entre littérature et savoir ne repose pas sur une relation de reflet ou de modèle, ni sur une relation entre texte et contexte ou entre matière et forme. Le savoir de textes littéraires n’est pas limité au contenu propositionnel de leurs énoncés. Le point de contact entre ‘littérature’ et ‘savoir’ consiste plutôt à faire le lien entre le substrat de savoir des genres poétiques et l’imprégnation poétique des formes de savoir, à les replacer ainsi dans le milieu de leur historicité. Rappelons ici une remarque de Gilles Deleuze au sujet des travaux de Michel Foucault : « L’essentiel n’est pas d’avoir surmonté une dualité science-poésie […]. C’est d’avoir découvert et arpenté cette terre inconnue où une forme littéraire, une proposition scientifique, une phrase quotidienne, un non-sens schizophrénique, etc., sont également des énoncés pourtant sans commune mesure, sans aucune réduction, ni équivalence discursive. Et c’est ce point qui n’avait jamais été atteint, par les logiciens, les formalistes ou les interprètes. Science et poésie sont également savoir »[33]. La spécificité d’un objet de savoir se présente donc pour la poétologie du savoir à partir de la densité d’intersection des modes d’expression appartenant à différents ordres et différents genres.
De même qu’une poétologie du savoir ne prend pas pour point de départ la vérité des énoncés mais les procédures et les règles qui rendent possibles certains énoncés, de même, la relation entre textes (littéraires) et savoir n’est pas réductible à des sujets, des motifs ou à une série de prédicats et d’actes de références. Chaque texte littéraire apparaît plutôt comme faisant partie de différents ordres de savoir, dans la mesure où il perpétue, confirme, corrige ou déplace les frontières entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible. Les textes littéraires et l’ordre du savoir n’ont pas une relation prévisible ou prédéterminée, leur conjonction se présente bien plutôt comme un mode non-univoque de disparate. La littérature elle-même est une forme de savoir spécifique dans la mesure où elle est devenue l’organe et le médium spécifique d’unités comme l’œuvre ou l’auteur ; la littérature est objet de savoir dans la mesure où elle a suscité un type déterminé de commentaire et la possibilité d’un langage particulier sur le langage ; la littérature est un élément fonctionnel du savoir dans la mesure où elle occupe éminemment, comme dans la tradition de l’histoire des idées, le champ d’une subjectivité créatrice ; et la littérature est enfin produite par un ordre du savoir dans la mesure où sa langue, comme aucune autre, semble mandatée pour dire le non-avoué, pour formuler le plus secret, pour porter l’indicible à la lumière.
En résumé, la poétologie du savoir montre que la cohérence du savoir culturel et la forme des objets qui y sont identifiables se manifestent dans un réseau de relations multiples : par un système référentiel, qui fait se correspondre différentes pratiques de présentation les unes avec les autres, par des relations d’implication, dans lesquelles des règles analogues de présentation peuvent être identifiées à travers des domaines thématiques différents, et par l’établissement d’une densité d’intersection, qui ramène des modes d’expression appartenant à différents ordres et à différents genres vers certains points stratégiques. Il s’ensuit deux conséquences supplémentaires : cela signifie d’une part, que chaque forme de savoir n’accorde qu’une place limitée aux positions subjectives correspondantes, qu’elle fournit donc les prémisses avec lesquelles on se positionne relativement à ce savoir. On entend par là non seulement les postes et les constructions discursives que les institutions définissent, mais également les structures épistémiques au sens restreint. Cela aussi a été mis en évidence par le texte de Kepler : quiconque parle de la lune implique, en même temps que son point de vue sur la lune, un point de vue de la lune sur la terre et se retrouve lui-même sujet d’un savoir copernicien, dont la perspective limitée n’obtient de validation qu’en étant compensée par une contrepartie perspective. D’autre part, le savoir culturel se distingue par des implications normatives et met en jeu une pragmatique du savoir, une dimension pragmatique qui relie certains types de savoirs à certaines options ou indications d’action, qui peuvent être définies légèrement, modérément ou fortement. Chaque forme de savoir correspond directement ou indirectement à des connaissances nomologiques par lesquelles elle détermine le mode et les règles de leurs dérivations et de leurs prolongements : autrement dit, des options qui décident si le savoir doit bel et bien, selon les cas et de façon différenciée, être justifié, réalisé, poursuivi, protégé, abandonné, combattu, optimisé, enseigné, etc.
4. Récapitulation
La démarche d’une poétologie du savoir travaille avec un concept du savoir ouvert, pluriel et faiblement déterminé ; elle cherche la correspondance spécifique entre les modes de présentation et les objets de savoir et elle décrit ainsi la singularité historique des ordres du savoir. Inspirée de l’épistémologie historique, des théories de la constitution symbolique c’est-à-dire ‘poiétique’ du savoir et de l’analyse du discours de Foucault, elle est conduite par deux hypothèses de travail fondamentales. Elle suit, d’une part, la supposition selon laquelle les explications épistémologiques et la naissance de formes de savoir cohérentes sont immédiatement reliées à des décisions esthétiques et conduisent ainsi à la formation de types de présentation particuliers – genres, ou espèces au sens le plus large. D’autre part elle ne considère pas seulement les ordres de savoir à travers les unités de thème ou de contenu, les domaines délimités, disciplines ou sciences spécialisées ; elle s’attarde plutôt sur les réseaux de relations et les correspondances qui peuvent révéler dans l’unité des objets de savoir une multiplicité de procédures constitutives hétérogènes et, à l’inverse, des règles de formation analogues dans des domaines thématiques et des disciplines différentes. À travers ces éléments, une poétologie du savoir se caractérise par une procédure idiosyncratique et se distingue d’une méthode robuste en ceci qu’elle essaye de réduire les conditions d’accès à sa démarche, qu’elle tient compte de ses implications normatives et qu’elle minimise la force de subsomption de ses concepts. Tandis qu’une théorie robuste de la pensée connait toujours déjà ses objets – ainsi le savoir, la science, les réalités, la littérature, la raison et n’exige ainsi aucune théorie, une procédure idiosyncratique présuppose la non-évidence de son domaine d’investigation et entraîne, en plus de son activité analytique, une activité théorique, c’est-à-dire l’élaboration de la capacité d’adaptation de ses analyses. Dans la mesure où une poétologie du savoir ne se fonde pas sur une épistémologie ni sur une philosophie de la conscience, elle a en vue un savoir païen, si du moins ‘païen’, qui vient du latin « pagus », renvoie à un espace localisé, délimité et aucunement universalisable. Cela détermine aussi sa relation à l’histoire en tant que critique. À la différence d’un « tribunal » de la critique, qui se spécialise dans le discernement entre les connaissances vraies et les représentations fausses[34], elle revient à l’historicité des formes de jugement de ce genre, et s’enquiert des limitations positives de ce qui rend possible les évènements de l’universalisable. Cela implique le choix d’un niveau de description qui ne reproduit pas nécessairement les téléologies et les critères de ses objets ; et cela implique une critique qui suspend sa propre tendance à la généralisation. Elle apparaît donc comme une entreprise historiographique qui acquiert son champ de réflexion précisément en ceci qu’elle n’interroge pas, finalement, le savoir au point de vue de son essence, de sa nature, de sa fondation ou de ses droits, mais au point de vue de son actualité, et concède ainsi le caractère historiquement limité de sa propre démarche.
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
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[1] J. Kepler, Somnium, in Gesammelte Werke, W. von Dyck, M. Caspar, F. Hammer (dir.), vol. 11/2, Munich 1993, p. 315-379 ; trad. fr. Johann Kepler, Le Songe, ou Astronomie Lunaire, traduction et notes par Michèle Ducos, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1984.
[2] Cf. J. Vogl, « Robuste und idiosynkratische Theorie », in KulturPoetik 7/2, 2007, p. 249-258.
[3] Cf. M. Williams, Problems of knowledge. A Critical Introduction to Epistemology, Oxford, 2001, p. 13-27.
[4] G. Canguilhem, Idéologie et rationalité dans l’Histoire des Sciences de la Vie, Paris, Vrin, 1981, p. 15.
[5] Cf. M. Polanyi, Personal knowledge. Towards a Post-Critical Philosophy, Londres, 1978, p. 49-65, 162.
[6] Kepler, Somnium, op. cit., p. 380-440.
[7] F. Jacob, La Logique du Vivant, Gallimard, Paris, 1970 ; cf. W. Lepenies, Gefährliche Wahlverwandschaften. Essays zur Wissenschaftsgeschichte, Stuttgart, 1989, p. 129.
[8] Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, 1140a1-23, 1140b4-7 ; cf. également B. Snell, Aischylos und das Handeln im Drama, Leipzig, 1928, p. 10-19.
[9] Aristote, Ethique à Nicomaque, 1139b15-31.
[10] G. Ryle, La notion d’esprit, Chap. II, « Le savoir-comment et le savoir-que » ; Paris, 1978, rééd. 2005, Petite Bibliothèque Payot, p. 93-140.
[11] H.-J. Rheinberger, Experiment-Differenz-Schrift. Zur Geschichte epistemischer Dinge, Marburg, 1992 ; B. Latour, L’Espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, Paris, La Découverte, 2001.
[12] G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, Paris, PUF, 1934, rééd. 1999 ; L. Fleck, Entstehung und Entwicklung einer wissenschaftlichen Tatsache [1935], éd. Lothar Schäfer et Thomas Schnelle, Francfort, 1980. Trad. fr. Ludwik Fleck, Genèse et développement d’un fait scientifique, Paris, Les Belles Lettres, Coll. Médecine et sciences humaines, 2005. Trad. Nathalie Jas, préface d’Ilana Löwy, postface de Bruno Latour.
[13] G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, p. 16.
[14] G. Bachelard, La Formation de l’Esprit scientifique, Paris, PUF, 1980, p. 10.
[15] G. Bachelard, Epistémologie, Paris, PUF, 1971, éd. D. Lecourt, p. 56.
[16] G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, p. 79.
[17] Fleck, op.cit., p. 43-94.
[18] G. Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, PUF, Paris, 1966 ; La Formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1955; 2e éd., Vrin, 1977. Cf. H. Schmidgen, « Fehlformen des Wissens », in Georges Canguilhem, Die Herausbildung des Reflexbegriffs im 17. und 18. Jahrhundert, München, 2008, p. VII-LX.
[19] J. Rancière, Les Noms de l’Histoire, essai de poétique du savoir, Seuil, « La Libraire du XXIe siècle », Paris, 1992, p. 21.
[20] H. White, Meta-history, The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe. Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1973.
[21] H. Blumenberg, Paradigmen zu einer Metaphorologie, Francfort, Suhrkamp, 1998. Trad. fr : Paradigmes pour une métaphorologie, trad. D. Gammelin, postface J-C Monod, Vrin, Paris, 2006. Schiffbruch mit Zuschauer. Paradigma einer Daseinsmetapher, Frankfurt, 1979, trad. fr. Naufrage avec spectateur : paradigme d’une métaphore de l’existence [« Schiffbruch mit Zuschauer »], Paris, l’Arche,”Ž 1994.
[22] E. Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Berlin, 1923-1931. Trad. fr. La philosophie des formes symboliques, trad. J. Lacoste, Minuit, Paris, 1972. Zur Logik der Kulturwissenschaften [1942], Darmstadt, 1961, notamment p.10-14. Trad. fr. Logique des sciences de la culture, trad. J. Carro et J.Gaubert, Cerf, Paris, 1991, p. 83-90.
[23] H. Vaihinger, Die Philosophie des Als Ob. System der theoretischen, praktischen und religiösen Fiktionen der Menschheit auf Grund eines idealistischen Positivismus, Aalen, 1986. Trad. fr. La philosophie du comme si, trad. Ch. Bouriau, Ed Kimé, Paris, 2008.
[24] F. Nietzsche, íœber Wahrheit und Lüge im aussermoralischen Sinn, in Werke, ed. Karl Schlechta, Munich, 1969, vol. 3, p. 309-322. Trad. fr. « Vérité et mensonge au point de vue extra-moral », in Oeuvres philosophiques complètes, Ecrits posthumes 1870-73, trad. J.-L. Backès, M. Haar et Marc B. de Launay, Paris, Gallimard, p. 277-290.
[25] Cf. F. Nietzsche, Jenseits von Gut und Böse; Zur Genealogie der Moral, Werke, Bd. 2, p.563-900. Tr. fr. Par-delà le Bien et le Mal et Généalogie de la Morale, Gallimard, Paris.
[26] M. Foucault, Dits et Ecrits, t. 4, p. 633-634 ; Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France 1978-79, Seuil/Gallimard, 2004, p. 21-22.
[27] Cf. M. Foucault, « La volonté de savoir » [1971], in Dits et Ecrits, t. I, 1954-1975, Quarto Gallimard, p. 1108-1112 ; « La vérité et les formes juridiques » [1974], Ibid. p. 1408-1514.
[28] Ibid., p. 1418.
[29] M. Foucault, L’Archéologie du savoir, Gallimard, 1969.
[30] N. Luhmann, Die Wissenschaft der Gesellschaft, Frankfurt/M., 1990, p. 142.
[31] J. Link, Elementare Literatur und generative Diskursanalyse, München, 1983.
[32] Cf J. Vogl, « Homogenese. Zur Naturgeschichte des Menschen bei Buffon », in Hans Jürgen Schings (dir.), Der ganze Mensch. Anthropologie und Literatur im 18. Jahrhundert, Stuttgart, 1994, p. 80-95.
[33] G. Deleuze, Foucault, Minuit, Paris, 1986, p. 28-29.
[34] Platon, Théétète, 201c.
 

 




Literary Devices of Conveying Knowledge

1. Introduction
For decades, there has been an intense debate on the relation between literature[1] and knowledge among philosophers and literary critics and there exists a broad range of approaches within this particular field of research[2]. Although there are just a few scholars left who hold that literature cannot be a source of knowledge[3] the discussion has, in my opinion, not focussed enough on further questions such as: If we agree that literature can convey knowledge then how exactly does this work ?
 
In this paper, I shall try to give an answer to this question by proposing that within works of literature special devices can be deployed that facilitate the conveyance of knowledge. Of course, not all of these devices are genuinely literary since they can be found in non-literary texts as well. Their use in works of literature, however, is very typical and widespread. Namely, I shall discuss (1) simplification, (2) exemplification, (3) the demonstration of options and representative discussions, and (4) internal focalisation and the generation of immersion. To illustrate my line of argument I shall give examples from novels which can be referred to as ‘scientific fiction’, a term explained below.
 
As there are also various approaches in the German debate on the relation of literature and knowledge, I shall firstly clarify which is my underlying approach and why. This also includes an explanation of the term ‘knowledge’.
 
2. Approaches within the German Field of Research, the Term ‘Knowledge’, and the Approach of Analytical Literary Criticism
The research in Germany can be described systematically by distinguishing three approaches[4]:
1. A basically structuralist approach with the key concept of ‘cultural knowledge’ (‘kulturelles Wissen’),
2. a poststructuralist approach that developed the concept of ‘poetics of knowledge’ (‘Wissenspoetologie’),
3. and the approach of analytical literary criticism that holds the view of aesthetic cognitivism.
 
It is not only their disciplinary origins that make these approaches so divergent but also their methodological premises and not least their distinct conceptions of ‘knowledge’. ‘Cultural knowledge’ identifies all the propositions which are considered true by a culture (i.e. a group of people) independent of their actual truth value[5]. This does not mean that Michael Titzmann, who first developed the theoretical background in the 1970s, suspends the difference between the epistemic statuses of knowing and believing. He clearly draws a distinction between what is true and what is just thought to be true, but he considers beliefs more important for the understanding of a culture than the possibility that these beliefs might turn out wrong[6]. In his early research on cultural knowledge Titzmann focused on its role in interpreting texts: we need cultural knowledge (i.e. the knowledge of the culture a text originates from) in order to adequately interpret the text[7]. Later, Titzmann together with Karl Richter and Jörg Schönert elaborated the concept to describe the relation between the sciences and the arts. Cultural knowledge in this sense is no longer just necessary to interpret a text properly but it can also be conveyed by this text[8]. Conclusively, by virtue of this understanding, literature can be a source of knowledge.
 
Similarly, proponents of the poststructuralist ‘poetics of knowledge’ hold that what a culture considers knowledge is historically variable. However, Joseph Vogl, who most prominently developed poetics of knowledge, draws a different conclusion from this than Titzmann: Whereas the latter holds a moderate constructivist view, Vogl admits to a radical historicist conception where knowledge is always a construct of discursive practices[9]. As scientific texts as well as literary ones fall under the conception of discursive practices they are both equally capable of ‘producing’ knowledge[10]. What is of utmost interest in the poetics of knowledge, then, is not what is conveyed by a text but what rules and performative aspects of representation come into play when a text produces knowledge[11].
 
Quite contrary to this, proponents of analytical literary criticism draw on the concepts of analytical epistemology where knowledge is based on a traditional philosophical understanding as justified true belief[12]. As I shall adopt this approach in my paper I shall henceforth elaborate on it and finally show why I give preference to it.
In analytical epistemology knowledge is analysed as follows:
 
S knows that p if and only if
i. p is true;
ii. S believes that p;
iii. S is justified in believing that p.[13]
 
S hereby stands for ‘speaker’, p for a proposition such as ‘World War II ended in 1945’ or ‘John is six feet tall’. This so called ‘propositional’ or ‘theoretical’ knowledge[14] is the primary subject of epistemology and it is expressed by the sentence structure ‘knowing that’, for example ‘I know that World War II ended in 1945’. Apart from that, there exists also the concept of ‘practical knowledge’: ‘knowing how’. By that we identify a person’s faculties or skills such as the ability to drive a car or to write. ‘Knowing how’ nevertheless is different from ‘knowing that’ because it does not designate any propositional content. Finally, some philosophers assume that there is a third case, ‘knowing how it is’[15]. Contrary to ‘knowing that’ this sort of knowledge does not describe skills but certain experiences. For example, I can know how silk feels on my skin or how it feels to lose a beloved family member, because I have made the experience. ‘Knowing how it is’ is a case neither of practical nor theoretical knowledge. Apparently, there are three distinct kinds of knowledge which are different in their structure but still connected with each other ; for when I know how to drive a car I surely know some things about cars in general and I know, too, how it feels when the car brakes or starts.
 
Aesthetic cognitivists from analytical literary criticism draw on the concepts of theoretical and practical knowledge but sometimes also on ‘knowing how it is’. Two approaches can be illustrated by the works of Tilmann Köppe and Oliver R. Scholz.
 
In « Literatur und Erkenntnis » Köppe defines knowledge along the traditional lines as explained above. Proceeding on these premises he argues that we can learn theoretical and practical knowledge from literature[16]. Here the wording is of importance: Köppe does not claim that fictional sentences have truth values and therefore are to be considered true with reference to reality but that they can prompt us to hypothesize about reality by means of them[17]. In contrast to Köppe, Oliver Scholz’ approach shares on what Nelson Goodman and Catherine Elgin called « alternative epistemology »[18] where not only justified true beliefs are considered knowledge but also such justified beliefs that are, for instance, right or good. Scholz assumes that by reading literature we pursue cognitive goals and ensuing from that he develops three hypotheses: (i) propositional knowledge is not the only gain from our cognitive efforts, (ii) the concept of truth and (iii) the concept of propositional knowledge are too narrow. Due to that, Scholz argues, the traditional concept of knowledge in epistemology should be reconsidered (but not suspended !) when we describe cognitive efforts and accomplishments by means of reading literature[19], because what we learn is not only true or false but also right and wrong, good or bad, revealing, « cognitively strengthening »[20], etc.
 
Köppe and Scholz argue that engaging with literature leads to far more than just gaining propositional knowledge. In the second part of his thesis Köppe’s concern is with the acquisition of practical knowledge in the sense of well-founded and evaluative attitudes wherein a person determines that an action or a way of life is good, advisable, or right for them[21]. This definition is far more evaluative than the one usually employed when distinguishing knowing how and knowing that. Practical knowledge basically means every skill we can develop and in most cases it is hardly expressible, because during action we are usually not aware of the corresponding skill as the origin of this action[22]. So, in a situation where I ride a bike I am actively riding it but I am not actively reflecting upon what I am doing at that moment. Reading situations are usually quite different from this which is why, with respect to literature, Köppe’s definition is more adequate: What we can learn from literature has to be reflected upon first before we can apply it to our everyday lives. When engaging with literature we are bound to a passive and receptive stance where the actions of others are presented to us and where we can develop evaluate attitudes towards them such as if they are good or bad, reasonable, etc.
 
Such attitudes are gained by cultivating so-called evaluative feelings towards entities of the fiction and by actively bringing them to mind[23]. It is only then that we can talk about having gained practical knowledge. This knowledge then consists of being able to evaluate different courses of action, to hold and reflect certain principles of action, and to possibly change our attitude towards them[24]. Also, we can train our cognitive abilities when judging our own or someone else’s actions[25].
 
Scholz, too, emphasises literature’s potential to sharpen our power of judgement and imagination when it comes to principles of action and what we think of them. In sum, he speaks of so called cognitive goals and identifies five of them: enhancing our faculty of sensorial discrimination, becoming aware of unknown aspects when regarding persons or things, developing new mental organisation patterns, improving our moral judgement and emotional sensitivity, and acquiring justified true beliefs[26].
 
The reason for me to pursue this analytical approach is for its practicability in textual analysis. Contrary to the first two, the analytical approach is a systematic one with its main focus on the text. Instead of clarifying the cultural background or rhetorical makeup, the terms of this approach allow us to clearly name the kind of knowledge that we can learn from literature. We can identify different courses of action as practical, or facts about the world as theoretical knowledge solely by analysing the text, and as I aim to identify textual devices of conveying knowledge my concern is not with the cultural or historical context but with the text itself. Especially when analysing science-in-fiction, a genre that is distinctly characterised by its authenticity, assumptions about its cultural importance or its rhetorical makeup are pushed into the background by the question what we can learn from it.
 
3. Science-in-fiction
‘Science-in-fiction’, a term coined by Carl Djerassi, is often described as a rich source of all three kinds of knowledge which is why I consider it adequate to illustrate my argumentation. We can learn from it a great deal about scientific discoveries and facts, research processes, behavioural patterns and rules in academia, or about academia in general. Djerassi has discussed the term quite often, but still there has not been a systematically profound investigation, e.g. in genre theory, on what exactly the concept comprises. Although this investigation is, of course, not a goal of this paper, I shall give a brief account of what I consider typical of the genre.
 
Firstly, the subject of science-in-fiction clearly is scientific. This includes subjects from the natural sciences as well as from the humanities. Thereby, science-in-fiction can, on the one hand, describe a certain content, such as scientific discoveries, theories, methodology, experiments, formulas, or any other scientific and complex states of affairs. On the other hand, it can be about the circumstances in which science is done, such as places (e.g. labs, campuses), contexts (e.g. cultural significance, moral problems, politics, meta-scientific discussions/talk about science itself), or people (e.g. scientists, their social environment, students).
 
Secondly, the characters and the setting are also « informed by direct involvement with scientific knowledge »[27]. They can either be fictional, as mostly deployed by Djerassi, or historically authentic, as in historical fiction about a scientific discovery (e.g. by John Casti, Alan Lightman, Daniel Kehlmann, or Janna Levin).
 
Finally, science-in-fiction can be characterised by its demand for authenticity. Authenticity can, on the one hand, be created by certain modes of presentation which include, for example, popular scientific jargon[28], footnotes or references, forewords, author’s notes, notifications on the verso of the title page, etc. On the other hand and more importantly, authenticity already is an essential property of the genre, contrary to e.g. science fiction. The first, unlike the latter, as Djerassi points out, has to be plausible, because for « fiction to smuggle scientific facts … it is crucial that the facts behind that science be described accurately »[29]. In other words, science-in-fiction per se is a literary genre where science, scientific facts, and/or scientific personnel are described authentically and accurately, which makes it a very suitable case for illustrating the following literary techniques to convey knowledge.
 
4. Literary Strategies of Conveying Knowledge
As I have stated earlier, I assume that special techniques become effective when learning from literature. I do not claim that by employing these techniques the conveying of knowledge necessarily has to be successful, for there can be several reasons that prevent readers from gaining knowledge, such as already knowing what is being told, or misunderstanding crucial details. It is also not my intention to speak of these techniques as the means to learn something from a novel but as devices that make it easier to learn something. Furthermore, I neither claim that my list of devices is complete nor do I think that literature’s greatest or only merit is the conveying of knowledge. Still, I claim that its epistemic value is a distinct one compared to the epistemic value of e.g. scientific literature. I agree with Simon Mawer, who characterises what makes learning from literature genuine by describing his novel « Mendel’s Dwarf » in contrast to « a textbook [from which] you get the familiar dusty story about Gregor Mendel and his peas »[30]: Whereas « [s]cientists are logic and facts[,] writers are imagination and fantasy »[31]. Imagination has often been claimed to be involved when learning from literature[32] as well as other factors like empathy, or the creation of a vivid model of reality, or decidedly selected parts of it. In this respect, literature plays a unique role when serving as a source of knowledge.
 
4.1 Simplification
It has often been stated that literature is a complex or fine-grained kind of engagement[33] and this claim definitely does not lack examples. But what about the other way around ? Does literature also simplify complex states of affairs ? In the novel « Einstein’s Dreams » by Alan Lightman, Einstein’s theory of relativity is introduced to the reader through thirty dated chapters, each of which describes a dream Einstein has during the year 1905 when he, among others, publishes his famous remarks on the special theory of relativity. In each of these dreams, visions of the world are created where the conception of time is always different. One of the chapters is dated « 29 May 1905 » and in it everyone is constantly in motion:
 
A man or a woman suddenly thrust into this world would have to dodge houses and buildings. For all is in motion. Houses and apartments, mounted on wheels, go careening through Bahnhofsplatz and race through the narrows of Marktgasse, their occupants shouting from second-floor windows. […] No one sits under a tree with a book, no one gazes at the ripples on a pond, no one lies in thick grass in the country. No one is still.
Why such a fixation on speed? Because in this world time passes more slowly for people in motion. Thus, everyone travels at high velocity to gain time.
Since time is money, financial considerations alone dictate that each brokerage house, each manufacturing plant, each grocer’s shop constantly travel as rapidly as possible, to achieve advantage over their competitors. Such buildings are fitted with giant engines of propulsion and are never at rest. Their motors and crankshafts roar far more loudly than the equipment and people inside them.
[…] In this world of great speed, one fact has been only slowly appreciated. By logical tautology, the motional effect is all relative. Because when two people pass on the street, each perceives the other in motion, just as a man in a train perceives the trees to fly by his window. Consequently, when two people pass on the street, each sees the other’s time flow more slowly. Each sees the other gaining time.[34]
 
At first, this passage seems just to depict a fantastical world that does not have anything to do with reality. We might also find it humorous that the thought of time as money serves as the basis for a satirical account of a capital-driven society where it is common practice to set buildings in motion in order to achieve a higher profit than others. But beyond that, the basic idea of the special theory of relativity is made easier to understand. It suggests that when an object gets closer to the speed of light, time slows down. This idea is based on the assumption that the speed of light is an absolute constant, whereas the flow of time is not. Time flows at a different rate for someone moving than for someone standing still. Einstein proved this by showing that two simultaneous events cannot be looked upon as simultaneous when observed from a point that is moving. In his paper « On the Electrodynamics of Moving Bodies » he explains this in « § 2. On the Relativity of Lengths and Times » by imagining a rod with two ends A and B where clocks synchronous to a stationary system (i.e. the universal constant of the velocity of light in empty space) are placed[35]. He continues:
 
We imagine further that with each clock there is a moving observer, and that these observers apply to both clocks the criterion established in §1 [the universal constant] for the synchronization of two clocks. Let a ray of light depart from A at the time tA, let it be reflected at B at the time tB, and reach A again at the time t’A. Taking into consideration the principle of the constancy of the velocity of light we find that
𝑡B−𝑡A=,𝑟AB𝑐−𝑣. and 𝑡”²A−𝑡B=,𝑟AB-𝑐+𝑣.
where rAB denotes the length of the moving rod—measured in the stationary system. Observers moving with the moving rod would thus find that the two clocks were not synchronous, while observers in the stationary system would declare clocks to be synchronous.
So we see that we cannot attach any absolute signification to the concept of simultaneity, but that two events which, viewed from a system of co-ordinates, are simultaneous, can no longer be looked upon as simultaneous events when envisaged from a system which is in motion relatively to that system.[36]
 
The difference between both passages becomes clear in various ways. Firstly, the second passage is not in any way fantastical, because no moving buildings are assumed as natural. Secondly, the first passage exaggerates in a humorous way what is explained neutrally in Einstein’s paper. Thirdly, the first passage employs an image most of us are acquainted with: sitting on a train and watching the landscape « fly by the window ». The second passage recounts a carefully staged experiment with rods, clocks, and rays of light that the average reader surely has not conducted by himself. Finally, and most important to make clear the principle of simplification is that the second passage is much more complex when compared to the first. This complexity is evoked by the natural use of mathematical expressions and the formula which does not require basic explanation. Also, the mode of presenting the experiment is that of being self-evident. A reader who does not know about mathematics and experimental physics most probably remains clueless when trying to figure out what the fraction ,𝑟AB𝑐−𝑣. means. What can be achieved by the passage from the novel, however, is the reduction of this complexity. In this case, reduction is obtained by exaggerating (of course there will always be someone sitting under a tree reading a book), employing speculative fiction (rapidly moving buildings with roaring engines and flying post offices), using vivid examples (imagery and common places such as « ripples on a pond », people « gaining time », « Time is money »), and by referring to experiences most average readers share (sitting on a moving train, and walking through the streets noticing others passing by). So, while struggling with Einstein’s original remarks, Lightman’s novel version breaks down a highly complex state of affairs from experimental physics to a situation everyone can imagine easily.
 
Simplification in the case of scientific fiction therefore seems an effective technique to communicate to « the scientifically uninformed reader »[37] that « science is approachable »[38] by reducing complexity. What we can learn from the literary passage are mainly propositions such as « Time is relative to a moving person or object », which can be verified/falsified in relation to what is true outside the fiction.
 
4.2 Exemplification
There are two ways of how exemplification can be described: marked and unmarked. The first is a common rhetorical device and occurs when one explains an abstract issue by using a concrete and vivid example case. This ‘giving of an example of something’ is natural for every sort of communication, written or oral, artistic or scientific. In Rebecca Goldstein’s novel « The Mind-Body Problem » there is an illuminating example (!) for this. The protagonist’s friend and later husband, mathematician Noam Himmel, explains to a fellow at a party the difference between the concepts of ‘trivial’ and ‘obvious’ in mathematics and logic by giving an abstract account of the different extensions, and finally making his point by expounding a joke:
 
« You know the old joke about the professor who says that something is trivial and is questioned on this by a student and goes out and works for an hour and comes back and says, ‘I was right. It is trivial.’? » He paused for the laughter to stop. « Well, » he concluded, « you couldn’t substitute ‘obvious’ for ‘trivial’ in that joke. »[39]
 
Noam achieves to clear up the difference by showing a particular case where the two words are not exchangeable. He rhetorically marks the example by introducing it after the general explanation.
 
Sometimes it is not only a marked passage in a novel which serves as an example, but it can also be the whole plot, the characters, the setting etc. This is what brings us to the unmarked kind of exemplification which can be described as ‘being an example for something else’. Let me illustrate this with a passage from another work of science-in-fiction. In Djerassi’s « Cantor’s Dilemma », the character Leah, graduate student in literary criticism, acts as a foil for illuminating the complexities of academia. At a dinner party, her roommate Celestine Price, her boyfried Jeremiah Stafford, a postdoc, and Jean Ardley, all situated in the research field of biochemistry, are present when Leah raises the following question:
 
« When and where are you going to publish Celly’s results? Isn’t there competition breathing down your neck? »
« There sure is. I’ve heard that Schooley’s group in Palo Alto is nearly there. But we’ll have the paper finished by the end of next week and then send it to PNAS. »
« Who’ll submit the paper for you? »
« I thought I’d ask Roger Guillemin in La Jolla. »
« Why Guillemin? » asked Stafford. « You need a Nobel Prize winner to do this for you? »
« Of course not. It’s just that I know him well. […] »
[…]
« Wait a minute, just wait a minute! » Leah couldn’t hold back any longer. « Before you people jump to still another subject, what does PNAS stand for? »
« Proceedings of the National Academy of Sciences, » said Stafford, « […] It’s only the most prestigious journal in our field. »
« Now […] will you explain to me why you need somebody to submit your paper to the PNAS? If I want to send a paper to a journal in my field, to Critical Inquiry or Semiotica or Diacritics, I simply do so – I, Leah Woodeson, not my professor, and most certainly not some surrogate, who has nothing to do with my work. Before you answer that, I might as well ask my second question: how come you’re publishing Celly’s work with her?
[…] Wasn’t Celly the one who did all the work? My adviser suggested the topic for my Ph.D. thesis but she isn’t going to put her name on my articles. »[40]
 
The passage contains many aspects worth of discussion but one topic is salient here: the situation of the young scientist Celestine who needs to publish her research results. What is shown in this passage is that she comes across quite a few problems, three of which are being addressed here and can be labelled ‘competition,’ ‘being vouched for by an authority in the field,’ ‘discrepancies between who did the work and whose name appears on the paper.’ Also, there seems to be quite a discrepancy between the procedures in the sciences and the humanities, as Leah points out.
 
Celestine’s situation acts as an example for typical aspects those situations display where young scientists in general need to present their results to the scientific community. The three problems identified above can be counted as such aspects. So, in other words, Celestine’s situation in the novel exemplifies three major problems a scientist has to face at the beginning of his/her career. Contrary to Celestine, Leah is not confronted with these problems. What she shows to the others by explaining the common practices of her field is almost opposite to what Celestine has to experience. So her remarks exemplify how papers are published in the humanities.
 
Although Scholz’ conception of exemplification is derived from a very particular understanding elaborated by Nelson Goodman in connection with visual art, and although this conception is not to be transferred one-to-one to works of literature, one can still assume that exemplifications such as those described just now give the reader what Scholz calls ‘epistemic access’ (« epistemischer Zugang ») to what is exemplified[41]. Accordingly, a reader who is no member of academia and who has therefore not been acquainted with the process of publishing at an early career stage can learn from this passage that in the natural sciences
– you have to reckon rivalry and therefore be quick concerning the appearance of the article (« […] Schooley’s group in Palo Alto is nearly there. But we’ll have the paper finished by the end of next week. »),
– to be successful you should find an authority who is willing to avow for your results (« Who’ll submit the paper for you? »), and
– you should not publish alone even if you have done the work all by yourself (« […] how come you’re publishing Celly’s work with her? »)
 
Additionally, a reader who is unfamiliar with certain differences in disciplinary cultures can learn that these three aspects do not pose a problem in the humanities. Thus, exemplification acts as a device to convey knowledge. This knowledge is first and foremost theoretical (« I know that one has to reckon rivalry. ») but it can also make us think about our own involvement in such situations by reflecting upon and cultivating evaluative feelings towards them: « If I were scientist, » the non-scientist reader might ask himself, « would I behave according to what Celestine does, or would I try to act like Leah and protest against these behavioural patterns? Would I accept these conditions for entering the scientific community, or would I rather not live with it? Would I or would I not feel bad about it? » Leah seems to be a character who could not adopt the « slave driver-like behaviour » Djerassi talks about[42], so she represents one option of how the reader could act. These options are part of the next chapter.
 
4.3 The Demonstration of Options and Representative Discussions
As in Leah’s case, literature can also offer us what has often been called « knowledge of possibilities »[43]. According to Köppe, literature can give us theoretical knowledge about different courses of action. To turn it into practical knowledge, we have to cultivate evaluative feelings towards them (as mentioned earlier). Now, one great asset of literature is that the reader can learn about courses of action from both, the first person and the third person perspective[44] because works of literature can convey an impression of how a person feels about something he/she does, what his/her motivations are, etc. At the same time, an outside perspective is established when other characters or the reader himself evaluate the actions of that character from an analytical position. This possible shift in perspective often leads to a dilemma when evaluating a, for instance, tricky moral situation such as in Jennifer Rohn’s novel « The Honest Look ». Protagonist Claire Cyrus works for a biotech company that, among other things, conducts experiments in order to find a drug against Alzheimer’s disease. When accidently making a mistake and having to analyse a cell fluid manually, Claire makes a terrible discovery: The drug she and her research team designed is useless for humans, even though effective on mice. After having run the analysis over and over again throughout the night, she is asked by her colleagues how another experiment went which she had to do in the first place, before the discovery. Among her colleagues is Alan, on whom she has a crush and whom she admires. What goes on inside her mind and how she finally reacts is described as follows:
 
She had been ambushed before coming up with a plan. Part of her thought it was far too soon to be drawing any conclusions, that it would be better to say nothing. […]
But she felt honour-bound to tell the men immediately. She had told little lies her entire life, as most do, but never about an experimental fact. To do so would be despicable, and would violate every code of the profession. And if she was right, what about the Alzheimer’s patients who would soon receive the new drug? Giving them such false hope would be a crime ”’ especially if they could have received a more effective drug instead.
[…]
Her heart began to thrum, the heat of her physical reaction to his [Alan’s] presence slowly overwritten by the chemicals icing into her bloodstream. She could not lie, she could not possibly lie.
[…] He had his way of closing down, warm flesh turning to stone. After she confessed, he would lose interest in her.
« No », she said. « It went really well, just as we predicted. »[45]
 
The reader witnesses a moral struggle within a character’s mind which results in a displacement activity. Claire’s thoughts seem straight and rational at first when she firmly reassures herself that she is bound by honour to tell her colleagues. As soon as Alan’s presence affects her, however, her emotions seem to take over and lead to the lie. The reader is invited to evaluate the situation by judging if what Claire did was bad, understandable (because she was overtired and confused by Alan’s being there), intolerable, irrational but precisely because of that all too human, or else. If, for example, the reader comprehends Claire’s reaction because, as she realizes, she did not prepare herself properly, she is tired, confused, and desperate, it might be because he can understand[46] her by once having made a similar experience, or by finding the characterisation quite plausible from her point of view. If the reader cannot develop any compassion because he thinks that, especially in a situation such as this one, the responsible person should think straight, then he might not accept the described thoughts as an excuse for Claire’s actions. By establishing these evaluative feelings, the reader can draw conclusions for his own course of action should he ever be in moral dilemma of similar gravity. He can also sharpen his competence in judging others who act or do not act like Claire in comparable situations[47].
 
Besides this practical knowledge about courses of action I shall introduce another way to show different options. This one mainly leads the reader to earn theoretical knowledge and to train his/her reflective faculty. In John Casti’s « The Cambridge Quintet », a fictive dinner party is arranged by the famous novelist and physicist C.P. Snow who invites Alan Turing, J.B.S. Haldane, Ludwig Wittgenstein and Erwin Schrödinger to Christ’s College in Cambridge to discuss the question if a machine could think. During the dinner, Turing presents the others with an early version of the Turing Test, called the « Imitation Game », which he thinks is suited for the determination of rules in human behaviour in order to create a thinking machine. He thereby draws on behaviourism and the idea that externally observed actions can serve as parameters for human intelligence tests. Haldane is the first around the dinner table to protest by throwing in the argument that machines « cannot […] show any kind of conscious emotional reactions. So it seems to me that the only way we could be sure that a machine thinks is to actually be a machine. »[48]. Naturally, Turing starts to defend himself by calling Haldane’s objection solipsistic and defending his « Imitation Game » as an obviously functioning intelligence test. As this argument does not satisfy the others, Snow argues that
 
the machine can only do what we order it to do. It has a particular set of instructions that constitute its program, and these instructions are slavishly followed […]. So I don’t see how the machine could ever display unpredictability, free will, inconsistency or any of the many other things we see in everyday human behaviour.[49]
 
Turing, in turn, yields an argument of quantity: As the number of possibilities for actions and consequences are quasi-infinite,
 
it’s very unclear what kind of quantities will be computed over the course of a computation that’s being carried out by following a given set of rules. Even if the rules are simple when taken individually, going through a succession of many thousands ”’ or thousands of millions ”’ of steps using such rules can easily generate entirely unexpected quantities.[50]
 
More arguments are exchanged as the discussion proceeds but the point should be clear. Each character stands for a certain view and certain opinions that come along with it. As one of these views is elaborated, counterarguments necessarily follow. What the reader can observe here is a critical debate wherein one issue is being looked at from various angles. Debates such as this one surely need not be presented as overtly as in this case ; they can also be performed more subtly, for example when two characters epitomise different attitudes, and their fight or discussion represents arguments typical for the given attitude. This character of negotiation bears two benefits for the reader: Firstly, he is introduced to the practice of critical reasoning because the account of more than one opinion requires the reader’s ability to relate to the understanding of what and how different positions are being motivated and justified. Through comprehending different approaches, the reader’s reflective sensibility can be brightened, and he can better understand what it means to discuss a complex subject with serious arguments. Secondly, if the reader is not acquainted with the subject that is presented in the novel, it can easily occur that he/she assumes the role of the pupil, or that there is a character that assumes it for him/her. In Simon Mawer’s « Mendel’s Dwarf », for example, the protagonist Benedict Lambert, a geneticist who suffers from dwarfism and tries to isolate the gene that causes his condition, meets his former crush Jean, a librarian by profession, who asks naïve questions which Benedict answers in the role of the teacher. Moreover, Benedict sometimes even asks test questions that are addressed to the reader: « A test question: Who praised masturbation as the perfect sexual relationship, because it is the only one in which pleasure given is exactly equal to pleasure received? Answer: Jean Genet. »[51]
 
Thirdly and finally, as the reader might have already formed his own belief about certain issues before reading the book, counterarguments can challenge his view and, in some cases, lead to a permanent change of beliefs[52]. So, for instance, if a reader intuitively thinks that machines could reach the capacities of a human brain, Casti’s novel confronts him with some strong counterarguments. If the reader finds them convincing instead of Turing’s arguments, and if he/she does not have a valid objection him/herself, Casti’s novel might cause such a change of beliefs[53].
 
Here, we can see what I mentioned earlier with respect to the epistemic value of literature: What makes this mode of presentation special compared to non-literary texts such as in thought experiments, non-fictional, or educational literature is that « stories cultivate our ability to see and care for particulars »[54] and thereby serve as ‘training ground’ to perceive relevant aspects of a situation[55]. Casti’s fictive discussion gives a more detailed, multi-layered, and vivid account of how a scientific and philosophical debate works than any description in a textbook, where, indeed, you can find what an argument consists of, but not how to use it effectively while defending your position in real-life situations. What a reader learns from these discussions is practical knowledge in the sense that he sharpens his ability to reason (rationally and morally), and that he gets a feeling for how to engage in a sophisticated discussion. Also, he can gain theoretical knowledge by being presented with arguments he has not thought of before.
 
4.4 Internal focalisation and immersion
What Nussbaum states and what Köppe calls the cultivation hypothesis (« Kulturvierungshypothese ») can also be affirmed by what has been called « internal focalisation » in narratology, in other words: the perception of the environment through the eyes of a/the character. It is not only a special asset of literature to show courses of action from different perspectives, as mentioned before, but also to give insights into a character’s innermost thoughts and feelings. Whereas in everyday life we can only observe others in their behaviour, mimics, and statements, literature gives us detailed accounts about what goes on inside a character’s mind. These descriptions can sometimes turn out to be so vivid that we are being transported into the story, and it seems as though we experience the world within the fiction as if we were the character himself. What happens here is that, as David Novitz explains,
 
our imaginative involvement in fiction allows us to respond emotionally or feelingly to the tribulations and triumphs of creatures of fiction. It is as a result of these experiences […] that we often come to hold certain beliefs about what it must feel like to occupy situations akin to those of our favorite heroes and heroines.[56]
 
Dorothy Walsh has coined this experience as « knowing by living through »[57], which is essentially the same kind of knowledge as « knowing how it is »[58]. There can be arguments found against a strong reading of Walsh’s idea which question the quality of our experiences when living through something by reading a book compared to the experiences we actually go through. Still, works of literature can give us insight into how situations can feel like, e.g. in « Mendel’s Dwarf ». As mentioned earlier, Benedict is afflicted with achondroplasia (i.e. dwarfism). He is exceptionally intelligent and after years of constant research on the gene that causes his condition, he becomes a respected member of the scientific community. His commitment to science sometimes even seems obsessive ”’ sometimes so obsessive that the reader struggles to understand him. After Benedict meets his former crush Jean again, and they both become involved with each other, he experiences the following:
 
So it was in all-forgiving and all-absorbing darkness that we actually coupled. Sometimes it was funny ”’no, at first it was always funny ”’ and sometimes it was ecstatic. Often we laughed; sometimes we wept; and occasionally, I had the sensation that I was almost freed from my bonds. Whoever, whatever, tied the knots of this tortured and twisted body of mine, for those few weeks Jean’s agile fingers began to loosen them. Sometimes I felt that her perfect body was almost consuming my own, the beautiful engulfing the ugly, the good swallowing up the evil; but on other occasions I sensed that I was fouling her.[59]
 
What Benedict describes seems like a release from his condition through physical contact and loving engagement with Jean, but there are still moments when even in a state of intense experiences (« her perfect body was almost consuming my own ») he cannot entirely forget about his short stature (« almost freed », « almost consuming », « for a few weeks », « Jean’s agile fingers began to loosen »). He is too much aware of his condition to be switched off for moments of pleasure, and he even draws a sharp contrast between Jean as the « perfect » and « agile », « beautiful » and « good », and him, the « ugly » and « evil », who even feels as if « fouling her ». Nevertheless, his longing for Jean becomes fully apparent when Benedict seems as though he has to get a grip of himself when he says: « You may have detected a change of tone in that passage. Benedict Lambert has lost his sharp, sour cynicism. But I’ll bring it back, don’t worry. »[60]
 
Firstly, we are taught that our impression of Benedict as an arrogant cynic is not entirely justified. Secondly, his showing to the reader how sad and self-loathing his existence can be, allows the opportunity to fully comprehend what Benedict suffers from emotionally, and that this even might be the reason for his obsession with genetics. Of course, one can argue that the reader does not really live through what Benedict has to undergo[61], since the average reader most likely does not suffer from achondroplasia. But even so the reader can still become acquainted with the consequences of Benedict’s condition for his social life[62]. So what the reader learns through internal focalisation is the view from within a character’s mind which brings him to better understand what the character really feels when sometimes acting in a different way ”’ precisely one of the cognitive goals Scholz emphasises when claiming that we can become aware of unknown aspects when regarding persons or things[63].
 
Closely related to this view from within is what has been called immersion or narrative transportation. What happens when a reader is immersed in a work of art is often described as absorption or « recentering » of attention[64] by going through what Berys Gaut called « experiential imaginations »[65]. Although it is not the place here to discuss this in detail, I would like to briefly mention one important aspect about immersion. Not all works of art have the same immersive quality ; some even are intended to not transport the reader by creating a distance e.g. through formal features. A lot of theorists have tried to name characteristic features of literature that have the potential to transport its reader into the story world. Mostly, they agree upon two: the illusion of reality and the concealing of the artworks’ mediatedness. These two features can be created in various ways, for example by employing vivid descriptions and language, avoiding formally complex and difficult specialties of style, and adhering to coherence and cohesion concerning the contents and the textual structure. In my following example, I shall show briefly what this means[66].
 
Again in « The Honest Look », shortly before Claire makes her devastating discovery, there is a moment when Claire’s day to day life at the lab is described:
 
Claire was now completely captivated by her research. For the first time in her life, she was experiencing the crushing momentum familiar to a certain class of scientists who, once they sense the nearness of truth, cannot rest until it is captured. Yet this truth, safely on hand, only leads to more questions and further truths demanding to be revealed in turn. It is the momentum that wins Nobels and destroys relationships; the mind drives the body far beyond the limits of physical endurance. Sleep, food and companionship become secondary pursuits, sublimated into the need to do just one more experiment.
In fact, most life scientists no longer do just one experiment at a time: hypothesis, experiment, conclusion, taking the luxury to ponder the next step before beginning the cycle anew. Instead, they multitask a dozen independent hypotheses at once each spawning yet more possible experiments. The scientist knows that only one of the dozen is likely to work, but twelve experiments in one week eliminates eleven bad ideas much faster than the same tests spread sequentially over twelve weeks. Through the blur of moments speeding by, one might hear one’s wife say, you’d be much more efficient of you got some sleep, or one’s husband murmur, what difference will twelve weeks make in the grand scheme of your scientific career? One might know these questions to be wise, but one simply cannot heed. One is in thrall. Claire was in thrall.[67]
 
Although the perspective can be described as internal focalisation[68], there is clearly more to it than a description from Claire’s perspective. By evoking certain feelings that the average reader most likely is acquainted with and which therefore are quite realistic (such as the lack of sleep, stressful situations, the thrill of accomplishing something exceptional, or getting bogged down in too much work) he/she is able to empathise or sympathise with Claire[69]. The reader might pity or admire her; he/she can hope for her to find the truth she is looking for or he/she can wish for Claire’s life to stop being to exhausting. Apart from that, the scientifically uninformed reader can compare Claire’s experiences (and with it the experiences of scientists in general) to his own. That is what makes « narrative events seem more like personal experiences »[70]. What the reader knows in a rather personalised way is, in this passage, refined with respect to the special situation of a scientist. Thereby the reader is being shown what it is like to be a scientist when the author uses vivid pictures and language: Together with Claire, the reader is « captivated » and is « experiencing the crushing momentum » that « wins Nobels and destroys relationships » and « the limits of physical endurance » which puts a person « in thrall » when coming to grasp truths. Finally, « transportation [contrary to representative discussion and the demonstration of options] reduces counterarguing about the issues raised in the story »[71] because, in this case, the narration from Claire’s perspective is not interrupted by a different perspective. So, what the reader learns from this passage is what it is like to be a scientist: he/she learns that the scientific search for truth can be a passionate, yet sometimes obsessive process and that the commitment to it can even feel self-destructive, slave-like, and blurry. It is worth here to note that this knowing how it is like to be a scientist can also be articulated as e.g.: « I know that it is exhausting to be a scientist ». This knowing that as verbalisation of knowing how it is like does not imply that this works in both directions: When a reader knows that it is exhausting to be a scientist he might still not know what it is like. To know what it is like requires him/her to have gone through the same or a similar experience. Even though literature might not evoke the actual experience it still can give an in-depth look and might at least suggest what it is like.
 
So, for someone not acquainted with the everyday life of scientists or for someone who even espouses the romantic idea of scientists as great explorers and inventors who are somewhat sympathetic coots, passages such as the one above might function as an eye-opener. Especially narrative transportation can count as an effective device for the reader to adopt a new view, as most prominently Melanie Green has shown in various empirical studies[72].
 
5. Conclusion
As I have shown, there is a variety of devices that facilitate our learning from literature and there surely are more of them to be discussed, especially when aiming for a systematic account. But what makes it worth to look further into knowledge conveying devices in literature ? I claimed earlier that the epistemic value of literature is genuine compared to the one scientific literature has. If nothing else, it is because such devices are employed, that this value is formed. Simplification has proven to reduce very (and sometimes too) complex states of affairs for the average reader so that he can follow more easily. Exemplification gives the reader a concretisation of what is oftentimes too difficult to understand or too farfetched to imagine when explained in a general or abstract way. The demonstration of options and representative discussions can teach us about alternatives and different angles when reflecting upon a certain state of affairs. Moreover, they can even sharpen our faculty of judgment, for example when confronted with complex moral dilemmas. Similarly, internal focalisation shows us the innermost feelings and thoughts of others so that when can better understand what drives them and what leads them to certain decisions. Finally, the immersive quality of literature can give us an impression of what it is like to be in a certain situation or to feel like someone else. Not all of these devices are exclusively literary, but combined with what distinguishes literature from other sorts of texts (Mawer’s « imagination and fantasy » vs. « logic and facts »), their full potential can be unfolded.
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
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[1] In what follows I shall use the term ‘literature’ synonymously for both, works of fiction and works of literature.
[2] For an overview see T. Köppe, « Literatur und Wissen: Zur Strukturierung des Forschungsfeldes und seiner Kontroversen » in T. Köppe (dir.), Literatur und Wissen. Theoretisch-methodische Zugänge, Berlin and New York, Walter de Gruyter, 2011, p. 1-28.
[3] For some prominent cognitivist and anti-cognitivist positions see B. Gaut « Art and Knowledge » in J. Levinson (dir.), The Oxford Handbook of Aesthetics, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 437.
 
[4] These approaches are not exclusively German in origin. ‘Poetics of knowledge’, for instance, draws on ideas from Michel Foucault or Gaston Bachelard and analytical literary critics (like Oliver R. Scholz whose view I shall discuss below) adopt ideas from American philosophers like Nelson Goodman and Catherine Elgin.
[5] M. Titzmann, Strukturale Textanalyse. Theorie und Praxis der Interpretation, München, Fink, Third Edition, 1993, p. 268. Titzmann hereby speaks of ‘cultural assumptions’ and refers to the wider concept of knowledge in the social constructivism of Peter L. Berger and Thomas Luckmann: M. Titzmann, « Kulturelles Wissen – Diskurs – Denksystem. Zu einigen Grundbegriffen der Literaturgeschichtsschreibung », Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, n° 99, 1989, p. 48 ; K. Richter, J. Schönert and M. Titzmann, « Literatur – Wissen – Wissenschaft. íœberlegungen zu einer komplexen Relation. » in K. Richter, J. Schönert and M. Titzmann (dir.): Die Literatur und die Wissenschaften 1770–1930 (Walter Müller-Seidel zum 75. Geburtstag), Stuttgart, M&P Verlag für Wissenschaft und Forschung, 1997, p. 9-36.
[6] Titzmann, Textanalyse, op. cit., p. 268.
[7] Titzmann, Textanalyse, op. cit., p. 272 sq.
[8] Richter et al., op. cit., p. 29 sq.
[9] J. Vogl, Kalkül und Leidenschaft. Poetik des ökonomischen Menschen, München, Sequenzia, 2002, p. 13.
[10] N. Pethes, « Poetik/Wissen. Konzeptionen eines problematischen Transfers », in G. Brandstetter and G. Neumann, (dir.), Romantische Wissenspoetik. Die Künste und die Wissenschaften um 1800, Würzburg, Königshausen&Neumann, 2004, p. 367. The expression ‘producing/production of knowledge’ can be considered a prominent phrase in poetics of knowledge. It refers to the assumption mentioned above that what we consider knowledge is a construct.
[11] J. Vogl, « Einleitung » in J. Vogl (dir.), Poetologien des Wissens um 1800, München, Fink, 1999, p. 13.
[12] Introductory remarks can be found in R. Audi, Epistemology. A Contemporary Introduction to the Theory of Knowledge. Third Edition, London and New York, Routledge, 2011, ch. 10, J.J. Ichikawa and M. Steup, « The Analysis of Knowledge » in E.N. Zalta (dir.), The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2014 Edition), http://plato.stanford.edu/archives/spr2014/entries/knowledge-analysis/, accessed 2014-05-07, and P. Baumann, Erkenntnistheorie. Lehrbuch Philosophie, Stuttgart and Weimar, Metzler, 2002, ch. II.2.
[13] Ichikawa and Steup, « Analysis », op. cit.
[14] Baumann, Erkenntnistheorie, op. cit., p. 29.
[15] T. Nagel, « What is it like to be a Bat » in T. Nagel, Mortal Questions, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 168 sq.
[16] T. Köppe, Literatur und Erkenntnis, Paderborn, mentis, 2008, p. 61.
[17] Ibid., p. 161. Köppe uses the phrase « anhand von Literatur » or « anhand der fiktiven Welt »: « Leser können anhand der fiktiven Welt eines Werkes Hypothesen über die Wirklichkeit bilden (‘Wirklichkeitsbezug im weiteren Sinne’). » (Ibid., p. 106, emphasis in original)
[18] N. Goodman and C. Elgin, Reconceptions in Philosophy and Other Arts and Sciences, London, Routledge, 1988, p. 4.
[19] O. R. Scholz, « Kunst, Erkenntnis und Verstehen. Eine Verteidigung einer kognitivistischen Ästhetik » in B. Kleimann and R. Schmücker (dir.), Wozu Kunst? Die Frage nach ihrer Funktion, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2011, p. 39.
[20] P. Lamarque, The Philosophy of Literature, Malden Mass./Oxford/Carlton, Victoria, Blackwell Publishing, 2009, p. 250 sq.
[21] In the original practical knowledge is defined as « gut begründete wertende Einstellungen, in denen eine Person feststellt, dass eine Handlung oder Lebensweise für sie gut, ratsam oder richtig ist » (Köppe, Literatur und Erkenntnis, op. cit., p. 168, emphasis in original).
[22] See for these remarks M. Polanyi, Personal Knowledge. Towards a Post-Critical Philosophy, Chicago, The University of Chicago Press, 1958, p. 56.
56. This hardly expressible kind of knowledge Polanyi labelled ‘tacit knowledge’. See for the discussion of the ‘tacit component’ Ibid., Part II.
[23] « Es genügt nicht, ein wertendes Gefühl zu haben, sondern wir müssen es auch thematisieren und zu begründen versuchen. » (Köppe, Literatur und Erkenntnis, op. cit., p. 181).
[24] Ibid., p. 185 sq.
[25] Ibid., p. 186.
[26] Original: « Kunstwerke können unsere sensorischen Unterscheidungsfähigkeiten erweitern und kultivieren; sie erschlieíŸen uns Züge an Dingen und Personen, die uns sonst verborgen blieben; sie bieten neue Schemata zur Kategorisierung und Ordnung von Wirklichkeiten an; sie schulen die moralische Phantasie und das moralische Urteilsvermögen; sie bereichern und differenzieren unsere emotionale Sensitivität und unsere Selbsterkenntnis; schlieíŸlich können sie uns grundsätzlich sogar zu wahren Meinungen und in der Folge auch zu Wissen verhelfen. » (Scholz, « Kunst, Erkenntnis und Verstehen », op. cit., p. 48)
[27] S. Gaines, « Sex, love, and science », Nature, n° 413, 2001, p. 255.
[28] M. M. Raml, Der « homo artificialis » als künstlerischer Schöpfer und künstliches Geschöpf. Gentechnologie in Literatur und Leben, Würzburg, Königshausen&Neumann, 2010, p. 218.
[29] C. Djerassi, « Science-in-fiction is not science fiction. Is it autobiography? » in C. Djerassi, This Man’s Pill. Reflections on the 50th Birthday of the Pill, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 165.
[30] S. Mawer, « Science and Literature », Nature, n°434, 2005, p. 298.
[31] Ibid., p. 297.
[32] E.g. B. Gaut « Art and Knowledge » in J. Levinson (dir.), The Oxford Handbook of Aesthetics, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 444 or D. Novitz, Knowledge, Fiction, and Imagination, Philadelphia, Temple University Press, 1987.
[33] E. John, « Literature and Knowledge » in B. Gaut and D. Lopes (dir.), The Routledge Companion to Aesthetics. Second Edition, London, Routledge, 2005, p. 420 ; B. Gaut « Art and Knowledge », op. cit., p. 437.
[34] A. Lightman, Einstein’s Dreams, London, Corsair, 2012, p. 69 sq.
[35] A. Einstein, « On the Electrodynamics of Moving Bodies » in H.A. Lorentz and A. Einstein, The Principle of Relativity. A Collection of Original Memoirs on the Special and General Theory of Relativity, transl. by G. B. Jeffery and W. Perrett, London, Methuen and Company Ltd., 1923, www.fourmilab.ch/etexts/einstein/specrel/www/, (accessed 2014-05-07), § 2.
[36] Ibid., emphasis in original.
[37] Djerassi, « Science-in-fiction », op. cit., p. 165.
[38] S. Gaines, « Sex, love, and science », op. cit., p. 255.
[39] R. Goldstein, The Mind-Body Problem. A Novel, New York, Penguin Books, Repr. 1993, p. 40.
[40] C. Djerassi, Cantor’s Dilemma. A Novel, New York, Penguin Books, Repr. 1991, p. 48 sq.
[41] Scholz, « Kunst, Erkenntnis und Verstehen », op. cit., p. 43.
[42] Cf. W. Grünzweig, « Science-in-Fiction: Science as Tribal Culture in the Novels of Carl Djerassi » in P. Freese and C. B. Harris (dir.), Science, Technology, and the Humanities in recent American Fiction, Essen, Blaue Eule, 2003, p. 246.
[43] Several references are given in Köppe, Literatur und Erkenntnis, op. cit., p. 182.
[44] Köppe, Literatur und Erkenntnis, op. cit., p. 183 ; a similar thought has been pointed out by Scholz, « Kunst, Erkenntnis und Verstehen », op. cit., p. 45.
[45] J. L. Rohn, The Honest Look, New York, Cold Spring Harbor, 2010, 102 sq.
[46] Here one can see clearly Scholz’s criticism towards the concept of theoretical knowledge. Goodman and Elgin, whose theory he draws on, speak of ‘understanding’ as « broader in scope than knowledge » (Goodman and Elgin, Reconceptions, op. cit., p. 161). When it comes to understand what makes a person act in a certain way, it is about right or wrong, good or bad, or if we would act in the same way, and this is what strengthens the notion of understanding as a cognitive asset.
[47] Scholz, « Kunst, Erkenntnis und Verstehen », op. cit., p. 45.
[48] J. L. Casti, The Cambridge Quintet. A Work of Scientific Speculation, Massachusetts, Addison-Wesley, 1998, p. 67, emphasis in original.
[49] Ibid., p. 68.
[50] Ibid.
[51] S. Mawer, Mendel’s Dwarf, London, Abacus, 2011, p. 25.
[52] Similarly D. Novitz, « Fiction and the Growth of Knowledge » in J. Margolis (dir.), The Worlds of Art and the World, Grazer Philosophische Studien, n°19, 1893, p. 62 sq.
[53] Belief change is often discussed as a potential outcome when learning from literature in analytic philosophy of aesthetics but there are also empirical analyses that confirm belief change through art in general and in different time stages: short- and middle-term but also long-term belief change. For a detailed empirical study on belief change through fiction see M. Appel, Realität durch Fiktionen: Rezeptionserleben, Medienkompetenz und íœberzeugungsänderungen, Berlin, Logos, 2004.
[54] M. Nussbaum, « Perceptive Equilibrium. Literary Theory and Ethical Theory » in M. Nussbaum, Love’s Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, Oxford/New York, Oxford University Press, 1990, p. 184.
[55] Köppe, Literatur und Erkenntnis, op. cit., p. 187 ; also John, « Literature and Knowledge », op. cit., p. 424.
[56] Novitz, Knowledge, op. cit., p. 120.
[57] See D. Walsh, Literature and Knowledge, Middletown, Conneticut, Wesleyan University Press 1969.
[58] Lamarque, Philosophy, op. cit., p. 244 sq.
[59] Mawer, Mendel’s Dwarf, op. cit., p. 183.
[60] Ibid.
[61] Köppe, Literatur und Erkenntnis, op. cit., p. 200.
[62] Scholz, « Kunst, Erkenntnis und Verstehen », op. cit., p. 45.
[63] Ibid., p. 48.
[64] M.-L. Ryan, Narrative as Virtual Reality. Immersion and Interactivity in Literature and Electronic Media, Baltimore/London, John Hopkins University Press, 2001, p. 103.
[65] B. Gaut, Art, Emotion and Ethics. Oxford, Oxford University Press, Repr., 2011, p. 151.
[66] For a more detailed discussion of the creation of immersion see K. Lukoschek, « Literarische Welten in der text world theory: Zur Beschreibbarkeit von Immersion am Beispiel eines Auszugs aus Truman Capotes Other Voices, Other Rooms » in Christoph Bartsch/Frauke Bode (dir.), Welten erzählen. Narrative Evokationen des Unmöglichen, Berlin/New York, de Gruyter, 2015 (forthcoming).
[67] J. L. Rohn, The Honest Look, op. cit., p. 83, emphasis in original.
[68] At least, a part of this passage can be described as narrated through Claire’s eyes. The other part, from which it is not clear if it is told from Claire’s perspective or that of an omniscient narrator, can still be traced back to someone who knows his way around science.
[69] Lamarque, Philosophy, op. cit., p. 246.
[70] M. C. Green and K. E. Dill, « Engaging with Stories and Characters: Learning, Persuasion, and Transportation into Narrative Worlds » in K. E. Dill (dir.), The Oxford Handbook of Media Psychology, 2012, www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780195398809.001.0001/oxfordhb-9780195398809-e-25 (accessed 2014-05-07), p. 4.
[71] Ibid.
[72] One relevant empirical survey can be found in M.C. Green, J. Garst, T.C. Brock, S. Chung, « Fact versus fiction labeling: Persuasion parity despite heightened scrutiny of fact », Media Psychology, n° 8, 2006, p. 267-85.
 

 




Écriture d’un cas entre psychiatrie et littérature : Lenz de Büchner

Dès 1921, donc environ une décennie après l’introduction du concept de schizophrénie par Eugen Bleuler, le psychiatre Wilhelm Mayer recommandait le Lenz de Büchner comme présentation réussie de psychose schizophrénique. Il lisait le texte comme une caution de sa thèse selon laquelle l’expérience schizophrénique était fondamentalement accessible à la « compréhension empathique»[1], et proposait ainsi une méthode de lecture qui allait faire florès dans la psychiatrie et la critique littéraire du XXe siècle[2]. Selon plusieurs historiens de la littérature et de la psychiatrie, ce genre d’identification est évidemment anachronique. Elle projette la représentation d’une maladie décrite pour la première fois en 1908 sur un texte écrit environ quatre-vingt ans plus tôt, sans s’interroger sur l’historicité des conceptions de la maladie. Dans sa monographie Mélancholie et paysage, Harald Schmidt s’oppose légitimement à de telles identifications, ainsi qu’au diagnostic rétrospectif qui les accompagne, et propose de prendre davantage en compte le contexte psychiatrique contemporain de Büchner dans l’interprétation[3].
Aussi justifiée que soit la critique par Schmidt de ces interprétations anachroniques, par lesquelles la psychiatrie essaie surtout de pérenniser ses propres concepts, il est pourtant nécessaire de poser la question de savoir comment ces applications de catégories psychiatriques – actuelles autant qu’historiques – au Lenz de Büchner sont devenues possibles. De toute évidence, ces interprétations mobilisent des éléments qui sont présents dans le texte. D’une part, il est avéré que Büchner a utilisé des sources psychiatriques dans l’élaboration de ses œuvres– y compris pour les fragments de Woyzeck. Il a puisé dans ces sources des contenus factuels aussi bien que des termes techniques – comme alienatiomentalis ou « idée fixe » (MBA 7.2, H 2, 6). En outre – et c’est ce qui nous intéresse ici – le texte présente des convergences formelles avec des études de cas et des dossiers médicaux en psychiatrie qui, comme je voudrais le montrer dans ce qui suit, doivent être situées au niveau du discours (dans le sens de Gérard Genette). C’est pourquoi le rapport entre Lenz et la psychiatrie ne se révèle pas fondamentalement dans le contenu et les objets, c’est-à-dire en considérant ce qui y est représenté. Il se révèle plus adéquatement quand on tient compte du mode de représentation, du comment, et qu’on le compare avec les formes historiques de la narration et de la notation en psychiatrie. Quels critères formels et quelles pratiques d’écriture ont donc permis de considérer ce texte comme un cas psychiatrique au XXe siècle ?
L’investigation des critères formels se concentrera particulièrement sur trois aspects centraux : d’abord sur les formes de rédaction propres à l’écriture diaristique, c’est-à-dire une écriture organisée par entrée journalière et décrivant les événements au jour le jour, puis sur la représentation de l’évolution et la temporalisation de la maladie, enfin sur la présentation directe de la parole. Comme textes de références en psychiatrie, on mettra à contribution le Manuel des troubles psychiques de Johann Christian Heinroth (1818) ainsi que l’ouvrage de Ludwig Karl Kahlbaum sur la catatonie (1874)[4].
1. Formes de rédaction propres à l’écriture diaristique
À l’époque de la composition du texte de Büchner, la psychiatrie n’était ni une discipline scientifique au sens moderne, ni une branche spécifique de la médecine. Autour de 1830, il n’existait aucune chaire d’enseignement, seules quelques revues spécialisées étaient nées et la plupart avaient pour orientation l’anthropologie ou le droit public. Institutionnellement prédominait ce qu’on appelait les asiles ou les maisons de santé privées, souvent dirigés de façon autocratique par les chefs d’établissement, et ne connaissant guère de nosologies unifiées[5]. Le débat scientifique spécialisé se limitait le plus souvent à des questions d’anthropologie et de théorie de la maladie[6]. La nosographie spécifique constituait certes une partie des manuels existants[7]; néanmoins, elle était souvent contestée et peu standardisée. En revanche, à la fin du XIXe siècle, la psychiatrie est promue au rang de science classificatrice influente, dont la taxinomie recouvre de vastes domaines de façon organisée, et qui a établi l’expérimentation ainsi que la dissection anatomique du cerveau comme méthode heuristique de la recherche. Le récit de Büchner se situe au commencement de cette transformation. D’un côté, on peut le rattacher à la psychiatrie asilaire (Anstaltspsychiatrie) et à son approche anthropologique[8], d’un autre côté le récit indique des éléments d’une nosographie psychiatrique qui reflète le développement d’un système de classification standardisée. Sur ce point, le mode de rédaction propre au journal joue un rôle considérable.
Le texte de Büchner– tout comme son modèle principal, le rapport du pasteur Johann Friedrich Oberlin rendant compte du séjour du poète Jakob Michael Reinhold Lenz chez lui à Waldersbach, dans les Vosges, du 20 janvier au 8 février 1778 – est organisé chronologiquement. Il couvre une période de quelques semaines, qui correspond au séjour du poète historique J. M. Lenz à Steinthal. La façon dont cette période est structurée au sein du récit mérite d’être signalée. La journée est l’unité de temps principale, et le lever du jour est consigné à une fréquence remarquable. Lenz commence par l’indication d’une date : « Le 20, Lenz passa… »[9], la séquence temporelle s’étend jusqu’au matin après l’arrivée et dépeint l’agitation nocturne ainsi que l’épisode de la fontaine. La première journée est introduite par les mots : « Le jour suivant » (p. 173). Puis suit une indication de date assurément plus vague : « Un matin » (p. 175), suivie de nouveau par les indications : « Un matin » (p. 175), « Vint le matin du dimanche » (p. 176), « Le lendemain matin »[10], « Le lendemain » (p. 181), « Le 3 février » (p. 184), « Le lendemain » (p. 185), « Quelques jours plus tard » (p. 185), « Le lendemain matin » (p. 187), « Le matin du 8 » (p. 191).
Au total, le texte allemand contient huit fois la dénomination « matin » (« Morgen »), il y est trois fois question du « jour suivant » (« am folgenden Tag »), et à quatre autres endroits se trouvent des indications de dates plus ou moins complètes. Tandis que la dénomination « matin » et « jour suivant » prend à chaque fois la journée comme unité de temps et que le narrateur, à chaque nouvelle journée, recommence également un nouveau récit, l’indication de date rattache l’ensemble du texte à un autre niveau. En outre, des événements concrets sont assignés à chaque journée particulière, comme dans le journal intime ou la chronique. Le premier jour a lieu l’excursion à cheval en commun, le deuxième jour une promenade, le troisième le sermon. Puis suivent des discussions sur le somnambulisme et l’art. Une rupture de l’unité de temps « jour » se produit après le départ d’Oberlin, lors de la visite à la cabane qui s’étend sur une période plus longue, et qui, en plus de la nuit, inclut également la matinée suivante.
En revanche, les trois indications de date se trouvent à trois points stratégiques du récit et sont plus ou moins complètes en fonction des éditions du texte. Des indications de date concrètes sont relevées pour le jour de l’arrivée (« le 20 »), le milieu du séjour de Lenz (« le 3 février ») et le jour de l’automutilation (« le matin du 8 »). Manifestement, elles caractérisent des événements particulièrement significatifs : le 20 janvier est le jour de l’arrivée de Lenz à Steinthal. Le « matin du 8 » a lieu la dernière automutilation, et c’est alors qu’il s’en va.
La majorité des indications de date et de temps ont été empruntées par Büchner au texte d’Oberlin, qui est également organisé chronologiquement[11]. Ce n’est qu’à deux endroits qu’il s’éloigne de ce modèle et qu’il ajoute quelques indications personnelles, une fois pour une indication de jour, une autre pour la dernière indication de date. La comparaison avec le modèle révèle que Büchner a directement recopié le rapport d’Oberlin, qu’il a adopté les formulations du rapport ainsi que les indications de date dans la composition de Lenz[12]. Le mode de notation du journal se situe donc d’abord en corrélation avec un modèle concret. Mais ce mode d’écriture se situe également dans un contexte historique plus vaste. La pratique de la prise de notes est en rapport avec le journal intime, qui choisit également la journée comme séquence temporelle et qui est largement répandu au XVIIIe siècle comme forme de rédaction religieuse, biographique ou quotidienne et pratique. Plus largement, on peut trouver des rapports évidents avec le genre historique de chronique. Mais en même temps, et cela est plus décisif pour notre propos, le mode d’écriture du journal présente des parallèles avec des formes de rédaction médicales, particulièrement avec ce qu’on a appelé les « journaux de malade » (Krankenjournale). On entend par là un genre qui était courant au XIXe siècle et pour lequel la journée était également l’unité de temps. Les journaux de malade étaient en usage autant dans les cabinets médicaux que dans les hôpitaux et ils étaient souvent rédigés au brouillon. On pense notamment au journal de Samuel Hahnemann, médecin allemand et fondateur de l’homéopathie[13] dont les pratiques d’écriture peuvent être reconstituées grâce à une nouvelle édition : après l’indication de la date, Hahnemann note le plus souvent le nom des patients, l’histoire de la maladie et la prescription. Contrairement aux journaux de cabinet, les journaux d’hôpital consignent l’histoire de la maladie dans son ensemble, sur plusieurs jours. La prise de notes survient le jour de la consultation, on les trouve souvent dans des colonnes conçues exprès pour cela. Par ailleurs, les journaux d’hôpital enregistrent l’admission du patient et s’achèvent la plupart du temps avec sa sortie. Dès le milieu du XVIIIe siècle cette forme de notation est de plus en plus formalisée[14]. Les formulaires utilisés déterminent le plus souvent la fréquence des notations, en ceci qu’ils prévoient des rubriques spécifiques pour les entrées quotidiennes. L’organisation par date de Büchner structure le texte d’une manière qui témoigne ainsi d’une proximité fondamentale avec les journaux de malade des cliniques. Il consigne les événements jour après jour et il informe également de l’arrivée et du départ. Quand il complète la dernière indication de date par rapport au modèle, non seulement il précise la périodisation du séjour, mais il rapproche encore plus son texte des formes cliniques de rédaction.
2. La restitution de l’évolution de la maladie
En plus de la durée du séjour et de la chronologie des événements, la description de l’évolution de la maladie est tout aussi pertinente. Contrairement au mode de notation propre au journal, qui est souvent organisé par un formulaire et qui consigne les événements selon l’unité de temps qu’est la journée, il s’agit surtout ici de saisir un processus dans sa dynamique. Le récit de Büchner dessine une évolution de la maladie, en ceci qu’il indique la recrudescence ou l’atténuation de certains symptômes. L’expérience délirante de Lenz, l’idée d’être un meurtrier, prennent une autre intensité et une autre fréquence en relation avec l’épisode de la cabane. Après la rencontre avec l’enfant le délire est plus tangible, comme on le discerne à l’évocation de nouveaux symptômes. Après l’épisode de la cabane, on assiste par exemple à la perte de certaines fonctions langagières. Lenz parle désormais en phrases coupées. (« Il parla souvent de cela avec Mme Oberlin, mais, le plus souvent, par bribes de phrases » p. 184). En outre, la fréquence de symptômes spécifiques, comme l’automutilation, augmente. Büchner essaie de restituer l’évolution de la maladie comme un processus dynamique et utilise pour ce faire divers procédés rhétoriques et narratifs. Car l’épisode de la cabane ne marque pas seulement un tournant dans l’histoire du malade, après lequel les symptômes s’intensifient. Il est également l’objet d’une narration d’un autre type. À cet instant, le récit passe à un mode narratif scénique, afin de mettre sous les yeux les faits qui se déroulent à l’intérieur de la cabane. Les impressions acoustiques et les divers effets de lumière crépusculaire sont décrits en détail :
Lenz s’endormit en rêvant, et dans son sommeil il entendait l’horloge picorer. Au milieu du chant léger de la fille et de la voix de la vieille, les sifflements du vent se rapprochaient et s’éloignaient tour à tour, et la lune, tantôt voilée, répandait dans la pièce sa lumière changeante et irréelle (traumartig). (p. 182)
Lenz schlummerte träumend ein, und dann hörte er im Schlaf, wie die Uhr pickte. Durch das leise Singen des Mädchens und die Stimme der Alten zugleich tönte das Sausen des Windes bald näher, bald ferner, und der bald helle, bald verhüllte Mond, warf sein wechselndes Licht traumartig in die Stube. (MBA 5, p. 40)
Corrélativement, le texte passe à un mode itératif (« Le jour, il restait d’ordinaire assis en bas » p. 183). Ce n’est certainement pas par hasard si le tournant dans l’évolution de la maladie correspond au changement de mode narratif, qui attire l’attention sur une phase critique dans l’évolution de la maladie. Après l’épisode de la cabane, le récit se concentre presque exclusivement sur le délire. La périodisation se fait plus stricte (« Dans l’après-midi », « Au repas du soir », « À minuit » p. 186), comme si l’état inquiétant du malade exigeait une observation et une fréquence de consignation plus intensives. On attribue à chaque journée plusieurs épisodes de la maladie, qui sont présentés la plupart du temps de façon condensée ou itérative. Büchner raconte en une fois ce qui se produit plusieurs fois (« Quand il était seul ou qu’il lisait, c’était encore plus dur », p. 189, « Dans la nuit, les incidents prenaient des proportions effrayantes ».[15]). La fréquence toujours plus grande des notations indique que l’évolution de la maladie se rapproche du stade critique. À partir du 3 février, on peut observer une authentique « apparition des objets issus du délire ». Alors que Lenz, déjà auparavant, parlait, chantait et récitait régulièrement – le plus souvent du Shakespeare –, désormais il se met à crier le nom de Friederike, à se barbouiller la tête de cendres, à se jeter de plus en plus souvent dans la fontaine, et généralement à être de plus en plus agité. Le texte reproduit souvent cette agitation au niveau syntaxique, comme par exemple juste après l’arrivée de Lenz à Steinthal :
[…] il mit la lampe sur la table et marcha de long en large ; il se remémorait la journée […] ; il fut pris d’une angoisse indicible, il bondit, il traversa la pièce, dévala l’escalier, sortit devant la maison ; mais en vain, tout était plongé dans le noir, rien, lui-même se semblait un rêve, […] (p. 173)
[…] er stellte das Licht auf den Tisch, und ging auf und ab, er besann sich wieder auf den Tag. […] eine unnennbare Angst erfaíŸte ihn, er sprang auf, er lief durchs Zimmer, die Treppe hinunter, vor’s Haus; aber umsonst, Alles finster, nichts, er war sich selbst ein Traum. (MBA 5, p. 32 sq.)
Les phrases construites parallèlement sont enchaînées les unes aux autres de façon paratactique (« il bondit », « il traversa la pièce »[16]), ce qui transmet l’impression d’accélération. Le passage en ellipses conduit presque à la dissolution de la forme narrative. À l’instant précis de la plus haute intensité – vers la fin du récit – le narrateur s’immisce par un commentaire : « Les demi-tentatives de suicide qu’il continua de faire pendant tout ce temps n’étaient pas vraiment sérieuses » (p. 190)
De telles restitutions de l’évolution – la représentation du tournant par le changement de mode, l’augmentation de la fréquence ainsi que les enchaînements paratactiques de phrases courtes pour représenter l’agitation – ne sont pas des particularités du récit de Büchner. Elles se trouvent sous une forme semblable également dans les textes psychiatriques contemporains. Le psychiatre officiant à Leipzig, le professeur Johann Christian Heinroth, présente l’évolution des maladies avec des procédés comparables dans son Manuel sur les troubles psychiques. Comme Büchner, il différencie le début, le milieu et le paroxysme des maladies et attribue ainsi aux troubles psychiques une dimension temporelle, qui s’organise d’après le modèle coctio-crisis-lysis[17].
Pour la présentation de l’évolution, il recourt également à des moyens rhétoriques et narratifs, comme le montre le passage suivant :
Le début (le premier stade) est un affairement agité, un va-et-vient inquiet sans but précis ; un comportement singulier et comme étranger à l’égard des personnes les plus familières ; des questions, des expressions, des actions incongrues et absurdes, qui permettent de remarquer instantanément que le malade n’est plus maître de lui-même ; enfin une conduite inhabituellement émotive, susceptible, irritable, exaltée ou fantasque. Et cet état dure à son tour plusieurs jours. Au deuxième stade, le malade commence à traiter toutes les choses qui sont autour de lui ou près de lui comme des objets d’un environnement autre que l’environnement présent : il semble voir des objets devant lui, percevoir des sons, converser avec des personnes qui ne sont pas présentes. (…) Progressivement, les objets de son délire se rassemblent plus étroitement, plus intensivement, plus clairement. Totalement coupées du monde extérieur, les raisons de son état, qui jusqu’alors étaient restées cachées, comme enfouies dans son for intérieur, sortent de lui et trahissent son intériorité : le sentiment, la passion dont il est rempli, enflammé et dévoré ; il parle comme un homme ivre, sans retenir le secret de son cœur. Et voilà le paroxysme de la maladie (…). On pourrait croire qu’en raison de cette vivacité des affections, cet état ne saurait être supporté très longtemps ; que la nature ne tolère de telles tensions extrêmes que peu de temps ; et pourtant il s’étend parfois sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois ; seule varie son intensité, mais sans véritables intervalles, sans interruptions nettes. Quand celles-ci apparaissent, alors le malade est sur la voie de la guérison. À moins qu’il ne soit en train de passer à une autre forme de trouble psychique. Et cette apparition des intervalles constitue le troisième stade des maladies. La nature épuisée exige du repos, le sommeil revient, ne serait-ce que partiellement, le malade accepte de plus en plus de nourriture, ne serait-ce qu’à contre-cœur, ses rêves se mêlent à nouveau à des représentations du monde extérieur, les sensations vives qui apparaissent suscitent à nouveau quelques réactions naturelles, la mémoire recouvre de temps à autre ses droits et un étonnement soudain, comme dans un arrachement brusque au sommeil, révèle le retour de l’esprit, qui toutefois se retrouve très vite pris dans les rets de ses rêves, jusqu’à ce qu’il se montre, le lendemain (rarement le jour même), ou quelques jours plus tard, dans une certaine clarté pendant un instant ou une plus longue durée encore.[18]
Den Anfang (das erste Stadium) macht ein hastiges Treiben, unruhiges Hin- und Herbewegen ohne Zweck und Ziel; fremdes auffallendes Betragen gegen die bekanntesten Personen, zweckwidrige, widersinnige Fragen, AeuíŸerungen, Handlungen, die es augenblicklich bemercken lassen, daíŸ der Kranke nicht bey sich ist; endlich ein ungewöhnliches auffahrendes, stolzes, oder zärtliches, schwärmerisches, phantastisches Benehmen. Und dieser Zustand dauert wiederum einige Tage. Im zweyten Stadium fängt der Kranke an Alles um sich und an sich als Gegenstände einer andern als der gegenwärtigen Umgebung zu behandeln: er scheint Gegenstände vor sich zu sehen, Töne zu vernehmen, sich mit Personen zu unterhalten, die nicht vorhanden sind (…) Allmählich rücken die Gegenstände seines Wahns näher, gedrängter, deutlicher zusammen. Ganz von der AuíŸenwelt abgeschnitten, treten nun die Beziehungen seines Zustandes, die bis jetzt noch wie verdeckt und in seinem Innern verborgen gelegen hatten, aus ihm hervor und verrathen sein Inneres: die Empfindung, die Leidenschaft, von der es erfüllt, entzündet ist, und verzehret wird: er spricht, wie ein Trunkener, ohne Rückhalt das GeheimniíŸ seines Herzens aus. Und dies ist die Höhe der Krankheit. (…) Man sollte meinen, vermöge dieser Lebendigkeit der Affection hielt jener Zustand nicht lange aus; die Natur ertrügt solche Ueberspannung nur kurze Zeit; und dennoch dehnt er sich nicht selten auf mehrere Wochen, ja Monate aus, nur nicht immer in gleicher Heftigkeit. Doch ohne wahre Intervallen, ohne eigentliche ganz klare Zwischenzeiten. Wenn diese eintreten, dann ist der Kranke auf dem Wege zur Genesung. Oder zum Uebergange in eine andere Form von Seelenstörung. Und dieses Eintreten der Intervalle macht das dritte Stadium der Krankheit aus. Die erschöpfte Natur verlangt Ruhe, der Schlaf stellt sich, wenigstens einigermaíŸen, wieder ein, der Kranke nimmt, wenigstens mit Widerwillen, mehr Nahrung zu sich, seine Träume mischen sich wieder mit Anschauungen der AuíŸenwelt, lebhaft eintretende Sensationen erregen wieder einzelne natürliche Rückwirkungen, die Erinnerung erhält zuweilen ihre Rechte und ein plötzliches Erstaunen, wie beim schnellen Erwachen vom Schlafe, verräth den wiederkehrenden Geist, der aber sehr bald wieder in seine Traumgewebe eingesponnen wird, bis am nächsten Tage (nicht leicht an demselben) oder nach einigen Tagen, wieder in ein ähnlicher Augenblick von Klarheit oder auch eine längere Dauer derselben erscheint.
Ce passage vient d’un extrait du manuel de Heinroth, qui traite de l’évolution d’un trouble psychique concret, le délire. Heinroth différencie trois étapes de la maladie, l’étape initiale, l’étape paroxystique et l’étape finale. L’étape intermédiaire a droit au développement le plus long. Il est révélateur que ces étapes ne soient pas seulement décrites, mais qu’en plus de la description, divers procédés rhétoriques et narratifs entrent en compte. Tandis que Heinroth énumère quelques symptômes pathologiques de la première étape et que l’enchaînement des symptômes n’en tire aucune pertinence (« un affairement agité, un va-et-vient inquiet sans but précis ; un comportement singulier et comme étranger à l’égard des personnes les plus familières ; des questions, des expressions, des actions incongrues et absurdes»), on voit s’esquisser à la deuxième étape un processus qui se caractérise par une durée définie et se développe à la fois successivement et intensivement. Après la simple perception délirante d’objets inexistants vient son intensification qui débouche sur une séparation complète du monde extérieur. Les symptômes ne sont plus seulement juxtaposés. Ils se développent les uns à partir des autres dans une progression ascendante. En outre, l’expérience vécue du malade apparaît plus nettement comme le point central. Le récit se fait au plus près de l’expérience du personnage, dont le narrateur se distancie toutefois par des expressions comme : « il semble voir des objets devant lui », parce qu’il l’observe de l’extérieur et qu’il ne peut donner d’information sur les véritables perceptions présentes intérieurement[19]. Dans la description de la troisième étape, une autre dimension entre en jeu. C’est le caractère intermittent des symptômes qui est mis en avant, qui est interprété dans le sens d’une régénération et qui caractérise une phase dans laquelle la santé entre en rapport agonistique avec la maladie. Les trois étapes du délire ne sont pas seulement définies par leur succession dans le temps ou leur position au sein d’une série de phases, mais elles sont également différenciées par leur mode de présentation. À chaque phase correspond un type particulier, que l’on peut caractériser comme succession, intensification et combat. En outre, différents adverbes temporels sont employés pour chaque étape (« progressivement », « à nouveau »…), qui sont accompagnés d’autres procédés de dramatisation. L’effort fourni par Heinroth pour restituer narrativement et rhétoriquement l’évolution de la maladie pose d’abord la question de savoir pourquoi l’évolution elle-même reçoit une position si centrale dans le manuel[20].
À première vue, la présence de procédés rhétoriques et dramatiques pourrait être une concession aux lecteurs, qui ne souhaitent pas seulement être instruits mais également divertis. Mais chez Heinroth, les représentations de l’évolution ont une fonction bien particulière, qui va au-delà de la simple intention de divertir le lecteur. Le mode de présentation est lié à une opération spécifique : Heinroth essaie – et c’est ce qui fait son intérêt par rapport à l’appellation habituelle de rationaliste et de mentaliste (Psychiker) – de différencier nettement les maladies psychiques les unes des autres, et de développer un système de nosologie qui se distingue de la psychose unitaire de Griesinger. Dans le cadre de cette nosologie, un rôle central revient à l’évolution de la maladie. Elle devient un élément distinctif au sein de son système. Car elle ressortit à ce « caractère spécifique »[21] de chaque trouble psychique, dans la mesure où seul le changement dans le temps permet de distinguer nettement les formes de maladie entre elles. Ce n’est pas la maladie mentale prise dans son ensemble qui a ainsi une évolution. Chaque trouble psychique particulier se définit spécifiquement et se différencie par un enchaînement de signes pathologiques. Il se caractérise conceptuellement par son proprium, par un symptôme dominant : celui du délire est quelque chose comme l’expérience du rêve. Temporellement, le délire est néanmoins déterminé par le schéma par étapes. L’évolution – et c’est une innovation importante du système de Heinroth – constitue ainsi un fondement de la nosologie et le point de départ d’une classification ultérieure[22]. Elle devient ainsi un pilier essentiel du système taxinomique. Ainsi le manuel de Heinroth, comme le récit de Büchner, accorde une attention particulière à l’évolution des maladies psychiques.
De fait, le mode de narration, c’est-à-dire l’effort pour différencier chaque étape par le recours à un mode de narration à chaque fois différent, a une fonction vicariante. La stratégie narrative remplace la documentation empirique et les données précises et quantitatives de l’évolution. C’est seulement avec l’apparition des méthodes de renseignement empiriques et statistiques – questionnaires, banques de données ou études ciblées par la catamnèse – qu’une investigation empirique plus exacte de l’évolution est possible et qu’on peut remplacer les descriptions basées sur des observations particulières par des déterminations statistiques de l’évolution. Chez Heinroth, les étapes sont représentées à l’aide de moyens narratifs et rhétoriques, et elles sont modulées au niveau du discours. Cette démarche n’est pas inhabituelle au XIXe siècle. Beaucoup de maladies psychiatriques modernes, comme la schizophrénie ou la dementia praecox prennent leurs contours dans des textes narratifs de forme littéraire et ainsi dans une combinaison spécifique de forme narrative et de contenu narratif, autrement dit dans l’articulation de procédés et de dispositifs narratifs de représentation avec des éléments psychopathologiques spécifiques. Cela vaut pour les récits de cas dans les manuels tout autant que pour les représentations de la maladie dans les pathographies littéraires comme le Lenz de Büchner. De fait, cette conjonction de la narration, de la nosographie psychiatrique et du développement des concepts n’a été jusqu’à présent étudiée rigoureusement ni au point de vue historique ni au point de vue systématique.
3.La parole de la folie : montrer ou raconter
Le texte de Büchner n’est pas seulement comparable aux modes d’écriture psychiatriques en raison de sa forme de rédaction et de sa restitution de l’évolution d’un processus pathologique. Un autre parallèle concerne la présentation par Büchner de la parole de la folie. À plusieurs endroits du texte Lenz prend lui-même la parole. Dès la salutation, il dit « Je suis un ami ». Plus tard, quand Oberlin lui transmet le souhait du père du retour de Lenz à la maison, il répond : « Partir d’ici, partir ? À la maison ? Devenir fou là-bas ? »[23]
Souvent, le discours direct se trouve en corrélation avec les affects et les états d’excitation, plus tard particulièrement avec une jeune fille morte, qu’il avait voulu sauver et qui éveille visiblement des souvenirs d’une rencontre antérieure. Après l’épisode de la cabane, Lenz demande ainsi à Madame Oberlin : « Excellente Madame Oberlin, ne pouvez-vous pas me dire ce que fait la femme dont le destin oppresse si lourdement mon cœur ? »[24] Plus tard, il dit au pasteur : « Excellent monsieur le Pasteur, la femme dont je vous causais, elle est morte, oui, morte, cet ange. – D’où tenez-vous cela ? – Hiéroglyphes, hiéroglyphes », puis il avait levé les yeux au ciel et répété : « Oui, morte – hiéroglyphes. »[25]
Le deuxième passage présente un dialogue entre Oberlin et Lenz, dans lequel Lenz parle déjà comme un délirant. La parole est placée sous nos yeux par le discours direct et peut ainsi être reconstituée par le lecteur dans ses particularités formelles. Si la langue de Lenz est déjà marquée par des expressions d’émotion et des façons ampoulées de s’adresser comme « Excellente Madame Oberlin », il est clair qu’il parle à Oberlin dans un style pathétique. Mais la langue n’est plus seulement émotive, elle devient par la suite elliptique, agrammaticale et incompréhensible. Certes, le lecteur peut reconstituer ce que peut signifier le mot « ange ». En revanche, la réponse « Hiéroglyphes » est plus difficile à déchiffrer. Il est possible que Lenz fasse allusion à un savoir transmis par le rêve ou d’autres moyens. Mais à première lecture la phrase « oui morte, – hiéroglyphes » reste incompréhensible et elliptique. À cet instant, le genus dicendi classique-pathétique devient la clef du délire et la parole elle-même un indice supplémentaire de l’aggravation de l’état mental pathologique de Lenz. Le fait que Büchner accorde une attention particulière à la parole directe de la folie est d’autant plus visible qu’il place cette parole à un point central de l’action.
C’est également de ce point de vue que le texte de Büchner manifeste des points communs avec des dossiers médicaux écrits par des psychiatres. Surtout à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, les sujets délirants prennent la parole au discours direct. Les dossiers médicaux passent ainsi du choix de raconter à celui de montrer. En 1870, par exemple, le psychiatre Kahl Ludwig Kahlbaum étudie avec son collègue Ewald Hecker de l’asile d’aliénés de Görlitz la parole des maladies mentales et essaie de déduire la nature de la maladie à partir du mode d’élocution des patients[26]. Le matériau qui leur sert pour l’analyse de cette parole est entre autres des extraits de lettres, qui mettent sous les yeux l’énoncé et qui s’apparentent à la parole du malade Lenz chez Büchner. Le passage suivant est emprunté à l’écrit d’Ewald Hecker sur l’hébéphrénie :
‘Ma chère et tendre Maman ! Ta fille Caroline te salue mille fois, c’est à chaudes larmes et avec une douleur inquiète que je te présente mes vœux les plus sincères, que la joie fleurisse sur ton chemin de vie sans toi je cherche en vain à m’habituer au groupe d’amis étrangers. Mais le temps et l’heure m’instruiront. Les fleurs sont fanées les fraîches je veux t’embrasser à bras ouverts et amicaux les yeux secs je te baise la main le visage vis bien et longtemps conserve-moi ton affection ta fille Caroline E. !’ [27]
‘Meine liebe gute Mamma! Tausendmal seist Du gegrüíŸt von Deiner Tochter Karoline mit heissen Tränen und bannen Schmerz bring ich Dir meine herzlichen Glückwunsche dar, Freude blühe Dir auf Deinem Wege des Lebens ohne Dich such ich vergebens an die fremde Freundschaftskette zu gewöhnen. Doch die Zeit und Stunde wird mir lehren. Die Blumen sind verwelkt die frischen will ich Dir mit offenen Armen und freundvollen küssen mit seichtem Auge küss ich Dir Hand Gesicht lebe recht lange behalte lieb Deine Tochter Karoline E.!’
Il s’agit d’un extrait d’une lettre que Hecker inclut dans son dossier médical[28]. L’analyse de la lettre se concentre sur des particularités formelles de la parole. Hecker évoque entre autres les écarts singuliers de syntaxe, l’élocution agrammaticale qu’il présente comme « relâchement de la continuité ». Plus loin, il pointe le changement dans la « construction »[29], qu’il interprète – tout comme le défaut de ponctuation – comme un manque d’organisation et un défaut de plan. Comme chez Lenz, ces particularités sont censées indiquer la maladie mentale et sont évaluées comme le symptôme tangible d’une maladie que Hecker appelle « hébéphrénie »[30].
Chez Kahlbaum également, les particularités formelles de la parole, l’effondrement de la structure syntaxique et les répétitions fréquentes deviennent des signes de maladie immédiatement repérables. L’impression d’immédiateté est souvent corrélée au mode de présentation, de façon à ce que les objets de savoir – la parole de la folie – soient présentés sans médiation narrative. La citation du discours en style direct a pris de la valeur dans tout le XIXe siècle et on la trouve particulièrement dans des traités et des dossiers médicaux autour de la schizophrénie, ou plutôt du concept qui la précède, la dementia praecox. La quatrième édition du manuel de psychiatrie d’Emil Kraepelin, parue en 1893, dans lequel la dementia praecox est introduite, présente elle aussi directement la parole des patients[31]. Eugen Bleuler suit ce mode de présentation dans son livre sur la schizophrénie que nous avons déjà cité au commencement. Les mots du délire sont même détachés du texte principal et sautent immédiatement aux yeux du lecteur[32].
Que conclure de ce point, sinon que l’on peut identifier de nombreuses convergences formelles entre les dossiers médicaux psychiatriques et le texte de Büchner ? Que signifie ceci, sinon que Büchner configure, comme Heinroth, l’évolution par des moyens rhétoriques et narratifs et présente de façon immédiate la parole folle comme Kahlbaum, Kraepelin et Bleuler ? C’est particulièrement pour l’histoire de la réception du texte que ces parallèles pourraient avoir joué un rôle, et j’en reviens ainsi à ma question initiale. Que le texte de Büchner ait pu être lu en 1921 comme l’étude de cas d’une schizophrénie est essentiellement lié aux particularités formelles du texte. Comme un psychiatre, Büchner se concentre sur la description de l’évolution de la maladie qui, autour de 1900, correspond à la fois à la dementia praecox et à la schizophrénie et qui pouvait déjà être décelée chez Heinroth. Avec la présentation en style direct de la parole de Lenz, le texte renvoie à un deuxième moment de la nosographie étroitement associé à la schizophrénie.
Les parallèles pourraient être contingents ou renvoyer à un rapport constitutif entre littérature et psychiatrie, en ceci que de nombreux concepts de maladies psychiatriques ont été développés non seulement à partir de dossiers médicaux et de matériaux d’archive, mais également à partir de textes littéraires, dans la mesure où – comme on le voit chez Leopold von Sacher-Masoch et Richard von Krafft-Ebing – ils furent mis à contribution pour des maladies qui n’avaient encore jamais été décrites. Le texte de Büchner rend ainsi visible quelque chose qui, dans des circonstances déterminées, obtient le statut d’objet de savoir psychiatrique. La réception psychiatrique n’est donc pas due à cette circonstance que l’auteur, en raison d’un don d’observation particulier ou de ses connaissances en psychiatrie, ait représenté une maladie existante mais pas encore décrite et ait ainsi anticipé un savoir psychiatrique[33]. Qu’un lecteur comme Wilhelm Mayer ait pu voir dans le récit de Büchner l’histoire d’un cas de schizophrénie s’explique bien plutôt par son mode spécifique d’écriture – par la présentation de l’évolution et de la parole. En outre, cette lecture a certainement été rendue plausible par les présupposés internes à la science de ce qu’on appelle la psychiatrie compréhensive[34].
L’analyse faite ici s’est concentrée sur des aspects centraux de la nosographie et a cherché à savoir sous quelles conditions historiques et en raison de quelles propriétés textuelles Lenz a pu être lu comme une étude de cas psychiatrique. La signification du texte ne se révèle en tout cas aucunement dans sa dimension d’esquisse nosographique. L’analyse faite ici devrait être complétée par plusieurs éléments d’histoire des sciences, d’esthétique ou d’analyse proprement littéraires. Il s’agissait seulement de montrer dans quelle mesure le texte de Büchner, indépendamment de la question de savoir quelle image de la maladie il présente ou ce qu’il énonce en détail de la nature des maladies psychiques, a pu être reçu comme une authentique étude de cas psychiatrique. Le mode d’écriture historique de la psychiatrie – la restitution de l’évolution et la présentation de la parole – sont des présupposés importants pour cette lecture. C’est seulement quand ils sont inclus dans l’analyse que l’on peut donner une représentation adéquate des contextes de l’histoire de la réception, et c’est alors seulement que peut se donner à voir une nouvelle perspective sur la dimension nosographique du texte.
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
Bibliographie
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[1] W. Mayer, « Zum Problem des Dichters Lenz », inArchiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten 62 (1921), p. 889-890, notamment p. 890.
[2] W. Moos, « Büchners Lenz », inSchweizerisches Archiv für Neurologie und Psychiatrie 42 (1938), p. 97-114, W. Jens, « Schwermut und Revolte: Georg Büchner », inVon deutscher Rede, München, Zürich 1983 [1964], p. 109-132 ; G. Irrle, Der psychiatrische Roman, Stuttgart, 1965, p. 75, G. Deleuze, F. Guattari, Anti-Oedipe, Capitalisme et schizophrénie. Paris, 1972, p. 7 ; S. Kubik, Krankheit und Medizin im literarischen Werk Georg Büchners, Stuttgart, 1991, p. 125.
[3] H. Schmidt, Melancholie und Landschaft. Die psychotische und ästhetische Struktur der Naturschilderungen in Georg Büchners »Lenz«, Opladen, 1994, Introduction, notamment p. 21.
[4] Johann Christian August Heinroth, Lehrbuch der Störungen des Seelenlebens oder der Seelenstörungen und ihrer Behandlung: vom rationalen Standpunkt aus entworfen. Erster oder theoretischer Theil, Leipzig 1818, Zweyter oder praktischer Theil, Leipzig, 1818. Karl Ludwig Kahlbaum, Die Katatonie oder das Spannungsirresein. Eine klinische Form psychischer Krankheit, Berlin, 1874.
[5] E. J. Engstrom, Clinical Psychiatry in Imperial Germany, Ithaca, 2003, p. 3.
[6] U. Benzendörfer, Psychiatrie und Anthropologie, Stuttgart, 1993, p. 76-156.
[7] On trouve une division par groupes et espèces chez Cullen, qui renvoie à Linné. Philippe Pinel et Johann Christian Reil ont proposé des nosologies rudimentaires, cf. Benzendörfer : Psychiatrie und Anthropologie, p.67.
[8] Voir également S. Kubik, Krankheit und Medizin im literarischen Werk Georg Büchners, p. 120.
[9] Georg Büchner, « Lenz », trad. J.-P. Lefebvre, inOeuvres complètes, Inédits et Lettres, dir. Bernard Lortholary, Paris, Seuil, 1988, p. 171. Toutes les indications de page dans les lignes suivantes renvoient à cette édition. [N.d.T]
[10] Nous modifions ici la traduction de Jean-Pierre Lefebvre, qui traduit « am folgenden Morgen» par un simple « le lendemain » (Ibid., p. 177) [N.d.T]
[11] Voir à ce sujet le manuscrit de MBA, 5, p. 73. Font exception l’indication « Le jour suivant » et « Le matin du 8 ». Pour les convergences de texte entre le rapport d’Oberlin et le texte de Büchner, cf. Hubert Gersch, « Der Text, der (produktive) Unverstand des Abschreibers und die Literaturgeschichte. Johann Friedrich Oberlins Bericht Herr L…. und die Textüberlieferung bis zu Georg Büchners Lenz-Entwurf », in B. Dedner, A. Glück, Th. M. Mayer (dir.), Büchner-Studien, Vol. 7, Tübingen, 1998.
[12] On sait peu de choses sur le processus d’écriture. Les changements révèlent que Büchner a directement consulté et recopié son modèle pendant la rédaction. Sur l’écriture scientifique, voir également H. Müller-Sievers, « Of Fish and Men: The Importance of Georg Büchner’s Anatomical Writings », inMLN 118.3 (2003), p. 704-718.
[13] Samuel Hahnemann, Krankenjournal D 2 (1801-1802). D’après l’édition de Heinz Henne, annotée par Arnold Michalowski, Heidelberg, 1993.
[14] Volker Hess, « Formalisierte Beobachtung. Die Genese der modernen Krankenakte am Beispiel der Berliner und Pariser Medizin (1725-1830) », inMedizinhistorisches Journal 45 (2010), p. 293-340.
[15] Nous modifions ici à nouveau la traduction de J-P Lefebvre, qui traduit le prétérit steigerten par un passé simple, en recourant à l’imparfait pour rendre l’idée de répétition [N.d.T]
[16] Nous avons rajouté le deuxième « il » qui n’est pas dans la traduction utilisée, pour rendre la parataxe en question. [N.d.T]
[17] Sur la crise et sur l’évolution de la maladie, voir Georg Ernst Stahls Theorie der Heilkunde, édité par Karl Wilhelm Ideler. Berlin, 1831, p. 274 ; C. G. Carus, Vorlesungen über Psychologie gehalten im Winter 1829/1830 zu Dresden, préfacé et annoté par Edgar Michaelis, Zürich, Leipzig, 1931, p. 245-246 : la crise y est définie comme phase dans laquelle « le développement de la maladie trouve un tournant vers le meilleur ou le pire. »
[18] Heinroth, Lehrbuch der Störungen des Seelenlebens, Erster Theil, p. 263.
[19] Comparativement au Lenz de Büchner, le narrateur maintient une certaine distance avec le malade et s’introduit souvent avec des commentaires moralisateurs.
[20] W. Lepenies, Das Ende der Naturgeschichte. Wandel kultureller Selbstverständlichkeiten in den Wissenschaften des 18. und 19. Jahrhunderts, München, 1978, p. 8 sq.: « Von der Nosographie zur Krankengeschichte », Lepenies emploie le mot « nosographie » surtout à propos des classes et des classifications des maladies, et s’intéresse au bouleversement d’une nosographie orientée sur un système de classification vers une forme de rédaction plus clinique comme le dossier médical.
[21] Heinroth, Lehrbuch der Störungen des Seelenlebens. Erster Theil, p. 260
[22] Au sujet du prolongement de ce point de départ chez Kraepelin cf. Y. Wübben, Verrückte Sprache. Psychiater und Dichter in der Anstalt des 19. Jahrhunderts, Konstanz, 2012, p. 63-160.
[23] Trad. Lefebvre modifiée, p. 181.
[24]Ibid., p. 183.
[25]Ibid., p. 188.
[26] Y. Wübben, « Pathos und Pathologie. Ewald Heckers psychiatrische Brieflektüren (1871) », in C. Zumbusch (dir.), Pathos. Zur Geschichte einer problematischen Kategorie, Heidelberg, 2010, p. 139-152.
[27] E. Hecker, « Die Hebephrenie. Ein Beitrag zur klinischen Psychiatrie »,inVirchows Archiv 52 (1871), p. 394-429, ici p. 408.
[28] Il est possible que Büchner ait eu l’intention de citer les lettres de Lenz. En tous les cas, il renvoie à une lettre à un endroit où se trouve une lacune assez longue sur le manuscrit. Op. cit, p. 188.
[29] Hecker, Hebephrenie, p. 403 sq.
[30]Ibid., p. 399.
[31] Emil Kraepelin, Psychiatrie. Ein Lehrbuch für Studirende und Aerzte, Leipzig, 1893, p. 450.
[32] Eugen Bleuler, Dementia praecox oder die Gruppe der Schizophrenien, Leipzig und Wien, 1911 (=Handbuch der Psychiatrie. Gustav Aschaffenburg Ed.. Spezieller Teil. 4. Abteilung, 1. Hälfte), p. 15.
[33] Ainsi chez Y. Fauser, « Die Vorwegnahme der medizinischen Erkenntnis von manisch-depressiven Störungen in der Literatur – dargestellt an Büchners Lenz und Leonce und Lena », inGBJ 11 (2005-08), p. 63-80, W. Willms, « Wissen um Wahn und Schizophrenie bei Nikolaj Gogol und Georg Büchner. Vergleichende Textanalyse von Zapiski sumassedosego (Aufzeichnungen eines Wahnsinnigen) und Lenz », in Th. Klinkert, M. Neuhofer (dir.), Literatur, Wissenschaft und Wissen seit der Epochenschwelle um 1800. Theorie – Epistemologie – komparatistische Fallstudien, Berlin, 2008 (=spectrum Literaturwissenschaft / spectrum Literature. Komparatistische Studien / Comparative Studies. Hg. v. Angelika Corbineau-Hoffmann, Werner Frick 13), p. 89-110, ici p. 93.
[34] Moins centrale, en revanche, semble être la focalisation interne sur l’expérience vécue du personnage qui dans la recherche a souvent été rendue responsable de la transformation du récit en cas de psychiatrie, cf. Wilms : Wissen und Wahn und Schizophrenie, p. 102.



Savoir de la science et savoir de la littérature. À propos du Docteur Pascal de Zola et de Giacinta de Capuana

Au XVIIIe siècle, le roman était officiellement considéré comme un genre mineur. « Par un roman, on a entendu jusqu’à ce jour un tissu d’événements chimériques et frivoles, dont la lecture était dangereuse pour le goût et pour les mœurs. »[1] Si le roman commence à devenir un genre « sérieux », c’est, entre autres, grâce à l’emploi qu’en faisaient les « philosophes ». Ceux-ci s’en servaient pour mettre en scène des questions et des problèmes épistémiques. Ainsi, Montesquieu dans les Lettres persanes montre la multiplicité et la relativité des points de vue qu’on peut avoir sur un système culturel donné ; Voltaire dans Candide met en scène l’opposition entre la théorie philosophique et l’expérience pratique ; Rousseau dans La Nouvelle Héloïse raconte une histoire d’amour qui lui sert de véhicule pour présenter des éléments de sa théorie anthropologique. Le rapprochement du domaine de la fiction romanesque et de celui du savoir est renforcé au XIXe siècle. Dans « l’Avant-propos » à la Comédiehumaine, Balzac renvoie à des scientifiques comme Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire afin de conférer à son entreprise la dignité dont elle semble avoir besoin. La conception du roman balzacien repose sur le postulat d’une analogie entre le domaine de la zoologie et celui de la société. « La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? »[2] Grâce à cette analogie, le romancier qui, selon Balzac, doit étudier la société devient l’équivalent du savant. Il s’apprête à écrire l’histoire des mœurs.
Émile Zola (1840–1902), chef de file du Naturalisme français et européen, se situe dans la lignée du roman balzacien tout en critiquant Balzac pour avoir été trop peu scientifique. En résumant « l’Avant-propos » de Balzac, il écrit : « Balzac à l’aide de 3.000 figures veut faire l’histoire des mœurs ; il base cette histoire sur la religion et la royauté. Toute sa science consiste à dire qu’il y a des avocats, des oisifs etc [sic] comme il y a des chiens, des loups etc. En un mot, son œuvre veut être le miroir de la société contemporaine. »[3] En radicalisant une tendance qui était déjà annoncée par Balzac mais que celui-ci aurait trop peu réalisée, Zola prétend créer un roman qui soit « purement naturaliste, purement physiologiste »[4]. Il s’appuie, entre autres, sur des conceptions élaborées par Hippolyte Taine, employant des termes comme « race » et « milieu »[5]. Ce qui l’intéresse avant tout, ce sont les lois de l’hérédité[6]. « Je ne veux pas peindre la société contemporaine, mais une seule famille, en montrant le jeu de la race modifiée par les milieux. […] Au lieu d’avoir des principes (la royauté, le catholicisme) j’aurai des lois (l’hérédité, l’énéité [sic])[7]. Je ne veux pas comme Balzac avoir une décision sur les affaires des hommes, être politique, philosophe, moraliste. Je me contenterai d’être savant, de dire ce qui est en en cherchant les raisons intimes. »[8] Ces citations proviennent de notes préparatoires non publiées. Or dans les textes programmatiques publiés, Zola dit grosso modo la même chose. Ainsi, dans Leromanexpérimental (1880), il postule une équivalence totale entre le médecin et le romancier en disant : « […] je compte, sur tous les points, me retrancher derrière Claude Bernard. Le plus souvent, il me suffira de remplacer le mot ‘médecin’ par le mot ‘romancier’ pour rendre ma pensée claire et lui apporter la rigueur d’une vérité scientifique. »[9]
Apparemment, les choses sont donc claires. Les citations que nous venons de passer en revue suggèrent une évolution du roman allant dans le sens d’une convergence grandissante entre roman et science. Cependant, si le roman se transforme en une science, on a le droit de poser la question de savoir quelle peut être la fonction de la littérature. Autrement dit : n’est-il pas nécessaire pour la littérature de maintenir une spécificité qui la distingue de tout autre domaine discursif, y compris la science ? En analysant deux romans naturalistes, à savoir Le Docteur Pascal de Zola et Giacinta de Capuana, j’aimerais montrer que les auteurs naturalistes avaient eux-mêmes la conscience des limites de leur théorie.
1. Dans Le Docteur Pascal, publié en 1893 et dédié par Zola à la mémoire de sa mère et à sa femme comme « le résumé et la conclusion de toute [s]on œuvre»[10], il met en scène un rapport conflictuel entre la science et d’autres sphères sociales. La littérature y joue un rôle prépondérant, dans la mesure où le protagoniste est lui-même un double de l’écrivain. Le DocteurPascal raconte l’histoire du docteur Pascal Rougon, qui est médecin à Plassans, lieu d’origine de la famille. Pascal est en rapport avec trois femmes qui jouent un rôle important dans l’action : sa nièce Clotilde, sa mère Félicité et sa servante Martine. Le projet de Pascal est d’étudier les lois de l’hérédité en observant les membres de sa propre famille, les Rougon-Macquart. Pour ce faire, il réunit tous les documents et renseignements disponibles pour les archiver et pour en tirer des conclusions concernant le fonctionnement de l’hérédité. Ces documents sont gardés dans une armoire, qui devient la cible de la volonté de destruction incarnée par Félicité. Celle-ci veut empêcher que son fils déshonore sa famille en réunissant et en publiant des documents qui sont en rapport avec les vices cachés et les défauts de chaque membre de la famille.
Le texte met donc en opposition Pascal et sa mère du point de vue de leur rapport au savoir. Le but du fils est d’accumuler tout ce que l’on peut savoir à propos des membres de la famille, afin de rendre visibles les lois invisibles de l’hérédité, tandis que le but de la mère est de détruire ce savoir afin de produire une image idéalisée de la famille. Ce duel entre le fils et sa mère finit par le triomphe de la mère, qui, après la mort de Pascal, réussit à détruire les documents réunis par son fils. La mère, « fanatique, farouche, dans sa haine de la vérité, dans sa passion d’anéantir le témoignage de la science » (p. 402), brûle les documents qu’elle trouve dans l’armoire de Pascal. À la vérité de la science elle oppose la « légende glorieuse » (p. 406) de la famille qui est censée « écarter les vilaines histoires » (p. 406). De ce point de vue, la mère représente donc le mensonge, tandis que le fils est à la recherche de la vérité. Ainsi, Pascal et Félicité représentent deux modes foncièrement différents de concevoir et de construire le monde.
Cependant, la vérité de la science apparaît elle-même problématique, dans la mesure où elle s’avère insuffisante. C’est Clotilde, dans sa foi naïve, qui fait remarquer à son oncle les limitations de la science :
Quand j’étais petite et que je t’entendais parler de la science, il me semblait que tu parlais du bon Dieu, tellement tu brûlais d’espérance et de foi. Rien ne te paraissait plus impossible. Avec la science, on allait pénétrer le secret du monde et réaliser le parfait bonheur de l’humanité… […] Eh bien ! les années marchent, et rien ne s’ouvre, et la vérité recule. (p. 143)
Ce que Clotilde reproche à la science, c’est donc le fait que, dans sa recherche de la vérité, elle avance à tâtons et qu’à la différence de la religion, elle ne peut pas produire de vérité globale et totalisante. En effet, Pascal explique à Clotilde : « La science n’est pas la révélation. Elle marche de son train humain, sa gloire est dans son effort même… et puis, ce n’est pas vrai, la science n’a pas promis le bonheur. » (p. 143 sq.) La science n’est donc pas quelque chose d’accompli, mais un processus indéfiniment tourné vers l’avenir.
Les vérités que peut atteindre le chercheur sont des vérités partielles et incomplètes, provisoires et corrigibles. La loi de la science est d’avancer par hypothèses, ainsi que le dit Pascal dans son « testament scientifique » (p. 375) :
Il avait la nette conscience de n’avoir été, lui, qu’un pionnier solitaire, un précurseur, ébauchant des théories, tâtonnant dans la pratique, échouant à cause de sa méthode encore barbare […]. Tous les vingt ans, les théories changeaient, il ne restait d’inébranlables que les vérités acquises, sur lesquelles la science continuait à bâtir. Si même il n’avait eu le mérite que d’apporter l’hypothèse d’un moment, son travail ne serait pas perdu, car le progrès était sûrement dans l’effort, dans l’intelligence toujours en marche. (p. 143)
Cette formulation correspond d’ailleurs à la conception du rationalisme critique de Karl Popper, selon lequel le caractère scientifique d’un énoncé est défini par la possibilité de la falsification[11]. Dans cette perspective, la science ne produit pas de vérités inébranlables, mais seulement des vérités hypothétiques et provisoires. Le scientifique peut se rapprocher de la vérité, il ne peut jamais l’atteindre[12].
C’est justement à cause de ces limitations reconnues que la science a besoin d’être étayée par d’autres domaines ; elle a besoin d’alliés. Or l’un de ses principaux alliés est le poète. On trouve, à travers le roman de Zola, toute une série de passages qui montrent cette connivence du scientifique et du poète, autrement dit, la coopération de l’analyse scientifique et de l’imagination poétique. Dans l’opinion des gens, le docteur Pascal est un savant dont les « parties de génie » sont « gâtées par une imagination trop vive »[13]. Cependant, le texte montre bien que le savant a besoin d’imagination et que les scientifiques doivent s’assurer le soutien des poètes ; ceci d’autant plus que la science pratiquée par Pascal est une science naissante : « Sans doute, l’hérédité ne le passionnait-elle ainsi que parce qu’elle restait obscure, vaste et insondable, comme toutes les sciences balbutiantes encore, où l’imagination est maîtresse. » (p. 91) Au chapitre V, dans la conversation entre Pascal et Clotilde, pendant laquelle il lui dévoile son projet en lui montrant tous les documents qu’il a accumulés, Pascal lui explique les lois de l’hérédité, en lui montrant l’arbre généalogique de la famille des Rougon-Macquart. Il est conscient du caractère incomplet de cette modélisation, car son arbre ne contient que les membres de la famille, sans leurs conjoints. Cela le mène à une réflexion sur la découverte de l’inconnu, qui ne peut se passer du concours de l’imagination :
Ah ! ces sciences commençantes, ces sciences où l’hypothèse balbutie et où l’imagination reste maîtresse, elles sont le domaine des poètes autant que des savants ! Les poètes vont en pionniers, à l’avant-garde, et souvent ils découvrent les pays vierges, indiquent les solutions prochaines. Il y a là une marge qui leur appartient, entre la vérité conquise, définitive, et l’inconnu, d’où l’on arrachera la vérité de demain… Quelle fresque immense à peindre, quelle comédie et quelle tragédie humaines colossales à écrire, avec l’hérédité, qui est la Genèse même des familles, des sociétés et du monde ! (p. 165 sq.)
Même s’il s’agit d’une affirmation dont la valeur est surtout contextuelle, on peut la prendre au sérieux en l’interprétant comme une mise en abyme de la poétique du roman zolien. Ce n’est pas un hasard si, dans la suite de ce chapitre, le protagoniste Pascal raconte l’histoire des membres de la famille figurant sur l’arbre généalogique. Par là même, il s’apparente à l’auteur Émile Zola, qui, lui, a raconté ces histoires dans les romans précédents. De ce fait, le personnage se transforme en une allégorie de l’auteur[14]. On peut donc supposer que le rôle attribué au poète en tant qu’allié du savant dans leur commune entreprise de découvrir des vérités inconnues correspond à la conviction de Zola. Pour lui, c’est avec le poète que doit coopérer le savant, si bien que l’entreprise scientifique ne peut pas se concevoir comme un projet purement rationaliste. Au contraire, ce projet a besoin de l’imagination poétique.
Par conséquent, dans le texte de Zola, on trouve souvent des formulations qui renvoient au caractère mixte et impur de la science. Par exemple, au premier chapitre du roman, où les deux personnages principaux sont introduits, Pascal, donnant des instructions à son assistante Clotilde, qui fait des dessins de fleurs pour illustrer les expériences en matière de fécondation artificielle faites par Pascal, on assiste à la scène suivante :
Depuis près de deux heures, elle avait repoussé la copie exacte et sage des roses trémières, et elle venait de jeter, sur une autre feuille, toute une grappe de fleurs imaginaires, des fleurs de rêve, extravagantes et superbes. C’était ainsi parfois, chez elle, des sautes brusques, un besoin de s’échapper en fantaisies folles, au milieu de la plus précise des reproductions. (p. 57 sq.)
À la question posée par Pascal de savoir ce que « ça peut bien représenter », elle répond en disant : « Je n’en sais rien, c’est beau. » (p. 58) Cette réponse suggère la possibilité de considérer les objets de la science d’un point de vue esthétique. Dans un autre passage central du texte, ce regard esthétique porté sur la science est évoqué par Pascal lui-même, lorsqu’il dit à Clotilde, en lui montrant ses documents : « Regarde donc, fillette ! Tu en sais assez long, tu as recopié assez de mes manuscrits, pour comprendre… N’est-ce pas beau, un pareil ensemble, un document si définitif et si total, où il n’y a pas un trou ? On dirait une expérience de cabinet, un problème posé et résolu au tableau noir… » (p. 163). Ainsi, le domaine scientifique semble être « contaminé » par le domaine esthétique.
D’autre part, la stricte séparation de la science et de la religion semble, elle aussi, être menacée par le fait que les théories scientifiques ne puissent pas tout expliquer. Le manque qui en résulte est comblé par une croyance : « En somme, le docteur Pascal n’avait qu’une croyance, la croyance à la vie. La vie était l’unique manifestation divine. La vie, c’était Dieu, le grand moteur, l’âme de l’univers. » (p. 91) C’est cette croyance à la vie qui l’amène à faire des expériences pour guérir certains malades moyennant l’injection de substances nerveuses. En plaisantant, il met sur le même plan la croyance religieuse aux miracles et la croyance à l’efficacité de son « élixir de résurrection » (p. 97). Dans le même contexte, le docteur Pascal fait valoir face à Clotilde qu’il a, lui aussi, un credo : « Je crois que l’avenir de l’humanité est dans le progrès de la raison par la science. Je crois que la poursuite de la vérité par la science est l’idéal divin que l’homme doit se proposer. » (p. 97 sq.) On voit donc bien que le domaine de la science s’entrecoupe partiellement avec le domaine esthétique et avec le domaine religieux. Tout en postulant des rapports d’opposition entre ces domaines, le roman de Zola semble vouloir montrer que ces oppositions doivent être remises en question.
On se souvient que, dans sa théorie, Zola postule une convergence, voire une identité, entre le discours scientifique et le discours romanesque. Dans la pratique de son roman Le Docteur Pascal, on a pu voir que cette identité semble beaucoup moins évidente. On peut plutôt parler d’une transgression de la frontière entre le domaine esthétique et celui de la science. Le scientifique a besoin de l’imagination du poète pour pouvoir saisir son objet et pour pouvoir découvrir l’inconnu. La science triomphante de la théorie zolienne est présentée comme ayant la conscience de sa propre imperfection. Le scientifique a besoin de l’imagination poétique et il déclare avoir une croyance comme un religieux. Le roman de Zola remet donc en question la théorie sur laquelle repose la poétique officielle de l’auteur. Selon cette théorie, la science a une fonction hégémonique ; ses principes (l’observation et l’expérimentation) doivent être adoptés dans tous les domaines, y compris celui de la littérature. C’est la science qui donne à la littérature sa légitimité. Dans Le Docteur Pascal, par contre, la littérature met en scène les limites de la science et son besoin de soutien. Si l’on considère l’action de ce roman dans son intégralité, on constate même un renversement du rapport science/littérature. On a vu l’opposition entre les valeurs de la science, qui cherche la vérité, et les aspirations de Félicité, qui veut anéantir les vérités découvertes par Pascal, afin de sauvegarder la bonne réputation des Rougon-Macquart. À la fin, en détruisant presque tous les documents de Pascal, le personnage de Félicité semble faire triompher le mensonge sur la vérité scientifique. Or, c’est justement le texte d’Émile Zola qui défait le stratagème de Félicité, en donnant à lire au lecteur réel tout ce que Félicité a essayé de faire passer sous silence. En fin de compte, c’est donc le roman de Zola qui vient à la rescousse de la science, en empêchant la disparition du savoir.
La science est non seulement menacée par la religion (Clotilde) et par l’idéologie de la mère, mais aussi par les conditions de l’existence matérielle. Cela se montre symboliquement dans le rapport de Pascal à Martine, qui représente le domaine de l’argent. C’est grâce à l’ingéniosité de Martine que Pascal et Clotilde réussissent à survivre après la faillite du notaire auquel Pascal avait confié son argent. L’imprudence de Pascal concernant son rapport à l’argent, son incapacité à gérer sa fortune finit par mettre en péril la base matérielle de son existence. Le texte construit donc un rapport d’opposition entre l’idéalisme du savant et le domaine matériel de l’économie et de l’argent[15].
De manière plus générale, le texte repose sur une opposition entre la vie et la mort, qui englobe toutes les oppositions dans lesquelles la science est impliquée. Pascal cherche à combattre la mort, mais il doit reconnaître que souvent les moyens que lui fournit la science sont insuffisants. À force de subordonner toute son existence à la science, il doit constater que la science finit par mettre en péril sa vie :
Pendant le mois qui suivit, Pascal essaya de se réfugier dans un travail acharné de toutes les heures. Il s’entêtait maintenant les journées entières, seul dans la salle, et il passait même les nuits, à reprendre d’anciens documents, à refondre tous ses travaux sur l’hérédité. On aurait dit qu’une rage l’avait saisi de se convaincre de la légitimité de ses espoirs, de forcer la science à lui donner la certitude que l’humanité pouvait être refaite, saine enfin et supérieure. Il ne sortait plus, abandonnait ses malades, vivait dans ses papiers, sans air, sans exercice. Et, au bout d’un mois de ce surmenage, qui le brisait sans apaiser ses tourments domestiques, il tomba à un tel épuisement nerveux, que la maladie, depuis quelque temps en germe, se déclara avec une violence inquiétante. (p. 191 sq.)
Le travail du scientifique a donc une fonction ambivalente, dans la mesure où son but principal est d’améliorer la condition de vie des hommes en combattant les maladies, mais qu’en même temps, il aboutit à une dégradation de l’état de santé du scientifique. C’est cette dégradation déclenchée par le surmenage du chercheur qui finit par emporter le docteur Pascal. Paradoxalement, dans son agonie, le médecin est incapable de se soigner lui-même ; il ne lui reste qu’à assister passivement à un processus létal, que son expérience lui permet de prévoir. La fin de Pascal montre de manière cuisante l’impuissance du médecin ; l’observation scientifique ne réussit pas à donner lieu à une application pratique.
Le seul remède contre la mort, l’antidote contre la finitude de l’organisme, est la reproduction sexuelle. L’importance de celle-ci est évoquée par Clotilde, une fois qu’elle est devenue l’amante de son oncle Pascal. La reproduction « était, pour elle, la conséquence naturelle et indispensable de l’acte. Au bout de chacun de ses baisers, se trouvait la pensée de l’enfant ; car tout amour qui n’avait pas l’enfant pour but, lui semblait inutile et vilain. » (p. 262) Ce passage est suivi d’une réflexion sur les romans d’amour, que Clotilde n’aime pas parce qu’ils éclipsent la reproduction.
Le sexe des héros, dans les romans distingués, n’était plus qu’une machine à passion. Ils s’adoraient, se prenaient, se lâchaient, enduraient mille morts, s’embrassaient, s’assassinaient, déchaînaient une tempête de maux sociaux, le tout pour le plaisir, en dehors des lois naturelles, sans même paraître se souvenir qu’en faisant l’amour on faisait des enfants. C’était malpropre et imbécile. (p. 263)
Ce verdict, qui se fonde sur une conception nourrie par des « études d’histoire naturelle » (p. 263), implique aussi un jugement esthétique. Le roman de Zola prend ses distances par rapport à une conception du roman qu’il considère comme obsolète et qu’il cherche à transcender. L’importance accordée par Zola au phénomène de l’hérédité s’associe donc de manière cohérente et logique à une valorisation de la reproduction sexuelle. Celle-ci acquiert par conséquent une valeur poétologique. Dans le dispositif zolien du roman, la reproduction fait partie du domaine épistémique. En même temps, ainsi qu’on a pu le voir, elle possède une valeur poétologique. Autrement dit, le fait de la reproduction est soumis à un « double codage », à savoir un codage épistémique et esthétique[16].
Sur le plan syntagmatique du roman, l’enfant qui est le fruit de l’union entre Pascal et Clotilde, fait apparition après la séparation des amants. De cette séparation résulte une dissociation, symboliquement importante, de la mort de Pascal et de la naissance de son fils. L’enfant naît d’un père absent et disparu. Entre la mort de Pascal et la naissance de son fils, il y a une ellipse temporelle : nous retrouvons Clotilde au début du chapitre XIV, tenant sur ses genoux son enfant en août 1874, Pascal étant mort le 7 novembre 1873[17]. Cette rupture sur le plan textuel marque une discontinuité sur le plan idéologique. Le texte met dans un rapport de contiguïté la mort de Pascal et la destruction de son œuvre, car c’est après la mort de son fils que Félicité réussit à ouvrir l’armoire de Pascal pour mettre au feu tous les documents. Le seul document qui échappe à la destruction est l’arbre généalogique, que Pascal, agonisant, avait utilisé afin d’y inscrire la date de sa propre mort. C’est par ce geste paradoxal, l’anticipation d’une date qui par définition ne peut être sue qu’a posteriori, que Pascal, sans le savoir, rend possible le sauvetage de ce document, car celui-ci ne se trouvera pas dans l’armoire au moment où Félicité s’en emparera afin de détruire ce qu’elle contient.
Si d’une part, la mort de Pascal et la destruction de son œuvre s’équivalent, il y a, d’autre part, un rapport de substitution entre l’œuvre de Pascal et son enfant. Symboliquement, l’espace vide de l’armoire, qui autrefois contenait l’œuvre scientifique de Pascal, est rempli par les vêtements de l’enfant.
C’était dans cette armoire, si pleine autrefois des manuscrits du docteur, et vide aujourd’hui, qu’elle avait rangé la layette de l’enfant. Elle semblait sans fond, immense, béante, et, sur les planches nues et vastes, il n’y avait plus que les langes délicats, les petites brassières, les petits bonnets, les petits chaussons, les tas de couches, toute cette lingerie fine, cette plume légère d’oiseau encore au nid. Où tant d’idées avaient dormi en tas, où s’était accumulé pendant trente années l’obstiné labeur d’un homme, dans un débordement de paperasses, il ne restait que le lin d’un petit être, à peine des vêtements, les premiers linges qui le protégeaient pour une heure, et dont il ne pourrait bientôt plus se servir. L’immensité de l’antique armoire en paraissait égayée et toute rafraîchie. (p. 422)
Si le linge de l’enfant remplace les papiers et les documents du père, l’enfant lui-même remplace Pascal. On peut en conclure que l’enfant vivant remplace le père mort et que, de manière générale, la vie se substitue à la science.
Par conséquent, dans le dernier chapitre du roman, c’est la vie qui est exaltée dans les réflexions de Clotilde, au détriment de la science. Ces réflexions portent sur le côté autotélique de la vie : Clotilde se dit que « la seule récompense de la vie est de l’avoir vécue bravement, en accomplissant la tâche qu’elle impose » (p. 416). Il est question de sa « passion de la vie » (p. 419). L’enfant de Clotilde et de Pascal est salué comme le « rédempteur » et le « messie » (p. 426). Son bras est « dressé comme un drapeau d’appel à la vie » (p. 429). La vie n’a même pas besoin de la science : en regardant l’arbre généalogique, Clotilde réfléchit sur le « mélange de l’excellent et du pire », sur « l’humanité en raccourci », représentés par les branches de l’arbre. Se demandant s’il « n’aurait pas mieux valu balayer cette fourmilière gâtée et misérable », elle finit par se dire que la vie « poursuivait son œuvre, se propageait selon ses lois, indifférente aux hypothèses, en marche pour son labeur infini » (p. 427).
La vie est donc un principe et une puissance incontournable, qui finit par l’emporter sur celui qui, comme Pascal, prétend se mettre à distance d’elle afin de pouvoir l’observer. La logique de l’action de ce roman montre bien que la position de l’observateur scientifique, qui croit ne pas faire partie du domaine qu’il observe, est intenable. C’est lorsque Félicité lui dit « […] tu deviens fou d’orgueil et de peur » (p. 196) que Pascal commence à comprendre qu’il n’est pas en dehors du système observé :
Lui qui, deux mois plus tôt, se vantait si triomphalement de n’en être pas, de la famille, allait-il donc recevoir le plus affreux des démentis ? Aurait-il la douleur de voir la tare renaître en ses moelles, roulerait-il à l’épouvante de se sentir aux griffes du monstre héréditaire ? Sa mère l’avait dit : il devenait fou d’orgueil et de peur. L’idée souveraine, la certitude exaltée qu’il avait d’abolir la souffrance, de donner de la volonté aux hommes, de refaire une humanité bien portante et plus haute, ce n’était sûrement là que le début de la folie des grandeurs. (p. 196)
2. L’écrivain italien Luigi Capuana (1839–1915) est, avec Giovanni Verga, le romancier naturaliste (« vériste») italien le plus important. Grand admirateur d’Émile Zola, il lui dédie son roman Giacinta, dont il publia une première version en 1879. D’autres versions remaniées furent publiées en 1886 et 1889. Capuana a découvert Zola dans les années 1870. Il publie des comptes rendus de deux romans de Zola (L’Assommoir, Une page d’amour). Dans le deuxième de ces comptes rendus il loue le fait que chez Zola l’élément scientifique s’introduise dans l’œuvre d’art (« l’infiltrarsi dell’elemento scientifico nell’opera d’arte»)[18]. Capuana est un partisan du positivisme, ce qui le rend proche de Zola dès le départ. D’après Bonino, Giacinta est un roman naturaliste « orthodoxe » qui est conçu comme une réponse à la question de savoir comment une jeune femme belle et sensuelle réagit à un traumatisme subi dans son enfance[19]. On verra tout de même que l’on ne peut pas réduire Giacinta à cette seule fonction. Certains critiques, auxquels je me joins, ont montré que chez Capuana, les tendances positivistes sont transcendées par une valorisation de la philosophie et du mythe, et donc, au bout du compte, de la littérature[20]. L’enjeu de ce roman est donc, comme chez Zola, le rapport entre le savoir de la science et celui de la littérature.
Giacinta raconte l’histoire d’une jeune femme, Giacinta, issue de la bourgeoisie italienne, qui est désirée par plusieurs jeunes hommes, dont cependant elle refuse les demandes en mariage. Elle s’éprend d’un jeune homme qui s’appelle Andrea Gerace, tout en refusant de l’épouser. Son choix finit par tomber sur un autre homme, qu’elle épouse sans ressentir de l’amour pour lui. Après le mariage s’établit un ménage à trois entre Giacinta, son mari Giulio Grippa et son amant Andrea Gerace.
Le texte de Capuana commence par une grande scène de salon dans laquelle sont présentés les principaux protagonistes. Cette scène sert surtout à introduire l’énigme de l’amour de Giacinta : il y a un colonel qui lui fait la cour, son amant Andrea regarde la scène et se montre jaloux, Giacinta l’apaise tout en lui expliquant qu’elle ne pourra l’aimer qu’à sa manière. Après cette scène initiale, il y a une analepse assez longue qui s’étend à peu près sur un tiers du livre[21] et dans laquelle est racontée l’enfance de Giacinta. Le lecteur apprend que celle-ci est la fille d’une femme adultère dont elle n’a jamais été aimée. Au contraire, la mère a donné sa fille à une nourrice afin de pouvoir se consacrer librement à ses relations amoureuses. Plus tard, revenue au sein de sa famille, Giacinta se lie d’amitié à un jeune domestique, Beppe, avec qui elle connaît les premiers ébats amoureux et qui finit par la séduire alors qu’elle a dix ans. Cette découverte précoce de la sexualité dans des circonstances très ambivalentes est présentée comme une des causes majeures du comportement sexuel déviant de l’héroïne. À côté de cette lésion, de ce traumatisme, il y a une deuxième cause, qui, elle, est liée à l’hérédité, car la mère vit dans l’adultère, ainsi que le fera sa fille, la seule différence entre la mère et la fille étant que celle-ci n’a qu’un seul amant, tandis que la mère en a plusieurs d’affilée. Lorsque la séduction de Giacinta par Beppe est découverte par une autre domestique, Camilla, la jeune fille demande à celle-ci de ne rien dire à sa mère. « ‘La mamma ! La mamma !’ ripeteva ironica la Camilla. E completando mentalmente il suo pensiero, ‘Accidenti !’ pensava, sorridendo beffarda e scuotendo la testa ‘La comincia anche prestino !’ »[22]. Il est sous-entendu dans ce raisonnement que pour la servante Camilla il va de soi que le comportement de la jeune fille est déterminé par celui de sa mère, c’est-à-dire qu’il y a un rapport de détermination liée à l’hérédité. Un troisième aspect servant à motiver le comportement de Giacinta est le milieu dans lequel elle grandit et qui est caractérisé par un manque d’affection et d’attention : « La bimba cresceva in questo ambiente freddo e repugnante, come una povera pianticina spuntata per cattiva sorte in un luogo umido e ombrato. »[23] Le seul membre de la famille ayant de l’affection pour Giacinta est son père qui, cependant, ne s’occupe pas beaucoup d’elle sous prétexte qu’il incombe aux mères de prendre soin des filles[24].
La mère de Giacinta, qui n’a donc jamais aimé sa fille, demande à celle-ci, lorsqu’elle est devenue majeure, de prendre un mari en fonction d’intérêts purement financiers, disant que la famille n’a pas par elle-même les moyens de se payer la vie de luxe qu’elle mène. Une dimension relativement importante de ce roman est comme chez Zola le monde de l’argent. Il est question de rapports sociaux fondés sur l’intérêt matériel et d’une banque qui finit par faire faillite. La mère de Giacinta se vend apparemment au directeur de la banque et en fait profiter sa famille[25]. Or, en prenant la décision d’épouser le comte Giulio Grippa, Giacinta, qui tout d’abord a réagi à l’injonction de sa mère en se révoltant et en exigeant sa liberté[26], obéit à sa mère de manière paradoxale, dans la mesure où elle acquiert un nom d’aristocrate et une grande fortune, mais en même temps un homme que tout le monde considère comme un imbécile. Par conséquent, le choix de la jeune femme est jugé par la société comme ayant été imposé par la mère, alors qu’en réalité la mère se montre indignée de la décision de sa fille. Apparemment, la fille suit une logique de l’excès, allant plus loin que sa mère ; par là même, elle subvertit le code de comportement officiellement en vigueur.
De manière générale, on peut dire que l’histoire de Giacinta est racontée d’un point de vue socio-psychologique et d’un point de vue scientifique. La perspective socio-psychologique se manifeste de la manière suivante : pendant la nuit de noces, Giacinta fait l’amour avec son amant Andrea et se refuse à son mari. Ensuite elle s’installe dans une situation scandaleuse du point de vue de la société, traitant son amant comme s’il était son mari et son mari comme s’il s’agissait d’un domestique. Personne ne comprend la motivation de Giacinta, ni sa mère, ni son amant. Le narrateur explique qu’il s’agit d’un geste de révolte dirigé contre son propre passé. Lorsque sa mère reproche à Giacinta de ruiner la position sociale de la famille, la mémoire du passé lui revient comme un éclair : « In un colpo le balenò la rivelazione di qualcosa di basso, di vituperevole in quell’uscita della sua mamma ; e tutti i martiri della sua puerizia, tutti i dolori, tutti i rancori, tutti gli sdegni della sua giovinezza le irruppero nella memoria come una banda sfrenata. »[27]
Giacinta tombe enceinte et accouche d’une fille, dont le père est Andrea. La ressemblance entre la fille et son père suscite l’affection de la mère qui, tout en évoquant la tristesse de sa propre enfance, se propose de donner tout son amour à cette créature : « Oh ! la vita di quella figliuolina sarebbe stata assolutamente tutt’all’opposto della sua. Non le sarebbe mancata nessuna cura, nessuna vigilanza materna. Amava su questo punto riuscir piuttosto eccessiva, che veder riprodurre nella sua Adelina l’ombra, soltanto l’ombra, dei mille dolori della sua vita ! »[28] Ainsi, au lieu de transmettre, moyennant une pulsion de répétition, le traumatisme subi dans son enfance à sa fille, Giacinta veut corriger son propre sort. Par conséquent, elle adopte le rôle d’une mère caressante, se substituant par là à sa propre mère et se projetant en même temps dans la position de sa fille (« quasi assumeva con se stessa la parte di mamma»)[29].
La dimension scientifique est sous-jacente dès le début du roman, mais elle se manifeste plus explicitement de la façon suivante : comme chez Zola, il y a une opposition, fondée sur une contiguïté narrative, entre la vie et la mort. L’épisode de la naissance est suivi par l’épisode de la mort du père de Giacinta. Celui-ci souffre de goutte et, malgré les soins que lui apporte sa fille, finit par mourir assez rapidement. Le docteur Follini, qu’on a fait venir, a essayé de guérir le malade par le curare. C’est ainsi que Giacinta entre en possession de ce poison, dont elle se servira pour se donner la mort à la fin du roman. Ses efforts maternels sont d’ailleurs aussi contrecarrés par la mort précoce de son enfant[30].
Le docteur Follini, qui a lu les écrits de Claude Bernard, de Virchow, de Moleschott et d’Angelo Camillo de Meis, mais aussi de Hegel et de Spencer, joue un rôle important dans les derniers chapitres du roman : c’est lui qui occupe la position de l’observateur scientifique étudiant le cas de Giacinta comme un cas de « pathologie morale »[31]. Ainsi se manifeste la dimension proprement scientifique du roman de Capuana. Celle-ci a été introduite explicitement dans le roman à travers le narrateur, lorsqu’il présentait l’époux de Giacinta de cette façon :
Il conte Giulio Grippa di San Celso aveva appena ventott’anni. Alto della persona, castagno di capelli, di carnagione bianchissima da dare nello smorto, era evidentemente il prodotto degenerato di una magnifica razza. Si scorgeva un’impronta aristocratica sul suo viso da grullo, che una vita bestialmente scioperata cominciava a segnare di una precoce vecchiezza. I suoi modi, quantunque un po’ goffi, mostravano anch’essi un briciolo della squisita gentilezza che deriva dal sangue, la legge dell’eredità naturale non valendo soltanto per le malattie. Pel resto, era uno sciocco, nel più largo significato di questa parola.[32]
Le narrateur met donc l’accent sur l’hérédité et la dégénérescence de ce personnage. Quoique de manière beaucoup plus discrète que dans Le Docteur Pascal, le monde romanesque de Capuana est dominé par les lois scientifiques de l’époque.
Quant à Follini, il hésite entre l’observation distancée du scientifique et la curiosité du philosophe et du poète :
La Giacinta lo aveva interessato sin dai primi giorni come caso di patologia morale degno davvero di attenzione. In quella donna l’eredità naturale, l’organismo potevan servire a dipanare appena una metà del problema. E siccome per lui la medicina non consisteva soltanto nella diagnosi e nella cura del morbo, così non lasciava sfuggirsi nessuna occasione di raccogliere elementi scientifici, cioè fatti individuali provati, pel suo gran lavoro sull’uomo, ideato sin da quando si trovava all’Università bolognese.[33]
Il résulte de cette citation que, pour Follini, l’hérédité naturelle ne suffit pas à expliquer la pathologie de Giacinta. Il observe la maladie de Giacinta non seulement du point de vue d’un médecin, dont le but est de soigner le malade, mais aussi du point de vue d’un philosophe, qui ambitionne d’écrire un grand travail sur l’homme. Le narrateur le présente comme un « médecin-philosophe »[34], ayant une âme de poète[35]. Nous retrouvons donc chez Capuana l’association du domaine de la science et de celui de la poésie caractéristique de Zola. Le texte de Capuana suggère que la seule approche scientifique ne suffit pas à éclairer les énigmes de la vie et de l’homme. Le scientifique a besoin du soutien de l’imagination poétique[36].
En outre, le médecin-observateur impartial s’expose au risque de perdre son impartialité en raison de la proximité qui existe entre lui et sa malade. Malgré la dénégation initiale du narrateur, qui rapporte ce que disent les mauvaises langues (« I maligni […] vedevano in quella intimità un sintomo cattivo per la posizione dell’Andrea. Secondo loro, il dottor Follini era in via di soppiantarlo e se ne rallegravano segretamente. »)[37], rejetant leur interprétation (« Nulla di più falso di questi sospetti»)[38], on verra plus tard que l’intimité entre le médecin et Giacinta engendre une relation non pas amoureuse, mais affective :
‘Le donne come lei non sanno amare due volte !’ Questa convinzione salvò il dottore e la Giacinta da un falso passo. Però la sua parte di confidente gli era molto gradita. La lotta di quella donna lo interessava enormemente. Poteva arrivare un momento che la sua azione di amico non sarebbe stata, forse, inutile nello scioglimento del dramma a cui egli assisteva da spettatore, simile al coro di una tragedia greca. Forse il suo intervento avrebbe impedito una catastrofe. Quel dramma, inevitabilmente, doveva averne presto una. Ma quale ? Il problema stava qui. ‘Uno scioglimento volgare’ egli pensava talvolta. ‘Meglio così nella vita !’ E stava ad osservare colla fredda curiosità dello scienziato, e un po’ coll’emozione di un uomo di cuore.[39]
Ce passage montre bien l’ambivalence croissante du rapport entre Follini et Giacinta. Le médecin, qui est en même temps le confident de Giacinta, tout en maintenant son rôle d’observateur distancé et impartial (« fredda curiosità dello scienziato»), ne peut pas éviter de ressentir l’émotion d’un homme qui se sent attiré par une femme. Là encore, le rôle de l’observateur scientifique est mis en parallèle avec un élément littéraire, à savoir le chœur de la tragédie grecque. Sur le plan métaphorique, la situation de Giacinta est analysée comme s’il s’agissait d’une tragédie. Les sentiments de tendresse ressentis par Follini sont, d’ailleurs, partagés par Giacinta, qui dit au docteur : « ‘Oh, se avessi conosciuto a tempo un altr’uomo come lei ! E pensare che ora un uomo come lei, buono e compassionevole, non può più,… non che amarmi…, neanche stimarmi !…’ »[40]. Entre Giacinta et Follini naît donc une relation amoureuse virtuelle, platonique, non réalisée, qui cependant intervient dans la logique de l’action. En effet, le docteur avoue avoir aimé Giacinta comme un enfant aurait aimé une mère : « Vi ho amata come un fanciullo ! »[41]. Cet aveu, dont il dit qu’il n’aurait pas dû le faire, précède l’annonce de son prochain départ pour l’Amérique : « Fra qualche settimana sarò in viaggio per l’America. La lontananza terrà sempre vivo un sentimento che forse noi avremmo ucciso restando vicini ! »[42] Cette dernière phrase indique clairement la conviction de Follini que son affection pour Giacinta risque de détruire sa position d’observateur scientifique. Or, pour Giacinta, l’aveu de Follini et son départ annoncé déclenchent la décision de se suicider. Évidemment, cette décision n’est pas uniquement causée par le départ de Follini, mais aussi par la dégradation de l’amour d’Andrea, qui a l’intention de la quitter. Comme Madame Bovary, autre référence littéraire de Capuana, Giacinta se suicide en s’injectant du poison[43].
En guise de conclusion, j’aimerais reprendre les principaux résultats de mon analyse. Le point de départ de celle-ci était l’identification du roman et du discours scientifique telle qu’on peut la trouver dans les écrits théoriques de Zola. L’analyse du Docteur Pascal, que l’auteur considérait comme « le résumé et la conclusion de toute [s]on œuvre », a cependant montré que dans la pratique esthétique de Zola le rapport entre la science et la littérature est plus complexe que dans ses écrits théoriques. D’une part la science apparaît moins triomphante, dans la mesure où elle doit se contenter d’avancer en tâtonnant et par hypothèses. Zola anticipe ici en quelque sorte la position du rationalisme critique du XXe siècle. D’autre part, la science, surtout lorsqu’elle est naissante, doit coopérer avec l’imagination poétique. En outre, le savant a recours à un credo, affirmant sa croyance à la vie, comme si la science s’apparentait à la religion. Ces trois points indiquent que le statut de domination de la science, qui est à la base des réflexions théoriques de Zola, est loin d’être clairement établi dans Le Docteur Pascal. On a même pu constater un renversement du rapport entre la science et la littérature, dans la mesure où c’est le roman de Zola qui, en racontant l’histoire des Rougon-Macquart, contrecarre les intentions de destruction manifestées par Félicité, qui veut faire disparaître les informations sur les membres de la famille en brûlant les documents de Pascal. Quant à la vie, valorisée par le credo de Pascal, celle-ci s’avère en permanence menacée par la mort, si bien que le scientifique se retrouve dans une situation paradoxale. À force de lutter contre la mort et pour la vie, il finit par ruiner sa santé, ce qui le mène dans une situation létale. Dans cette situation on assiste à l’impuissance du scientifique, qui est incapable d’empêcher ce qu’il observe, à savoir sa propre mort. En fin de compte, le seul remède contre la mort est la reproduction sexuelle : Pascal meurt, ses documents sont brûlés par Félicité, son fils naît et ses vêtements sont rangés dans l’armoire qui autrefois contenait les documents de son père. On peut en conclure que l’enfant – et donc la vie – se substitue à l’œuvre du scientifique. Enfin, le roman remet en question la possibilité d’un observateur qui serait en dehors du monde qu’il s’apprête à observer.
Le roman Giacinta de Capuana a le même point de départ que les romans de Zola. Il s’agit de donner une réponse à un problème que l’on peut considérer comme un problème scientifique, à savoir la réaction d’un organisme à une lésion, causée par la découverte prématurée de la sexualité. Cette question est traitée de deux points de vue : d’un point de vue socio-psychologique et d’un point de vue scientifique. Sur le plan psychologique le comportement de Giacinta est analysé comme une révolte contre sa mère, sur le plan de la vie sociale comme la mise en scène d’un scandale. Sur le plan scientifique, cependant, le narrateur délègue l’analyse à un des personnages, le docteur Follini, qui est un croisement de médecin, de philosophe et de poète. En outre, Follini essaie de garder l’équilibre entre le rôle d’un observateur scientifique impartial et celui d’un confident qui se voit attiré par la jeune femme qu’il observe. Il est remarquable que le rôle de l’observateur soit comparé à celui du chœur dans la tragédie grecque, ce qui renvoie à l’importance accordée à la littérature, malgré le statut de domination qui est officiellement accordé à la science.
On voit donc bien que les deux auteurs dans leur pratique esthétique dépassent les principes de leur théorie, peignant l’image d’une relation extrêmement complexe entre la science et la littérature. On peut en tirer la conclusion suivante : la dimension épistémique du roman ne dérive pas de sa capacité mimétique, du fait qu’il peut mettre en scène des scientifiques à l’œuvre, essayant par là de rivaliser avec la science, mais elle dérive de la mise à distance qui va de pair avec cette capacité mimétique, dans la mesure où un roman peut faire se rencontrer et s’affronter un scientifique et un poète, ou bien un scientifique et un amant, etc. et qu’il peut, sur le plan poétique, traiter des problèmes qui semblent insolubles sur le plan épistémologique.
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
Bibliographie
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* Cet article s’insère dans le projet de recherche franco-allemand « Biolographes», soutenu par l’ANR et la DFG. Je remercie cordialement Marie-Paule Boutes d’avoir relu et corrigé mon texte.
[1] Denis Diderot, « Éloge de Richardson », inŒuvres, éd. André Billy, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1951, p. 1059–1074, p. 1059.
[2] Honoré de Balzac, « Avant-propos », inLa Comédie humaine, éd. Pierre-Georges Castex, vol. 1, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1976, p. 7–20, p. 8.
[3] Émile Zola, « Différences entre Balzac et moi », inLesRougonMacquart, éd. Armand Lanoux, vol. 5, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1967, p. 1736 sq.
[4]Ibid., p. 1737.
[5] Voir Hippolyte Taine, Histoire de la littérature anglaise, t. I, Paris, Hachette, 6e éd., 1885, p. XXIII sqq. où il définit les trois concepts-clés « race », « milieu » et « moment ». « Ce qu’on appelle la race, ce sont ces dispositions innées et héréditaires que l’homme apporte avec lui à la lumière, et qui ordinairement sont jointes à des différences marquées dans le tempérament et dans la structure du corps. Elles varient selon les peuples. » (p. XXIII) – « Lorsqu’on a ainsi constaté la structure intérieure d’une race, il faut considérer le milieu dans lequel elle vit. Car l’homme n’est pas seul dans le monde ; la nature l’enveloppe et les autres hommes l’entourent ; sur le pli primitif et permanent viennent s’étaler les plis accidentels et secondaires, et les circonstances physiques ou sociales dérangent ou complètent le naturel qui leur est livré. » (p. XXVI) – « Il y a pourtant un troisième ordre de causes ; car avec les forces du dedans et du dehors, il y a l’œuvre qu’elles ont déjà faite ensemble, et cette œuvre elle-même contribue à produire celle qui suit ; outre l’impulsion permanente et le milieu donné, il y a la vitesse acquise. Quand le caractère national et les circonstances environnantes opèrent, ils n’opèrent point sur”©une table rase, mais une table où des empreintes sont déjà marquées. Selon qu’on prend la table à un moment ou à un autre, l’empreinte est différente […]. » (p. XXIX ; italiques dans le texte.)
[6] Voir à ce propos Yves Malinas, Zola et les hérédités imaginaires, Paris, Expansion Scientifique Française, 1985.
[7]Énéité est une coquille ; le mot juste est innéité.
[8]Ibid.
[9] Zola, Leromanexpérimental, Paris, Charpentier, 1880, p. 2.
[10] Zola, Le Docteur Pascal, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, « folio classique », 1993, p. 51. Les indications de page suivantes qui se réfèrent à cette édition seront insérées directement dans le corps de texte après la citation.
[11] Voir Karl R. Popper, Objektive Erkenntnis. Ein evolutionärer Entwurf, trad. Hermann Vetter, Hamburg, Hoffmann und Campe, 2e éd., 1974, p. 42 : « Ich erkannte, daíŸ die Suche nach Rechtfertigung aufgegeben werden muíŸ, nach Rechtfertigung des Wahrheitsanspruchs einer Theorie. Alle Theorien sind Hypothesen ; alle können umgestoíŸen werden. » (Italiques dans le texte.) L’idée du caractère hypothétique de tout savoir se trouve déjà chez Robert Musil. Voir Thomas Klinkert, « Musils Mann ohne Eigenschaften als Roman des Hypothetischen », inEpistemologische Fiktionen. Zur Interferenz von Literatur und Wissenschaft seit der Aufklärung, Berlin/New York, de Gruyter, 2010, p. 272–285.
[12] La critique de la science est un des traits fondamentaux du Docteur Pascal. Voir Rudolf Behrens/Marie Guthmüller, « Krankes/gesundes Leben schreiben. Émile Zolas Le docteur Pascal im Umgang mit dem Hereditäts- und Lebenswissen des ausgehenden 19. Jahrhunderts », in Yvonne Wübben/Carsten Zelle (dir.), Krankheit schreiben. Aufzeichnungsverfahren in Medizin und Literatur, Göttingen, Wallstein, 2013, p. 432–457, qui montrent que Le Docteur Pascal met en évidence les aspects vitalistes inhérents au positivisme évoqué par la théorie de Claude Bernard, dont Pascal est un alter ego. Le roman de Zola met donc en valeur l’ambivalence constitutive de la pensée scientifique.
[13]Le Docteur Pascal, p. 86.
[14] Pour une description de l’effet « spéculaire » résultant de ce procédé, voir Henri Mitterand, « Préface », in Émile Zola, Le Docteur Pascal, éd. Henri Mitterand, Paris, Gallimard, « folio classique », 1993, p. 7–48, ici p. 43 : « Le Docteur Pascal est en effet un roman – avec une histoire de fiction, dans un environnement spatio-temporel vraisemblable – et un métaroman, c’est-à-dire un roman prenant pour objet – quoique partiellement et de manière subtilement biaisée – un autre roman, en l’occurrence une série romanesque. Dispositif assez neuf ou assez rare, pour l’époque, d’autant plus qu’il amalgame un traitement particulier de l’ ‘intertextualité’ et une annonce des ‘mises en abyme’ modernes. » Voir également Larry Duffy, « Incorporations hypodermiques et épistémologiques chez Zola. Science et littérature », inRevue Romane 44, 2 (2009), p. 293–312, qui insiste sur l’analogie entre le traitement par injections hypodermiques, méthode inventée par Jules Chéron et appliquée par le protagoniste du roman de Zola, et la manière dont le roman naturaliste s’approprie le savoir extralittéraire. « Notre hypothèse est que le ‘fait générateur’ hypodermique, vrai ou faux, fonctionne en tant que métaphore de la manière dont le texte documentaire ingère les informations extralittéraires […]. » (p. 295) De manière générale, Le Docteur Pascal peut être considéré comme une mise en abyme du texte naturaliste (p. 296).
[15] Cela fait penser à La Recherche de l’Absolu de Balzac où le personnage principal, Balthazar van Claës, dépense presque toute la fortune de sa famille pour financer ses expériences chimiques.
[16] Voir à ce propos Thomas Klinkert, « Fiction et savoir. La dimension épistémologique du texte littéraire au XXe siècle (Marcel Proust) », inÉpistémocritique 10 (printemps 2012), http://rnx9686.webmo.fr/?p=258&lang=fr.
[17]Le Docteur Pascal, p. 381.
[18] Cité d’après l’introduction de Guido Davico Bonino, in Luigi Capuana, Giacinta, secondo la 1a edizione del 1879, éd. Marina Paglieri, Milano, Mondadori, 1988, p. XIII.
[19]Ibid.
[20] Voir Floriano Romboli, « L’arte ‘impersonale’ e l’opera romanzesca di Luigi Capuana », in Romano Luperini (dir.), Il verismo italiano fra naturalismo francese e cultura europea, San Cesario di Lecce, Manni, 2007, p. 83–117, p. 95 : « Capuana non aveva mai accettato lo scientismo positivistico come una vision du monde, come un apparato teorico autosufficiente e perciò totalizzante. […] per una sintesi globalmente esplicativa della realtà naturale e storica preferiva ricorrere alla filosofia ottocentesca tradizionale e particolarmente all’hegelismo, che aveva conosciuto in special modo attraverso la mediazione di Angelo Camillo De Meis e di Francesco De Sanctis. » (Capuana n’avait jamais accepté le scientisme positiviste comme une vision du monde, comme un appareil théorique autosuffisant et, par là, totalisant. […] pour une synthèse globalement explicative de la réalité naturelle et historique, il préférait avoir recours à la philosophie traditionnelle du XIXe siècle et, en particulier, à celle de Hegel, dont il avait pris connaissance de manière spécifique par l’intermédiaire d’Angelo Camillo De Meis et de Francesco De Sanctis. – Sauf mention contraire, les traductions de textes étrangers sont celles de l’auteur de cet article.) Voir aussi Gerhard Regn, « Genealogie der Dekadenz : Moralpathologie und Mythos in Capuanas Giacinta», in : Romanistisches Jahrbuch 62 (2011), p. 215–239, p. 227 : « In der Erzählung des ‘bel caso’ […] werden mit den Mitteln der erzählerischen Imagination die Leerstellen gefüllt, welche die unabdingbare Orientierung an der positivistischen Wissenschaft notwendig frei lässt. Dem analytischen Erklären tritt somit das intuitive Verstehen zur Seite. » (Dans la narration du « bel caso» […], les lacunes occasionnées nécessairement par l’incontournable respect de la science positiviste sont remplies par les moyens de l’imagination narrative. À l’explication analytique s’associe donc la compréhension intuitive.)
[21]Giacinta, p. 16–87.
[22]Ibid., p. 35. (‘Maman ! Maman !’, répéta ironiquement Camilla. Et en complétant mentalement sa pensée, ‘Ça alors !’, pensa-t-elle en secouant la tête, ‘Elle commence vraiment très tôt !’)
[23]Ibid., p. 23. (L’enfant grandissait dans ce milieu froid et répugnant, comme une pauvre petite plante qui par malheur a poussé dans un endroit humide et situé dans l’ombre.)
[24]Ibid., p. 23.
[25]Ibid., p. 43.
[26]Ibid., p. 67.
[27]Ibid., p. 144 (Comme un éclair elle aperçut, dans cette sortie de sa mère, la révélation de quelque chose de bas et qui méritait d’être blâmé ; et tous les martyres de son enfance, toutes les douleurs, toutes les rancœurs, tous les dédains de sa jeunesse firent irruption dans sa mémoire comme une musique effrénée.)
[28]Ibid., p. 153. (Oh ! la vie de cette fillette serait absolument le contraire de la sienne. Aucun soin, aucune attention maternelle ne lui manquerait. Elle aimait mieux sur ce point paraître excessive plutôt que de voir se reproduire chez son Adelina l’ombre, seulement l’ombre, des mille douleurs de sa vie !)
[29]Ibid., p. 153. ([…] c’est comme si elle adoptait pour elle-même, son rôle de maman).
[30]Ibid., p. 168.
[31]Ibid., p. 161.
[32]Ibid., p. 93. (Le comte Giulio Grippa di San Celso avait à peine vingt-huit ans. Il avait le corps élancé, les cheveux châtains, la peau extrêmement claire, voire pâle, et il était visiblement le produit dégénéré d’une race magnifique. Il restait des traces aristocratiques sur son visage d’imbécile, sur lequel une vie d’animal désœuvré commençait à marquer l’empreinte d’une vieillesse précoce. Son comportement, quoiqu’un peu maladroit, était également teinté de cette gentillesse exquise dérivant du sang, la loi de l’hérédité naturelle ne valant pas uniquement pour les maladies. Par ailleurs, il était bête, au sens le plus large de ce mot.)
[33]Ibid., p. 161. (Giacinta l’avait intéressé dès les premiers jours comme un cas de pathologie morale vraiment digne d’attention. Chez cette femme l’hérédité naturelle et l’organisme expliquaient à peine la moitié du problème. Et comme pour lui, la médecine ne se réduisait pas à faire un diagnostic et à soigner le malade, il ne laissait échapper aucune occasion de recueillir des éléments scientifiques, c’est-à-dire des faits individuels attestés, pour son grand travail sur l’homme, qu’il avait conçu alors qu’il faisait ses études à l’université de Bologne.)
[34]Ibid., p. 160 (« medico-filosofo »).
[35]Ibid., p. 161 (« un’anima da poeta »).
[36] Voir à ce sujet Annamaria Cavalli Pisani, La scienza del romanzo. Romanzo e cultura scientifica tra Otto e Novecento, Bologna, Pàtran Editore, 1982, p. 22 : « E su questo margine di libertà incontestabile l’artista gioca le sue carte più fruttuose, fino a giungere ben presto come fa il Capuana, che in questo caso scavalca il maestro Zola, a formulare l’idea dell’arte come facoltà in grado di ‘perfezionare’ la scienza, in quanto riesce a dare vita a personaggi e a casi più compiuti e coerenti di quelli che l’esperienza scientifica possa offrire. » (Et dans cette marge de liberté incontestable, l’artiste joue ses cartes les plus fructueuses, jusqu’à ce qu’il arrive assez rapidement, comme Capuana, qui dans ce cas-là suit son maître Zola, à formuler la notion de l’art en tant qu’instrument en mesure de « perfectionner » la science, en ce qu’il réussit à donner la vie à des personnages et à des cas plus parfaits et plus cohérents que ceux offerts par l’expérience scientifique.)
[37]Giacinta, p. 161. (Les malveillants […] prenaient cette intimité pour un mauvais signe concernant la position d’Andrea. Selon eux, le docteur Follini était en train de le supplanter, et ils s’en réjouissaient secrètement.)
[38]Ibid., p. 161. (Rien de plus erroné que ces soupçons).
[39]Ibid., p. 172. (‘Les femmes de ce genre sont incapables d’aimer deux fois !’ Cette conviction empêcha le docteur et Giacinta de faire une erreur de parcours. Cependant, son rôle de confident lui était très agréable. La lutte de cette femme l’intéressait énormément. Il pouvait arriver un moment où son action amicale ne serait peut-être pas inutile dans le dénouement du drame auquel il assistait en tant que spectateur, comme le chœur d’une tragédie grecque. Peut-être son intervention empêcherait-elle une catastrophe. Ce drame ne pouvait manquer d’en avoir bientôt une. Mais laquelle ? Le problème était là. ‘Un dénouement vulgaire’, pensa-t-il parfois. ‘Dans la vie c’est mieux comme ça !’ Et il continua à observer avec la froide curiosité du scientifique, et un peu avec l’émotion d’un homme de cœur.)
[40]Ibid., p. 173. (Oh, si j’avais connu à temps un autre homme comme vous ! Dire que maintenant un homme comme vous, bon et plein de compassion, ne peut plus,… je ne dis pas m’aimer…, même pas avoir de l’estime pour moi !…)
[41]Ibid., p. 200. (Je vous ai aimée comme un enfant.)
[42]Ibid., p. 200. (Dans quelques semaines je partirai pour l’Amérique. La distance maintiendra vivant un sentiment que nous aurions peut-être détruit en restant proches l’un de l’autre !)
[43] Tout porte à croire qu’il s’agit d’un suicide, préparé par Giacinta moyennant une injection de curare. Cependant, ainsi que le fait remarquer Gerhard Regn, « Genealogie der Dekadenz », p. 223, le texte laisse planer le doute sur la cause définitive de la mort de l’héroïne.



Zur Gegenwart der Naturgeschichte. Literarische Konfigurationen

1. Präsenz der Naturgeschichte

In Kultur und Literatur der Gegenwart ist eine Renaissance der Naturgeschichte zu konstatieren; die Renaissance einer abgelebten epistemischen und literarischen Formation, mit der es spätestens mit der Evolutionstheorie vorbei war[1]. Es gibt eine durchaus auffällige Rückkehr zu Mustern, die wissenschaftsgeschichtlich mit Namen wie Carl v. Linné und Georges Buffon verbunden ist, aber auch mit Namen wie dem des franko-amerikanischen Vogelmalers John James Audubon, und auch noch dem von Alfred Brehm, dem Autor des ab 1864 erscheinenden Tierleben[2].

 

So hat etwa der australische Autor Richard Flanagan mit dem erfolgreichen Roman Gould’s Book of Fish (2001) die Geschichte des Fischmalers Buelow Gould mit einer Konjekturalgeschichte Tasmaniens verbunden. Die Biographie Linnés ist – neben der von Francis Galton und Henrik Ibsen – Gegenstand von Faszination und Machination in Antonia S. Byatts Roman The Biographer’s Tale von 2001. Der schwedische Fotograf Edvard Koinberg hat, Linné zu Ehren, ein Herbarium amoris gestaltet, eine erotische Botanik als Reverenz gegenüber Linnés Sexualsystem der Pflanzen: Das Vorwort stammt von Henning Mankell – eine Linné-Hommage unter dem etwas zweideutigen Titel Der Pflanzenliebhaber. Der amerikanische Tiermaler Walton Ford knüpft, Pasticcio oder Parodie, mit seinen ironischen Tierdarstellungen direkt an die Manier der naturgeschichtlichen Tierillustration des frühen XIX. Jahrhunderts an, hier an Audubon.

 

Ebenso stark in der naturgeschichtlichen Tradition verankert ist das Werk der Künstlerin und Schriftstellerin Anita Albus, nicht zuletzt bekannt für ihre Vignetten zu Christoph Ransmayrs Roman Die letzte Welt (1988) in Hans Magnus Enzensbergers Anderer Bibliothek. In den Bänden Botanisches Schauspiel und Von seltenen Vögeln eröffnet Albus, durchaus unter Gegenwartsabsichten, ein Kabinett der Naturgeschichte der Frühen Neuzeit bis ins XIX. Jahrhundert. Ihre Pflanzen- und Tierporträts stehen damit in einer langen naturgeschichtlichen Darstellungstradition, die von den holländischen Blumenmalern des XVII. Jahrhunderts, von Maria Sybilla Merians Metamorphosis insectorum Surinamensium (1705) über Karl Friedrich Martius’ Historia naturalis palmarum (1823) hin zu Audubon und John Goulds Monographie der Tukane (1850) und Edward Lears Illustrations of the Family of Psittacidae, or Parrots reicht, letzteres das Werk eines Malers und Autors, der durch seine von Enzensberger übersetzte Nonsenslyrik bekannter geworden ist. Alle genannten Titel sind in den letzten Jahren in teils aufwendigen, teils günstigen Editionen neu aufgelegt worden, und dokumentieren das wiedererwachte Interesse an der Naturgeschichte. Judith Schalansky gibt seit 2013 die nicht anders denn als naturgeschichtlich zu bezeichnende Reihe « Naturkunden » bei Matthes & Seitz heraus. Vervollständigt wird das Bild durch die Neuausgaben von Henry David Thoreaus Wilden Früchten und, in der Anderen Bibliothek, von Johann Friedrich Naumanns Naturgeschichte der Vögel Mitteleuropas (ab 1822) und der Neuausgabe von Georg Forsters Reise um die Welt. Die Naturgeschichte ist die Gattung der Liste[3], diese werde geschlossen mit einem Hinweis auf die große Neuausgabe des Insektenforschers Jean-Henri Fabre ebenfalls bei Matthes & Seitz, mit Illustrationen von Christian Thanhäuser.

 

An allen diesen Unternehmen ist die große Nähe zur Literatur auffällig, sie erinnern daran, dass Naturgeschichte in Beschreibung und Darstellung gerade auch ein Vertextungsunternehmen gewesen ist. Die Texte, die in Albus’ Botanischem Schauspiel ihren Blumenporträts beigegeben sind, folgen stets derselben Disposition: Sie beginnen mit einem längeren literarischen Zitat (das längste, man könnte sagen, erwartungsgemäß, stammt aus Barthold Hinrich Brockes’ Irdischem Vergnügen in Gott), werden gefolgt von einem Kurzessay zur Kulturgeschichte der botanischen Entdeckungen und abgeschlossen mit Bemerkungen zur möglichen Aufzucht der beschriebenen Pflanze in unseren Breiten. In der biologischen Gegenwart verortet Albus – so in Von seltenen Vögeln, einem Buch über bedrohte, ausgestorbene und kulturell auratisierte Vogelarten – ihre Unternehmungen mit robusten Polemiken gegen die evolutionistische Soziobiologie, gegen den Determinismus der Hirnforschung und gegen die Genetik[4]. An deren Stelle treten Figuren der Naturgeschichte des XVIII. Jahrhunderts, wie Linné und Buffon; den Artikel über die Vögel aus Buffons Naturgeschichte von 1770 druckt Albus in eigener Übersetzung kommentarlos ab[5]. Für den Klappentext der Seltenen Vögel hat Christoph Ransmayr einen Satz beigesteuert, der an das Schlusstableau seiner Letzten Welt erinnert :

 

Wer sich in Anita Albus’ wunderbaren Beschreibungen und Bildern des Vogellebens verliert, vergisst für die Dauer des Vergnügens vielleicht sogar unerfüllbare Wünsche wie den, sich einmal im Leben wie ein Vogel in die Tiefe fallen zu lassen.

 

Wozu bis hier einige Indizien gesammelt werden sollten, ist der Aufweis einer kulturellen sensibility, die der Naturgeschichte günstig ist. Das Darwin-Jubiläum 2009 – das Doppeljubiläum von 200. Geburtstag und 150 Jahren Evolutionstheorie – ist wenig spektakulär verlaufen, mehr denn als Theoretiker von Evolution und Selektion ist Darwin als Naturhistoriker im beschriebenen Sinn erinnert worden, der Reisebericht der Voyage of the Beagle (1839) mehr und öfter als Origin of Species (1859). Und auch die erwartbaren kulturellen Affinitäten sind mobilisiert worden. Für das Vorwort einer Neuausgabe von Darwins Reisebericht hat sich – gewiss durch seinen Roman über Carl Friedrich Gauß und den Naturhistoriker Alexander v. Humboldt, Die Vermessung der Welt (2005) – Daniel Kehlmann qualifiziert. Die interessantesten Beiträge zum Darwin-Jahr schienen aus der Kunstgeschichte zu kommen : das erfolgreiche Buch von Julia Voss über Darwins Bilder und den Versuch von Horst Bredekamp, hinter Darwins « tree of life » visuell und kulturell die Naturgeschichte der Koralle zu entziffern.

 

Tatsächlich dürfte es der « ruchlose Optimismus der Frankenstein-Fraktion »[6] sein, von dem Enzensberger in seiner Polemik gegen Molekularbiologie und Genetik, « Putschisten im Labor » (2001), gesprochen hat, der die Literatur alarmiert hat; und Enzensberger zufolge verzeichnet die Literatur längst die dystopischen Kosten, während jene Fraktion ungebrochen die Phantasien des XIX. Jahrhunderts tradiert ; eines Jahrhunderts, das Anita Albus genau deshalb das « stupide » genannt hat. Im selben Sinn hat sich Jürgen Habermas jüngst als « Biokonservativer » bezeichnen lassen[7]. Erinnert man sich der genannten Gegner aus Anita Albus’ Naturgeschichten, findet man sie hier wieder. Durs Grünbein hat in seiner Berliner Chronik zum Jahr 2000 ein Plädoyer für die Sichtbarkeit und das Makroskopische gehalten und Darwin als Schwellenfigur zum Totenreich der Abstraktion porträtiert :

 

Die beliebte Rede vom Paradigmenwechsel unterstellt ja, verändert hätte sich nur die Art und Weise des Zeigens, die Erzähltechnik des Romans der Historia Naturalis. Wie aber, wenn das Vorzeigen selbst auf der Strecke geblieben wäre? […]

Mathematik und Chemie haben die wesentlich phänomenologische Biologie unterwandert. Immer komplexere Modelle versuchen der Unanschaulichkeit neuester Erkenntnisse Herr zu werden. Seit der technologischen Aufrüstung der Biowissenschaft ersetzt der Eingriff das Studium des Stoffes. […]

Dem Rekognoszieren folgt der Angriffskrieg, die experimentelle Zertrümmerung der Substanz im Labor. Molekularbiologie und Genetik zeigen nun, was moderne Kriegsführung heißt.[8]

 

Eine ganz ähnliche Distanz findet sich bei Christoph Ransmayr. « Wie? Auch das Genom, sagen Sie, soll mittlerweile entschlüsselt sein? » sagt der Sprecher von Ransmayrs kleiner, umwegiger Beiseite-Poetik Geständnisse eines Touristen von 2004,

 

Verzeihen Sie mir eine kleine Respektlosigkeit, aber ich habe in diesem Genomgeschnatter oft nur Der Gnom ist entschlüsselt! Der Gnom ist entschlüsselt! verstanden […]. […] Ich habe keine Lust, mich in Klassen- und Kastengesellschaften einer winkenden Zukunft herumzuschlagen, in der abgebrannte Naturschöne, verzweifelte Krüppel und von Ersatzteilen oder Zuchtgesundheit strotzende Börsenzombies mit der Lebenserwartung von Meeresschildkröten um die Novellierung allerneuester Pensionsregelungen kämpfen.[9]

 

Nach seiner Liaison mit der Hirnforschung, die ihm die Zuwendung von am Wissen interessierter Literaturwissenschaft eingetragen hat, hat sich Grünbein dem Makroskopischen zugewendet ; in einer gelungenen Rezension absonderlich aussehender Tiefseefische hat Grünbein für etwas plädiert, was schlichtweg als naturgeschichtlicher Blick zu bezeichnen wäre[10]. Ein ähnlicher Blick ist es, den zwei sehr unterschiedliche Besucher des Wiener Naturhistorischen Museums der letzten Jahre teilen, Uwe Tellkamps Komtur Lilienstein aus Reise zur blauen Stadt (2009) und Gerhard Roth für Die Stadt, ebenfalls 2009.

 

Als Gegenproben mögen jene Szenarien gelten, die Evolution entweder zu einem planetarischen Szenario einer posthumanen Geschichte hin extrapolieren, wie Dietmar Daths Roman Die Abschaffung der Arten (2008); oder aber auf das Scheitern individueller Lebensläufe wie den einer sozialdarwinisierenden Biologielehrerin mit DDR-Hintergrund. Die Pointe von Judith Schalanskys Roman Der Hals der Giraffe (2011) dürfte darin bestehen, dass die Darwinistin sich in ihrer selbstapologetischen Schlusstirade in Thesen des Anti-Darwin Lamarck verstrickt (ihr Name ist auch gleich Inge Lohmark).

 

2. Begriff und Poetik der Naturgeschichte

Um dem Begriff der Naturgeschichte näherzukommen, sollen zwei unterschiedliche Klärungen vorgenommen werden, eine wissenschaftsgeschichtliche und eine poetologische. Friedrich Kambartels Definition im Historischen Wörterbuch der Philosophie zufolge wird im ‘klassischen’ Gebrauch von « Naturgeschichte » das

 

beschreibend vorgetragene Wissen von der Natur und die es organisierenden Disziplinen, die heute auch so genannten beschreibenden Naturwissenschaften (wie etwa Mineralogie, « Physische Geographie », Geologie, Botanik, Zoologie, Paläontologie) und die zu ihnen gehörige Praxis des Sammelns, Aufzeichnens, Systematisierens[11]

 

bezeichnet, ein « Wissen » also und die Weise seiner Gewinnung. Ίστορια heiße « jede[ ] Art von Bericht oder Beschreibung », « welche nicht erklärungs- oder begründungsorientiert » (p. 526) vorginge, wie die Wiedergabe eines Krankheitsverlaufes oder ein Augenzeugenbericht vor Gericht, wie ihn Plinius maior in der Historia naturalis verwendet habe. (Begründende Diskurse hießen traditionell « philosophia naturalis »). Dieser ‘klassische’ Gebrauch von Naturgeschichte, so Kambartel weiter, habe im XIX. Jahrhundert in Schulfach- und Museumsbezeichnungen Konjunktur gehabt und sei so bis ins XX. Jahrhundert « durchaus gegenwärtig » (p. 526).

 

Zugleich gibt es, nach Michel Foucault und Wolf Lepenies, einen historischen Begriff von « Naturgeschichte », der eine spezifische Epoche der Naturforschung bezeichnet, gipfelnd in Linné und Buffon; Lepenies spricht vom Ende der Naturgeschichte durch die Historisierung der Natur im XIX. Jahrhundert, bei Foucault tritt dann die Biologie auf den Plan, auf einem Begriff von Leben aufruhend, den die auf räumliche Tableaus fixierte Naturgeschichte nicht zu bilden vermocht habe. Wie auch immer die Sache zu denken ist, fest steht zweierlei : erstens, in systematischer Hinsicht, dass es mit einem integralen Begriff der Natur, in drei Reiche gegliedert, dann vorbei ist, als die Biologie einen Trennungsstrich zwischen belebte und unbelebte Natur zu ziehen beginnt ; und dass zweitens in methodologischer Hinsicht Naturgeschichte das war, wovon man sich ab 1850 distanzierte, wenn man « wissenschaftlich » auftreten wollte. Das bloße Wissen von den Arten, auch von neuen Arten, ihrem Verhalten, ihrem Stoffwechsel und ihrem biologischen Kontext, erscheint jetzt als veraltet und vorwissenschaftlich. Die Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie schloss 1848 alles aus, was nicht Vergleichende Anatomie, Histologie, Embryologie und Physiologie betraf, alle « Berichte von neuaufgefundenen Arten » und alle « naturgeschichtlichen Neuigkeiten », eine Vorläuferin auf dem Weg in das Molekulare und in die genetischen Labors[12]. Damit kommt auch ein Prozess zu einem Ende, in dem die Literatur aus der Biologie gedrängt wird, und die Literaten mit ihr, um 1800 prominent Goethe, Merck, Forster (Federhofer). Zum dritten erfolgt um die Jahrhundertmitte – mit Darwin – die letztendliche Synthese aller bereits erfolgten Historisierungen, nach der Erde erhalten auch die Lebewesen eine Geschichte. « Naturgeschichte » hat damit zwar nicht aufgehört, ist aber in einer unübersichtlicher gewordenen Disziplin an den Rand gedrängt worden, in die Systematik, die Ethologie, die Frage nach der Biodiversität.

 

Für unsere Zwecke wird neben dem systematischen und dem historischen ein synthetischer Begriff von Naturgeschichte gefunden werden müssen. Eine Naturgeschichte heute, die von der Tradition aus denkt, wird vielleicht kein schlechtes, aber doch ein gespanntes Verhältnis zum Funktionalen (Physiologie und Genetik) haben sowie zum Historischen im engeren Sinn (Evolution) ; Naturgeschichte wird sich stattdessen für das Makroskopische, die Fülle der Gestalten und, gegebenenfalls, ihre Verwandlungen interessieren. Naturgeschichte ist damit eine Wissensformation ; eine Methode : das Sammeln und Ordnen ; eine Darstellungsform von Wissen : additiv, enumerativ, intertextuell. Naturgeschichte ist aber auch eine zum bewussten Anachronismus pointierbare Einstellung, eine sensibility, ein Set von Einstellungen und Werthaltungen, mit Ludvik Fleck gesagt : ein Denkstil, und, warum nicht, etwas, was mit Raymond Williams als structure of feeling bezeichnet werden kann ; eine Logik, eine Ethik und eine Ästhetik. Damit kann Naturgeschichte im Sinn der historia naturalis eine Artikulationsfläche von Alternativen zu dominanten Fusionen oder Fügungen von Geschichte und Natur sein; etwa der des einfachsten naturalisierten plots, dass die Stärkeren sich durchsetzen.

 

Eine solche Naturgeschichte würde dann die historischen Artikulationsformen solcher « Wissen » aufnehmen und wäre erkennbar an einer spezifischen Poetik : an einer Nähe zu pragmatischen Gattungen und den kleinen Formen, wie der Anekdote, der Chrie, der Fabel, der Allegorie, dem Emblem ; an « dichter Beschreibung », an topischen Katalogen : wenn Plinius ein Naturding beschreibt, nennt er zuerst seine Charakteristika gemäß dem Gebrauch, der davon zu machen ist ; seine Sympathien und Antipathien ; die Geschichte seiner Entdeckung ; seine Kunstfertigkeiten und Leistungen ; die Prodigien, die sich mit ihm verbinden[13] ; die entsprechende Topik bei Anita Albus wurde zitiert, die Buffons ließe sich nachreichen ; sie wäre erkennbar weiters an robusten Anthropomorphismen, mehr interessiert an moralisierter Natur denn an naturalisierter Moral ; sie wäre tendenziell populär oder zu Zeiten esoterisch, nicht aber professionell orientiert ; interessiert an Bildern, Emblemen, Illustrationen, Ekphrasis; schließlich angelehnt an plurale Überlieferungen, an das Hörensagen, an den Mythos und an die Ätiologie.

 

Geschichten, könnte man erwarten, werden sich mehr an die Sujets anlagern, als dass die Dinge als einer Geschichte unterworfen präsentiert würden. Texte, die auf Evolution und Darwinismus aufruhen, kreisen um die Zeit, um Fortschritt und Konflikt, um die Tiefenzeit (Stephen Jay Gould); ihre Protagonisten werden von Zeit, evolutionärer Zeit, durchströmt, sie sind Zeit und haben auch nur in der Zeit ihre möglichen Fluchtlinien, wie Kafkas Affe Rotpeter, der in seiner eisernen Kiste nicht nach links, nicht nach rechts, nicht hinauf, nicht hinunter flüchten kann und dessen einziger Ausweg in seiner evolutionären Zukunft liegt, er wird Mensch ; oder wie Gregor Samsa, der sich den Zumutungen der Moderne durch eine evolutionäre Rolle rückwärts entzieht, indem er Insekt wird. Demgegenüber haben in der Naturgeschichte die Wesen ihre Zeit und ihren Raum, ihre – immer diskutable und fragliche – Systemstelle.

 

Ein Test. Die Gattung der retro-Victorian novel (nach Sally Shuttleworth) in Ausprägungen wie bei Byatt (und John Fowles, und Lawrence Norfolk) wäre eine Versuchsanordnung, mit der solche Revisionsprozesse geführt werden können : Die paradigmatische Differenz von Naturgeschichte und Evolution wird dort aufgesucht, wo beide als tektonische Formationen aufeinandertreffen. Byatts Erzählung Morpho Eugenia (1992) spielt in den Jahren 1859-1862, also unmittelbar zur Zeit von Darwins Origin of Species. Der mittellose Evolutionist, Amazonasheimkehrer und Insektenforscher William hat die Adelige Eugenia Alabaster geheiratet und soll seinem frommen Schwiegervater im Austausch gegen Familienanschluss und Unterhalt Argumente gegen die Evolution zusammentragen helfen. Lebensgeschichtlich muss William feststellen, dass seine in kürzester Frist geborenen fünf Kinder keinerlei Ähnlichkeiten mit ihm, dafür in schöner Deutlichkeit den Typus seiner Schwiegerfamilie zeigen. Dem Insektenforscher ist, wie sich hier andeutet und in der Folge herausstellt, die Drohnenrolle zugedacht, während seine kleine Familie durch Inzest erhalten wird, gewissermaßen eu-genisch.

Die Peripetie in Williams Schicksal, das ihn in den Amazonas verschlägt, wird durch die bürgerliche Hauslehrerin herbeigeführt. Matty Crompton bringt William dazu, auf « a major scientific study », « the work of a lifetime » zu verzichten und stattdessen ein nützliches Buch, « a natural history » jener Ameisenkolonien zu verfassen, die sie seit Jahren mit den Kindern beobachten ;

 

yet of scientific value. You could bring your very great knowledge to bear on the particular lives of these creatures – make comparisons – bring in their Amazonian relatives – but told in a popular way with anecdotes, and folklore, and stories of how the observations were made – [14]

 

Natürlich wird es am Ende Matty sein, die die Meta-Morphose, die Verwandlung zum Schmetterling durchmacht. Die Gattungen, die in dieser Naturgeschichte anfallen, sind die der traditionellen Naturgeschichte : Anekdote, Fabel, Emblem und Novelle. Der wissenschaftsgeschichtliche Witz an diesem Roman ist, dass es das ältere Paradigma ist, das handlungsleitend und zur Konfliktlösung eingesetzt wird. Der Naturforscher als natural historian findet mit seinen Schreibgattungen den Weg aus den Labyrinthen der Genetik.

 

Der naturgeschichtliche Blick in der Moderne ist natürlich einer nach dem Darwinismus und den Verkettungen der Evolution, es ist einer, der nicht hinter die Evolution zurückwill, aber doch einer, der im Spiegel älterer Paradigmen Alternativen zu den aktuell dominanten Mensch-Natur-Verkettungen, enchaînements, eröffnen möchte. Schon früh war es gerade die blitzhafte, augenblickshafte Isolation der Dinge, die ausgerechnet den Ritter Linné für die Avantgarden interessant macht. H. C. Artmann übersetzt 1964 Linnés iter lapponicum, den Bericht der Lapplandreise von 1731. (Es ist, beiseite gesprochen, jenes Dokument, das in Byatts Biographer’s Tale von einem ersten Biographen umgeschrieben – oder gefälscht ? – wird, was ein zweiter Biograph entdeckt, der sich nun selbst in ein Gewirr von Natur, Literatur und Geschichte verstrickt, ausgerechnet in jenem Londoner Tresorraum, in dem Linnés Nachlass bewahrt wird.) Für Artmann ist es hier gerade der isolierende naturgeschichtliche Blick gewesen, die Unterbrechung der temporal-evolutionären Kontinua, die Linné für die Ästhetik der Wiener Gruppe attraktiv gemacht hat : « Was mich faszinierte », so Artmann in einer seiner raren poetologischen Äußerungen (zu landschaft 8),

 

war nicht der behäbige und distanzierende Bericht eines Naturforschers, sondern es waren die strahlenden Momentaufnahmen winziger Dinge, seien sie organischer oder anorganischer, materieller oder sozialer Art: abgesprungene, isolierte Details und im Strahlenglanz ihrer leuchtenden Faktizität. Hier finden sich Minibeschreibungen von Pflanzen und gerade aufgebrochenen Blüten oder eines bestimmten Sonnenwinkels, in dem sie erglühen. Da gibt es Listen von Mineralien und Holzarten, von Kochrezepten und Interieurs von Rauchstuben, Badekammern und auch ungewollt ‘poetische Notizen’ über merkwürdige Augenkrankheiten, oder, meinetwegen, Harnleiden, Vogelarten, Lurcharten. Mitternachtssonnenerscheinungen, und alles in der wertfreien Gleichzeitigkeit des Daseins.[15]

 

Fast zur selben Zeit eröffnet in unmittelbarer Nachbarschaft zu seinem Freund Artmann Konrad Bayer mit dem Romanprojekt (oder : Nicht-Romanprojekt) der kopf des vitus bering eine Textreihe, an der eine kleine Literaturgeschichte der Polarreise gezeichnet werden könnte, was in letzter Zeit von mehreren Autoren und Autorinnen bemerkt wurde. Diese Geschichte führt nicht unplausibel über Ransmayrs Die Schrecken des Eises und der Finsternis (1984) zu W. G. Sebalds von ihm so genannten « Elementargedicht » Nach der Natur (1988). Sebald kennt Ransmayr, der wieder Sebalds Manuskript an Enzensberger vermittelt[16]. Sebalds Freund Michael Hamburger übersetzt das Gedicht ins Englische. Nach der Natur, ein lyrisch-episches Triptychon, hat neben Teilen zu Matthias Grünewald und zum Bombenkrieg der Alliierten einen mittleren ‘Flügel’ zu dem Naturhistoriker Georg Wilhelm Steller, einem Teilnehmer von Vitus Berings Polarfahrt, den Sebald wieder aus Konrad Bayers kopf des vitus bering kennt.

 

Sebald dürfte einer der wenigen, wenn nicht der einzige rezente Autor sein, zu dessen Werkcharakteristik häufig ein Begriff von Naturgeschichte herangezogen wird. Fast ausnahmslos wird das durch die Wendung von der « Naturgeschichte der Zerstörung » begründet, die in Sebalds Text über die Verdrängung des Bombenkriegs aus der Literatur figuriert[17]. Diese « Naturgeschichte » sei die Benjamins und Adornos ; sie entstehe, so Adorno, an jenem Indifferenzpunkt von Natur und Geschichte, an dem beide qua Vergänglichkeit teilhaben ; seine Illustration die aus dem Trauerspielbuch bekannten Embleme von Ruine und Leiche, von Saturn und Totenkopf, von Melancholia und Hund. Wie es sich mit diesem Interpretament auch tatsächlich verhalten möge : Zum einen ist über jene Stellen Sebalds « Naturgeschichte » fester in der Geschichte der Naturforschung verankert, als Adornos Begriff es zuließe, von dem behauptet wird, er habe mit den Naturwissenschaften nichts zu tun (im Vortrag Die Idee der Naturgeschichte von 1932). Die Ringe des Saturn (1995) enthalten nicht nur eine Auseinandersetzung mit der frühneuzeitlichen Naturgeschichte, sondern auch eine « Naturgeschichte des Herings » und eine Monographie der Seidenspinner[18]. Zum anderen ließe sich aber umgekehrt von Walter Benjamin behaupten, dass seine Rede von « Naturgeschichte » anders als bei Adorno sehr wohl in der Ahnung begründet sein könnte, das ältere Paradigma der beschreibenden Disziplinen möge geeignet sein, die nötige Distanz zu dem So-Weiter der als Fortschritt gedachten Evolution herzustellen, als der eigentlichen Katastrophe, ein gegen die Darwin-Marx-Fusionen der Zweiten Internationale gerichtetes Denkmotiv, in Kontinuität zu den Antidarwinismen der Zeit. Dass Benjamin 1928 begeistert die Pflanzenfotografien Karl Blossfeldts rezensiert hat, sei nur in Parenthese erwähnt. Als Benjamin-Leser votiert Grünbein für das Diorama, als Sebald-Leser für die eklektische barocke Naturgeschichte eines Thomas Browne.

 

3. Naturgeschichte bei Christoph Ransmayr

Liegt die kritische Funktion der Applikation von Naturgeschichte in den in einem spezifischen Blick gesicherten Momenten der Isolation und der Unterbrechung, so gibt es auch eine produktive Funktion der Naturgeschichte zu verzeichnen. In den folgenden abschließenden Bemerkungen zu zwei Romanen von Christoph Ransmayr sei die These vertreten, Ransmayrs Texte könnten von Anfang an in der Spannung von Naturgeschichte einerseits, Evolution und Selektion andererseits verortet werden. Da Ransmayrs Werk in besonderer Weise der Konstruktion von semiautonomen Erzählwelten, ‘Weltentwürfen’ verschrieben sind, lässt sich annehmen, dass hier die Möglichkeitsbedingungen und internen Regulative dieser Welten auf dem Spiel stehen ; mitberührt sind die Fragen nach dem Status der Naturdinge in den Texten und die Frage nach Schichtungen und Staffelungen von Zeit.

 

Morbus Kitahara, 1995, Ransmayrs finstere Dystopie eines von den Siegern im Zweiten Weltkrieg entindustrialisierten Mitteleuropa, ist selbst eine Parabel über die Zeit, die für die Einwohner von Moor im « Steinernen Meer » nicht nur nicht vergeht, sondern sich nach rückwärts gedreht hat. Die Kontrastierung dieser Welten hat Ransmayr an anderer Stelle als Verfahren eines narrativen rubato erklärt :

 

Wenn sich ein Erzähler entschließt, dem zivilisations- und kulturgeschichtlichen Aspekt seiner Weltbeschreibung einen, sagen wir, naturgeschichtlichen Aspekt zur Seite zu stellen, erfährt er eine plötzliche Geschwindigkeitsveränderung. Die Entwicklung im historischen Raum erscheint plötzlich rasend, fliegend!, gemessen am Tempo etwa geologischer oder gar astronomischer Prozesse. Erzählen kann gelegentlich auch zum Versuch werden, diese Geschwindigkeiten in ihrer ungeheuerlichen Differenz aufeinander zu beziehen.[19]

 

Der Krieg erscheint als « Welt, die in das Zeitalter der Vulkane zurückzufallen schien »[20]. Den beiden Protagonisten Bering und Ambras sind Tiere bzw. Tiergruppen zugeordnet,  dem Schmied Bering, der Ambras’ Leibwächter wird, der sich ‘Löcher in die Netzhaut’ starrt, die Vögel und Hühner ; Ambras die Steine und die Hunde. Ambras, dem Lager entkommenes Folteropfer, wird zum « Hundekönig » des Romans, es wurde gezeigt, dass die Figur auf Herman Melvilles dog king (The Encantadas or Enchanted Isles, 1854) auf den Galapagosinseln zurückzuführen ist[21], womit sich ein Darwin-Zusammenhang leicht einstellt.

 

Der Roman führt zunächst in die dunkle Welt Moors; den wilden Hunden, die die « Villa Flora », in der Ambras residiert, bewachen, muss in der bekannten Szene erst der Wille gebrochen werden, indem ihrem Leithund der Hals umgedreht wird. Diese Welt dürfte als Darwin-Welt nicht ungenügend charakterisiert sein, als Welt, in der Selektion und Kampf ums Dasein regieren.

 

Angesichts dieser semiotisch flachen, von Ritualen gelenkten und stets bedrohten Welt errichten sich die Protagonisten allerdings Zonen anderer Ordnung, Enklaven, die mit den Praktiken der Naturgeschichte ausgestaltet werden. Zur naturgeschichtlichen Dimension des Romans gehört schon die von Ransmayr ausgewählte Umschlagillustration : Es ist der Eisenhut aus Blossfeldts Urformen der Kunst von 1928. (Das Ransmayr-Heft der Rampe von 2009 ist mit Blossfeldt-Fotografien kongenial illustriert.)

 

So entwickelt Ambras eine Vorliebe für die « schimmernden Tiefen kristalliner Strukturen »[22] von Edelsteinen :

 

Selbst das stumpfe Glitzern frisch gebrochenen Granits erinnerte ihn nun an die Bauformen der Edelsteine, und tagsüber saß er oft stundenlang in seiner Verwalterbaracke und betrachtete mit einer Lupe die schwebenden Einschlüsse im Inneren seiner Smaragde. In diesen winzigen Kristallgärten, deren Blüten und Schleier im Gegenlicht silbergrün glommen, sah er ein geheimnisvolles, laut- und zeitloses Bild der Welt, das ihn die Schrecken seiner eigenen Geschichte und selbst seinen Haß für einen Augenblick vergessen ließ.[23]

 

An anderer Stelle ist von den « schwebenden Gärten » die Rede, « in denen sich das Licht zu Chrysanthemen und Sternblüten bündelt und bricht, im Innern der Kristalle, die der Hundekönig in den Schubladen seines Vogelschrankes verwahrt »[24], in einem Kabinett nach Art der naturgeschichtlichen Sammlungen der frühen Neuzeit. Bering, mit seinem Konrad Bayer-Naturforscher-Namen[25], ist mit Vögeln aufgewachsen, die, zusammen mit dem Traum vom Fliegen, seine Gegensemiotik garantieren. In erlebter Rede schwingt sich Berings Differenzierungskraft zu einer Anerkennung von (« Bio- »)Diversität auf, die der ex-oberösterreichischen Steinwüste und damit der Prosa des Romans die Qualitäten Adalbert Stifter‘scher Parataxe zuteil werden lassen, und diese hatten ja selbst an den naturgeschichtlichen Ordnungen partizipiert. Die folgende Passage nennt nicht weniger als 15 Vogelarten:

 

Er [Bering] hört den Pfiff des Eisvogels und das rauhe Schnurren eines aufgeschreckten Zaunkönigs. Wenn er über dem Geplauder der Rauchschwalben oder dem eintönigen Reviergesang der Sumpfmeisen schläfrig wird, weckt ihn manchmal der metallische Warnruf einer Goldammer. Er durchschaut die Stare, die großen Täuscher, die eine Singdrossel oder Amsel ebenso nachzuahmen vermögen wie den Schrei eines Turmfalken oder die Klage des Kauzes – und so oft wie seit Jahren nicht mehr hört er in diesem Frühling auch eine Nachtigall, die ihre rasenden Strophen stets mit einem melancholischen Flöten beginnt.

Er hört die Vögel im Morgengrauen, wenn er wach auf seinem Bett im Billardzimmer liegt oder wach zwischen den schlafenden Hunden auf dem Parkett des großen Salons. Er liegt jetzt oft bei den Hunden und muß jedesmal lächeln, wenn sie ihre Lauscher schlafend im Vogelsang spielen lassen. Dann fliegen ihm die alten, vertrauten Namen der Vögel zu, als flatterten sie aus jenen verlorenen Listen auf, die er in seinen Schuljahren in ein leer gebliebenes Auftragsbuch der Schmiede geschrieben hat, Seidenreiher, Elfenbeinmöwe, Trauerbachstelze, Kornweihe und Singschwan[26]

 

Sein Gegenstück hat dieser nur subjektiv gewährte Blick in jener Welt, in die der Roman am Ende gerät, an den Antipoden Moors, in Brasilien ; keine Utopie freilich – auch hier gibt es Lager, Steinbrüche und Sieger –, schon deshalb nicht, weil die Europäer die ihre mitbringen. Doch ist Brasilien eine reiche Welt, in der sich der Nebelvorhang Moors ein- für allemal gehoben hat. Wieder einem Stifter’schen Landbesitzer nicht unähnlich, hat der Besitzer der « Fazenda Auricana », ein « Senhor Plínio de Nacar »,

 

die europäischen Barbaren besiegt und später die Wildnis selbst: Geschmückt mit den höchsten Kriegsorden Brasiliens, hatte er noch im Jahr seiner Heimkehr ein Erbe angetreten und in der Bucht von Pantano mit einer Armee von Landarbeitern gerodet, Maniok, Kaffee und Bananen gepflanzt und Steinbrüche eröffnet ‒ und hatte schließlich in Volieren und Käfigen, die nun um das Herrenhaus verstreut im Schatten von Aurelien, Fächerpalmen und Bougainvillea standen, alles gefangengesetzt, was er auf erschöpfenden Reisen durch die Dschungelgebiete seiner Heimat in Fallen erjagte : Mähnenwölfe aus Salvador, schwarze Jaguare aus der Serra do Jatapu, Amazonasalligatoren, Faultiere, einen Tapir, Königsurubus und Tukane, mehr als ein Dutzend verschiedener Affen- und Papageienarten, zinnoberrote Korallenschlangen und eine baumlange Anakonda.[27]

 

Doch während in Moor der Rost der Feind der Schmiede und Menschen ist, sind bei Senhor Plínio « über die Jahre » « die rostenden Eisenstäbe und Bambusgitter mancher Käfige und Volieren aber wieder so sehr mit dem nachdrängenden Busch verwachsen, daß ein fremder Besucher der Fazenda nicht mehr zu sagen vermochte, wo der Tiergarten des Patrons endete und wo die Wildnis begann »[28], eine Formulierung, die sich ganz ähnlich bei Goethe (die alte Stammburg in der Novelle) und dann bei Stifter (der Park in der sog. Letzten Mappe) findet. Mit der Renaturierung des Zoos in die Biodiversität des Dschungels – in dieser Passage werden 21 Arten genannt, dazu « sieben verschiedene Arten » Kolibris, « dutzende » von Affen und Papageien. « So unstillbar die Sammelleidenschaft des Patrons auch war », resümiert der Erzähler, womit Patron Plinio de Nacar würdig sein dürfte, den Namen eines Plinius Maior, des Autors der ersten Historia naturalis zu tragen – « nácar », portugiesisch und spanisch für Perlmutt –,

 

die Zahl der Wildtiere, die sein Reich ungehindert durchstreiften, überwog die Zahl der Gefangenen seines Zoos bei weitem: Muyra zeigte Bering, dem sonderbaren Europäer, der sie mit seiner Fähigkeit, Vogelstimmen nachzuahmen, manchmal erheiterte und verblüffte, Gürteltiere in der Dämmerung, Leguane – und auch eine Reihe von Spiritusgläsern, in denen der Patron jene Korallenschlangen konservieren ließ, die von den Stallknechten in der Jungviehkoppel erschlagen wurden.[29]

 

Wenn also anlässlich von Morbus Kitahara von Naturgeschichte die Rede sein können soll, dann ist es nicht die « Naturgeschichte der Zerstörung » von Sebald sensu Benjamin qua Adorno, nicht die Negativität der Vergänglichkeit, in der Natur historisch würde und die das naturhafte Ziel aller Geschichte wäre ; sondern Naturgeschichte bedeutete die irreduzible Positivität der Pluralität von Leben, bei Ransmayr das Gegenbild der menschengemachten Höllen ; ein Maßstabwechsel ins Naturgeschichtliche, aber in eine plenitudo, die Realisierung aller Seinsmöglichkeiten, für die bei Arthur Lovejoy die great chain of being der Naturgeschichte gestanden ist. Es ist bei Ransmayr die Menschenwelt, die sich in den Texten unter « Darwins » Gesetz gestellt hat, unter die Herrschaft der Selektion und der Soziobiologie; daher kann « es manchmal ratsam sein, beim Nachdenken über das Menschenmögliche von einer zumindest sprichwörtlichen Wolfsnatur auszugehen – das Leben der wirklichen Wölfe widerlegt ja alle Sprichwörter eindrucksvoll. »[30]

 

Dagegen setzt Ransmayr mit großer gerade literarischer Genauigkeit die Tradition der natural history, historia naturalis, Naturgeschichte, mit ihren pluralen Erzählformen, dichten Anthropomorphismen, die Welt der Sammlungen und der Reisenden, der Namen, der Listen, der Enumerationen und der Zeitsprünge, die hier mit dem Namen « Plinius » besiegelt ist; und nicht die Evolution der Zivilisation in einen universalen Kältetod, wie das immer wieder behauptet wurde.

 

Auch in der Letzten Welt ist die Darwin-Sphäre mit dem Nationalsozialismus und den Lagern verbunden. Thies, der Deutsche, Ransmayrs Version des Totengottes, ist der « letzte Veteran einer geschlagenen, versprengten Armee, die auf dem Höhepunkt ihrer Wut selbst das Meer in Brand gesetzt hatte »[31]; Thies wird verfolgt von dem Bild einer Fabrikhalle, in der « die Bewohner eines ganzen Straßenzuges zusammengepfercht und mit Giftgas erstickt worden » waren :

 

Das Tor hatte dem Ansturm der Todesangst, der Qual und Verzweiflung standgehalten, einer Welle keuchender, um Atem ringender Menschen, die in den Ritzen und Fugen des Tores vergeblich nach einem Hauch Zugluft gesucht hatten; die Starken waren auf den Leichnamen der Schwachen höher und höher gekrochen, aber gleichgültig und getreu den Gesetzen der Physik waren ihnen die Schwaden des Gases nachgestiegen und hatten schließlich auch die Starken in bloße Treppenstufen für die Stärksten verwandelt, die sich als Krone dieser Menschenwelle in den Tod quälen mußten, besudelt mit Blut und Kot und zerschunden vom Kampf um einen einzigen Augenblick Leben.[32]

 

Die Beklemmung dieser Passage wird nur noch vergrößert durch die Verlegung der Signale der Darwin-Welt in die Sphäre der Opfer. Aber diese Welt ist nicht die letzte Welt des Romans. Schon in Rom rätselt das literarische Publikum über die Gattungszuordnung der entstehenden Metamorphosen :

 

Das Publikum wurde aus dem großen Bogen, an dem entlang Naso seine Fragmente aneinanderreihte, nicht klug; schrieb Naso nun an einem Roman oder war es eine Sammlung kleiner Prosa, eine poetische Geschichte der Natur oder ein Album der Mythen, Verwandlungssagen und Träume?[33]

 

Alles zusammen, könnte man sagen, in der Gattung Naturgeschichte :

 

Verwirrt und vom Likör benommen verließ Cotta schließlich das Haus auf der Klippe, das, als er sich noch einmal umwandte, in einer Möwenwolke verschwand. Hatte Naso jedem seiner Zuhörer ein anderes Fenster in das Reich seiner Vorstellungen geöffnet, jedem nur die Geschichten erzählt, die er hören wollte oder zu hören imstande war? Echo hatte ein Buch der Steine bezeugt, Arachne ein Buch der Vögel. Er frage sich, schrieb Cotta in einem respektvollen Brief an Cyane, der die Via Anastasio niemals erreichen sollte, er frage sich, ob die Metamorphoses nicht von allem Anfang an gedacht waren als eine große, von den Steinen bis zu den Wolken aufsteigende Geschichte der Natur.[34]

 

Und diese letzte Welt wird dann angebrochen sein, wenn sie ihres Erzählers nicht mehr bedarf, am Ende des Romans Die letzte Welt :

 

Und Naso hatte schließlich seine Welt von den Menschen und ihren Ordnungen befreit, indem er jede Geschichte bis an ihr Ende erzählte. Dann war er wohl auch selbst eingetreten in das menschenleere Bild, kollerte als unverwundbarer Kiesel die Halden hinab, strich als Kormoran über die Schaumkronen der Brandung oder hockte als triumphierendes Purpurmoos auf dem letzten, verschwindenden Mauerrest einer Stadt.[35]

 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 

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[1] Der Beitrag geht auf einen Vortrag zurück, der im Juni 2012 an der Universität Salzburg gehalten wurde.

 

[2] Zu Begriff und Geschichte der Naturgeschichte cf. W. Lepenies, Das Ende der Naturgeschichte : Wandel kultureller Selbstverständlichkeiten in den Wissenschaften des 18. und 19. Jahrhunderts, München, Wien, Hanser, 1976 ; M. Foucault, Die Ordnung der Dinge – Eine Archäologie der Humanwissenschaften, Frankfurt/M., Suhrkamp, 1974 ; N. Jardine, J. A. Secord, E. C. Spary (dir.), Cultures of Natural History, Cambridge, UP, 1996 ; A. Albus, Paradies und Paradox. Wunderwerke aus fünf Jahrhunderten, Frankfurt/M., Eichborn, 2003.

 

[3] Cf. U. Eco, Die unendliche Liste, aus dem Ital. v. Barbara Kleiner, München, dtv, 2011, p. 153-216.

 

[4] A. Albus, Von seltenen Vögeln, Frankfurt/M., S. Fischer, 2005, p. 225 sq., p. 237.

 

[5] Ibid., p. 239-273.

 

[6] H. M. Enzensberger, Die Elixiere der Wissenschaft – Seitenblicke in Poesie und Prosa, Frankfurt/M., Suhrkamp, 2004, p. 164.

 

[7] Cf. I. Hacking, « The Abolition of Man », in Behemoth, A Journal on Cilisation, n° 3, 2009, http://ojs.ub.uni-freiburg.de/behemoth/, p. 5-23, ici, p. 14.

 

[8] D. Grünbein, « Darwins Augen », in D. G., Gedicht und Geheimnis. Aufsätze 1990-2006, Frankfurt/M., Suhrkamp, 2007, p. 65-74.

 

[9] Ch. Ransmayr, Geständnisse eines Touristen. Ein Verhör, Frankfurt/M., S. Fischer, ²2004.

 

[10] D. Grünbein, op. cit., p. 57-64.

 

[11] F. Kambartel, Art. « Naturgeschichte », in Joachim Ritter, Karlfried Gründer (Hg.), Historisches Wörterbuch der Philosophie, Bd. 6: Mo-O, Darmstadt, WBG, 1984, p. 526-527.

 

[12] Das Programm der Zeitschrift bei E. Ehlers, « Carl Theodor Ernst von Siebold. Eine biographische Skizze », in Zeitschrift für wissenschaftliche Zoologie, n° 42 (1885), p. i–xxiii. Cf. L. K. Nyhart, « Natural history and the ‘new biology’ », in N. Jardine, J. A. Secord, E. C. Spary (dir.), Cultures of Natural History, Cambridge, UP, 1996, p. 426-43.

 

[13] Cf. R. French, Ancient Natural History, London, New York, Routledge, 1994.

 

[14] A. S. Byatt, Angels & Insects, London, Vintage, 1993, p. 93.

 

[15] H.C. Artmann, « ‘Ein Gedicht und sein Autor’: landschaft 8 », in H.C. A., The Best of H.C. Artmann, hg. v. Klaus Reichert, Frankfurt/M., Suhrkamp, 1975, p. 373.

 

[16] Cf. A. Corkhill, « Angles of Vision in Sebald’s After Nature and Unrecounted », in Amsterdamer Beiträge zur Neueren Germanistik, Vol. 72, n° 1, 2009, p. 347-67.

 

[17] Cf. P. Baumgärtel, Mythos und Utopie. Zum Begriff der Naturgeschichte der Zerstörung im Werk W. G. Sebalds, Frankfurt/M. u.a., Lang, 2010, (EH, Reihe 1, Vol. 2005), 2010.

 

[18] W. G. Sebald, Die Ringe des Saturn. Eine englische Wallfahrt, Frankfurt/M., Eichborn, 1995, p. 67-77, p. 321 sq.

 

[19] Ch. Ransmayr, Geständnisse, p. 103.

 

[20] Ch. Ransmayr, Morbus Kitahara. Roman, Frankfurt/M., S. Fischer, 1995, p. 9 sq.

 

[21] K. Wagner, « Der Hundekönig. Zu einer Figur bei Christoph Ransmayr », Die Rampe, Linz, n° 3, 2009, p. 95-100.

 

[22] Ransmayr, Morbus Kitahara., p. 110.

 

[23] Ibid.

 

[24] Ibid., p. 250.

 

[25] Schon vom Namenssignalement her baut der Roman Verbindungen zu den frühen 1960er Jahren auf, wenn er mit « Am[b]ras » und « Bering » auf die beiden Epilepsie-Texte von Bernhard und Bayer anspielt.

 

[26] Ibid., p. 264.

 

[27] Ibid., p. 415 sq.

 

[28] Ibid., p. 416.

 

[29] Ibid.

 

[30] Ch. Ransmayr, Geständnisse,  p. 128.

 

[31] Ch. Ransmayr, Die letzte Welt. Roman, Nördlingen, Franz Greno, 1988, p. 260.

 

[32] Ibid., p. 261.

 

[33] Ibid., p. 53.

 

[34] Ibid., p. 198.

 

[35] Ibid., p. 287.

 

 




Lexikographische Schreibweisen als Spielformen literarischer Reflexion über Geschichte und Geschichtlichkeit

1. ‘Geschichtetes’ Wissen : íœber Motive literarischer Lexikographik
Unter dem TitelDie deutsche Seeleveröffentlichten Thea Dorn und Richard Wagner im Jahr 2011 ein in 64 Abschnitte untergliedertes Buch über Deutschland[1]. Die Abschnitte stehen wie Lexikonartikel jeweils unter einem Lemma; ihre Anordnung ist alphabetisch. Die spezifischen Beziehungen der Lemmata zum Thema Deutschland sind unterschiedlich evident[2]. Das Buch lässt sich als Sachbuch, aber auch als literarischer Text lesen; die Verwendung des Ausdrucks ‘deutsche Seele’ im Titel deutet zumindest daraufhin, dass hier eine Sprache verwendet wird, welche nicht die nüchterner Abhandlungen ist. Charakterisieren Dorn und Wagner ihr Buch als das Resultat einer ‘Wanderschaft’ durch Deutschland am Leitfaden von BegriffenBegriffen, in denen uns das Deutsche am deutlichsten aufzublitzen scheint», 8), so lädt die alphabetische Artikelreihung den Leser ein, seinerseits weitere Streifzüge zu unternehmenKreuzund Querzüge durchs Buch. In Lexika kann und soll man herumblättern, eigene Routen suchen, eigene Verknüpfungen herstellen[3] ; unterläuft doch die alphabetische Ordnung die Suggestion eines in geordneter Folge und entsprechend hierarchisiert dargebotenen Wissens von vornherein[4]. Es geht den Autoren ihren eigenen Vorbemerkungen zufolge darum, das defizitäre Geschichtsbewusstsein der Deutschen zu stärken, d.h. hier insbesondere, über Deutschland unter dem Aspekt der Geschichtlichkeit jener Vorstellungskomplexe nachzudenken, die man mit diesem Stichwort assoziiertund damit mehr zu tun als konventionelle Lexika[5]. Mit diesem Anspruch verbindet sich die implizite íœberzeugung, dass die anti-chronologische Ordnung des Alphabets keineswegs zu ahistorischem Denken verleitet.
Lexikographisch aufbereitetes Wissen ist (wie Die deutsche Seele exemplarisch illustriert) nicht nur geschichtliches, sondern auch ‘geschichtetes’ Wissen. Es setzt sich zusammen aus Informationen unterschiedlicher Provenienz, auch und gerade hinsichtlich ihres Alters und ihrer Aktualität. Tradiertes und neues, altmodisches und innovatorisches Wissen überlagern und durchdringen einander. Literarische Lexika stellen gerade solche íœberlagerungen, die die Geschichtlichkeit des Wissens selbst sinnfällig machen, oft in besonderer Weise heraus – etwa indem sie (vermeintlich oder tatsächlich) Anachronistisches gleichrangig neben solche Informationen, die als aktuell gelten, stellen. Komische und befremdliche Effekte können dabei zudem auf die Relativität solcher Kategorisierungen aufmerksam machen. An dieser Stelle erscheint zunächst eine Arbeitsdefinition sinnvoll : Obwohl literarische Lexikographik sich nicht trennscharf gegen andere Formen lexikographischer Darstellung abgrenzen lässt – das ist gerade eine der Pointen dieses Formats – soll von ihr dann spezifizierend die Rede sein, wenn das Format alphabetisch gereihter Artikel in einer Weise verwendet wird, die zitathaft und konstruiert wirkt und insofern auf sich selbst aufmerksam macht. Dies kann etwa dadurch geschehen, dass mit der Lexikonform gespielt wird (inhaltlich wie auch auf der Ebene von Layout und Buchgestaltung), oder auch dadurch, dass die Verwendung dieser Form angesichts der gewählten Themen und Gegenstände überrascht (beispielsweise, wenn eine ‘Seele’ alphabetisch analysiert wird), schlieíŸlich auch dadurch, dass die Gegenstände selbst ‘eigenartig’, als Wissensobjekte exzentrisch erscheinen. Die Entdeckung entsprechender Schreibweisen für die Literatur ist zwar nicht neu; vor allem satirische Wörterbücher haben eine lange Tradition. Aber die Intensität der rezenten literarisch-künstlerischen Nutzung von Darstellungsformen wie Wörterbuch, Konversationslexikon, Enzyklopädie, Speziallexikon und philosophischem ‘Dictionnaire’ ist doch auffällig[6].
2. Aufklärung, Enthierarchisierung, Individualisierung : íœber Funktionen literarischer Lexika
Es käme einer unzulässigen Vereinfachung gleich, die vielfältigen Erscheinungsformen lexikographischen Schreibens (über den erwähnten gemeinsamen Grundzug reflexiver Distanzierung gegenüber Inhalten und lexikographischer Form hinausgehend) auf einheitliche Motive zurückführen zu wollen. Nimmt man die Texte als Auseinandersetzung mit spezifischen kulturellen (wissenskulturellen, gesellschaftlichen, kulturhistorischen) Themen und Prozessen ernst, so erschlieíŸt sich ein facettenreiches Feld von Spezialinteressen. Hier können aber immerhin verbindende Tendenzen beobachtet werden.
2.1 Aufklärung
Voltaire versteht im Vorwort seines Dictionnaire philosophique portatif die asemantische Form des Alphabets als Ausdruck der Ablehnung dogmatischer Inhalte, insbesondere theologisch fundierter Ordnungs- und Sinnmuster. An diesen Leitgedanken des Projekts Aufklärung knüpfen, wenn auch unter divergenten Vorzeichen, im 20. Jahrhundert insbesondere diskurskritische Projekte an, die sich der alphabetisch-lexikographischen Form bedienen. Interesse verdient etwa das deutsch-französische Projekt eines Dictionnaire critique, der in Zusammenarbeit von Georges Bataille, Carl Einstein, Marcel Griaule, Michel Leiris und anderen entstand und in einer Folge von Nummern der Zeitschrift « Documents : Doctrines, Archéologie, Beaux-Arts, Ethnographie » in den Jahren 1929 und 1930 erschien[7]. Rainer Maria Kiesow, Herausgeber einer deutschen íœbersetzung des Dictionnaire critique, hat selbst ein diskurskritisches Alphabet des Rechts publiziert, das sich ebenfalls als Beitrag zu einem Gegendiskurs versteht[8]. Die Institution der Enzyklopädie wird hier eher kritisch gesehen – als Vehikel der Steuerung des Einzelnen durch Diskurse, der Akkumulation von Wissen – wobei dieses Wissen zudem in einer zunehmend dynamischeren Welt immer schneller veraltet. – Die ent-hierarchisierende Grundstruktur lexikographischer Texte und ihre Affinität zum Projekt Aufklärung hebt Andreas Urs Sommer in seinem eigenen ‘Dictionnaire’ hervor[9]. Dieser enthält Reflexionen des Autors zu unterschiedlichen Stichworten, die ihn als Philosophen beschäftigen und als autobiographisches Ich interessieren, die mit persönlichen Erfahrungen und Vorlieben, mit wissenschaftlichen und politischen Themen auf eine Weise verknüpft sind, die persönlich, zugleich aber sachbezogen wirkt. Unter dem Lemma « Kompositionsprinzip » heiíŸt es in Die Kunst, selbst zu denken :
Ernst Cassirer bemerkt, daíŸ Pierre Bayle in seinem Dictionnaire historique et critique das seinem Denkstil kongenialste Medium gefunden habe. ‘Denn das Wörterbuch läíŸt, entgegen dem Geist der íœber- und Unterordnung, der die rationalen Systeme beherrscht, den Geist der bloíŸen Neben-Ordnung am reinsten hervortreten.’ Solche Nebenordnung ist markzersetzend. (→ Dictionnaire, philosophischer). (141 sq.)
Sommers ‘philosophischer Dictionnaire’ schlieíŸt explizit an das aufklärerische Konzept des philosophischen Wörterbuchs an. Themen, Gegenstände und Einfälle, die dem Verfasser wichtig sind, werden in Form einer alphabetischen Artikelsequenz vorgestellt. Die Form des Dictionnaire wird als vielstimmig und insofern potenziell dialogisch gewürdigt. Aufklärung, so signalisieren diverse Artikel, beginnt notwendig mit der Aufklärung über sich selbst – mit Selbstkritik[10]. Programmatisch ist insofern die Selbstbezüglichkeit des Dictionnaire, der u.a. Artikel zu den Lemmata « Begriffe », « Dictionnaire », « Unvorhersehbarkeit » und « Versatzstücke » enthält – und zu « Beliebigkeit » :
Beliebigkeit. Das → Kompositionsprinzip des vorliegenden Buches, womit es sich als echt postmodern und also echt zeitgemäíŸ ausweist. Die Beliebigkeit macht diesen → Dictionnaire authentisch (→Authentizität). (42)
2.2 Sprachreflexion und Begriffskritik
Alphabetisches Schreiben basiert auf einer Privilegierung der Wörter, der Vokabeln und Namen gegenüber anderen Anhaltspunkten für die Anlage der Darstellung. Ausschlaggebend für die Positionierung im (relativen) Ganzen eines alphabetisch strukturierten Buchs, ist, wie etwas oder jemand heiíŸt bzw. genannt wird. Dadurch liegt auf der sprachlichen Dimension der Darstellung von vornherein ein (oft allerdings übersehener) Akzent, sei es, dass dieser eher kritisch ausfällt (indem sich das entsprechende alphabetische Kompendium der Wort- und Begriffskritik widmet), sei es auch, dass Wörter und sprachliche Wendungen als Gegenstand poetischer Erkundungen und Befragungen, womöglich sogar als Medien der Evokation aufgelistet und kommentiert werde. – Zwischen Sach- und Fachlexika und Wörterbüchern verläuft keine klare Grenze, weder sachlich noch begrifflich ; ein ‘Dictionnaire’ kann Sachinformationen bieten, ein Sachlexikon informiert vielfach auch über Terminologien, Ausdrucksweisen, Etymologien. Darum bietet die lexikographische Form nicht zuletzt Anlass zur Reflexion über Wörter, zur Suche nach und zur Erkundung von Ausdrucksweisen, zum Spiel mit Namen und Formulierungen – und zur Reflexion über Sprachliches, seinen Gebrauch, seine Wirkungen.
Am Leitfaden alphabetischer Worterklärungen lassen sich insbesondere Erfahrungen des Fremden und Befremdlichen thematisieren. Dies illustriert auf ludistische Weise ein Roman in Wörterbuchform : A Concise Chinese-English Dictionary for Lovers von Xiaolu Guo[11]. Die chinesische Ich-Erzählerin erzählt von einem längeren Aufenthalt in England, ihren Begegnungen mit der englischen Sprache und Kultur sowie über ihre Liebesbeziehung zu einem Engländer, die zuletzt scheitert. In den Mühen des Spracherwerbs spiegelt sich die Widerständigkeit der fremden Kultur. Die einzelnen Artikel des Lexikonromans sind jeweils Stichwörtern zugeordnet, und sie wirken wie Wörterbucheinträge : Kommentiert werden kulturspezifische Stichwörter und ihre Verwendungskontexte, wobei sie insbesondere Anlass zu Bemerkungen über sprachliche und kulturelle Unterschiede zwischen China und dem Westen geben. Dass die Ich-Erzählerin ihre Stichwörter nicht alphabetisch aufreiht, erscheint verständlich. Sie lernt die Wörter, an deren Leitfaden sie ihre Geschichte erzählt, ja nicht in alphabetischer Folge, sondern jeweils situationsabhängig – sie blättert in der Wörter-Welt Englands herum wie es für Wörterbuchbenutzer charakteristisch ist.
Die in Artikel gegliederte, partikularisierende Darstellungsform von Wörterbüchern kann auch dezidiert dazu eingesetzt werden, über eine zerbrechende Welt zu reflektieren – eine Welt, von der womöglich kaum mehr übrig ist als Wörter, die an sie erinnern. Dubravka UgreÅ¡ićs Buch My American Fictionary[12], ein zwar nicht alphabetisch aufgebauter, wohl aber in lemmatisierte Artikel strukturierter Wörterbuchtext, ist der Leitidee verpflichtet, angesichts einer der Zerstörung ausgelieferten kulturellen Welt komme Wörtern mehr denn je die Funktion von Schlüsselwörten zu – nicht zuletzt für die persönliche Erinnerung an Verlorenes und Flüchtiges, dabei Unvergessenes und Unverarbeitetes[13]. UgreÅ¡ić, die ihr Buch angeblich zunächst ‘dictionary’ statt ‘fictionary’ nennen wollte – der Titel ergab sich angeblich durch einen Tippfehler, erschien ihr dann aber gerade als besonders passend –, beobachtet, wie ihr Land von den Landkarten verschwindet und zu einem imaginären Konstrukt wird[14]. In Anspielung auf Alberto Manguels alphabetisches Dictionary of Imaginary Places[15] betont sie die Kompensationsfunktion von Wörterbüchern – die das letztendliche Vergessen aber nur aufhalten, nicht verhindern können.
Ein ganzes Land wurde zur enzyklopädischen Notiz und wie Atlantis in ein Wörterbuch der Imaginären Orte versetzt : Ein Dictionary of Imaginary Places… Jetzt denke ich, daíŸ das häufige Genre der Wörterbücher – das aus der Linguistik in die Belletristik übergesiedelt ist – in dieser postmodernen Zeit nicht nostalgischen Ursprungs ist, wie es auf den ersten Blick scheinen könnte. Die Anwendung dieses Genres ähnelt eher dem Bemühen von Alzheimer-Kranken, sich mit Hilfe von Zettelchen, Aufklebern, Notizen in der sie umgebenden Welt zu orientieren, bevor sie (oder die Welt ?) in völligem Vergessen versinken. Die diversen Wörterbücher sind in dieser postmodernen Zeit nur eine Vorahnung vom Chaos des Vergessens. (14 sq.)
2.3 Entsystematisierung, Dehierarchisierung
Die alphabetische Anordnung des Gesammelten und Aufgelisteten ist ein Modus der Strukturierung, mit dem bewusst auf die Suggestion einer sachlichen Systematik und Hierarchisierung verzichtet wird. Das Alphabet ist egalitär, ‘demokratisch’ : Es bringt Verschiedenartiges in eine Reihenfolge, die allein den Namen folgt ; eine Ordnung der Wörter tritt an die Stelle einer (suggerierten) konsekutiven und kausalen Ordnung der Dinge. Profitieren lässt sich zudem von den Be- und Verfremdungseffekten, die sich ergeben können, wenn sich dabei eigenartige Nachbarschaftsverhältnisse erheben. Für Michel Serres ist das alphabetische Lexikon – in pointierender Gegenüberstellung zum ‘Buch’, das von vorn nach hinten gelesen werden will und die Suggestion sachgegründeter Folgerichtigkeit der Darstellung erzeugt – die Konkretisierung eines anderen Denkens, einer anderen, de-zentrierten, auf Offenes gerichteten Vernunft, eines Denkens im Zeichen der ‘randonnée’[16]. Serres’ Argument zugunsten des alphabetischen Lexikons interpretiert dieses als Inbegriff postmoderner Wissenskultur : Postmodernes Wissen bewegt sich seinem eigenen Selbstverständnis nach über Oberflächen ; es dringt nicht in ‘Tiefen’. Es bewegt sich nicht zielgerichtet, sondern es streift umher. Das alphabetisch organisierte Lexikon ist ein ‘oberflächlicher’ Text, die alphabetische Ordnung ist eine ‘Oberflächen’-Ordnung. Sie hat nichts mit einer wie auch immer vorzustellenden Tiefe der Dinge zu tun. Wer ein alphabetisches Lexikon liest, navigiert zwischen ‘Inseln’, die keine festen Kontinente sind. Ein ‘typisch’ postmodernes Format ist das Lexikon, weil es zur randonée einlädt, dem Unerwarteten Vorschub leistet – und Vergnügen bereitet.
Da der methodische Aufbau der Bücher nach der Logik oder dem ‘logos’ ihres Inhalts sich von den mannigfaltigen Kreuzfahrten und Labyrinthen der Lexika unterscheidet, könnte man sagen, in den Büchern werde Wissen deklariert, während von den Lexika Erkenntnis ausgeht. Definieren wir Wissen als Haben, ebenso objektiv wie das Buch und seine Aussage, und Erkenntnis als Voranschreiten, subjektiv wie der Spaziergang desjenigen, der da voranschreitet, Im Lexikon bewegt sich der Leser frei, während er sich in den Büchern hinter einem Führer abmüht : Ein Lehrer lehrt ein Wissen, dessen Autorität ein Autor garantiert; ein Vorgänger übernimmt die Führung auf einer Reise ; der Erzähler, der das Ende der Geschichte bereits kennt, geleitet uns ins Abenteuer, während der Umherirrende allein mit der Erkenntnis zurechtkommen muss. Ein Vermittler übermittelt eine Botschaft, oder aber Sie lassen sich ganz auf eigene Gefahr auf eine Erfahrung ein. Dann winkt Ihnen ein Vergnügen, das nur die Abwesenheit des Pädagogen zu bieten vermag. (xviii)
2.4 Selbstdarstellung
Im Bereich des autobiographischen Schreibens ist die alphabetisch-lexikographische Form unter anderem deshalb von Interesse, weil sie ein Alternativmodell zur chronologischen Ordnung anbietet. Wenn Autoren über sich selbst am Leitfaden des Alphabets schreiben – wie etwa Carlos Fuentes[17]–, so verbindet sich damit bedingt durch die gewählte Form automatisch ein Moment der Zerlegung : der eigenen Anschauungen in Stichwörter, der eigenen Erfahrungen in Segmente, der eigenen Lebensgeschichte in Portionen. Es gibt keinen Zwang zur kohärenten Geschichte mehr, weil man an ‘ganze’ Geschichten nicht mehr glaubt, nicht an die Ganzheit der eigenen, nicht an die der anderen. Czeslaw MiÅ‚osz schreibt in MeinABC :
Während meiner Arbeit an meinem ‘ABC’ habe ich mir bisweilen gedacht, dass ich eigentlich Leben und Schicksal jeder der erwähnten Personen eingehender hätte untersuchen sollen, anstatt mich mit der Beschreibung von äuíŸeren Begebenheiten zu begnügen. Nur schlaglichtartig werden meine Helden beleuchtet, meist sogar ohne ein besonders bedeutungsvolles Ereignis. Doch damit müssen sie sich zufrieden geben – es ist allemal besser, als ganz in Vergessenheit zu versinken. So ist mein ‘ABC’ etwas wie ein Ersatz : anstelle eines Romans, anstelle eines Essays über das 20. Jahrhundert, anstelle eines Tagebuchs. Jede der erwähnten Personen versetzt einen Teil der Verknüpfungen im Netz der Bezüge und Wechselwirkungen der Daten meines Jahrhunderts in Schwingung. So bedaure ich es letzten Ende nicht, dass ich recht willkürlich Namen eingestreut und dabei wohl auch Banalitäten aufgewertet habe. (25)[18]
Pionier der literarischen Selbstdarstellung in alphabetisch-lexikographischer Form ist im 20. Jahrhundert Alberto Savinio[19]. Aber schon bei Jean Paul findet sich die Idee einer Autobiographie am Leitfaden des Alphabets zumindest formuliert[20]. Eine Sonderrolle in der Geschichte alphabetischen Schreibens über sich selbst spielt Roland Barthes, der verschiedene einschlägige Experimente unternommen hat[21]. Seine in alphabetischen Artikelfolgen dargebotenen Reflexionen zur eigenen Person und zur Literatur, zur Sprache der Liebe und zu anderen Diskursen sind autoreflexive Inszenierungen eines schreibenden Ichs, das sich in der Artikelstruktur seines Textes bespiegelt. Die Ambiguität der alphabetischen Sequenz, die einerseits rigide, anderseits offen für gestalterische Einfälle ist, kommt insbesondere darin zum Ausdruck, dass das Schriftsteller-Ich sie nicht immer streng beachtet.
Ein persönliches Lexikon, das neben einer Lebensgeschichte zugleich die Geschichte einer Kultur aus persönlicher Perspektive darstellt, bietet Juri Rytchëus Alphabet meines Lebens[22]. Die im Original (nicht in der íœbersetzung) alphabetisch gereihten Lemmata gelten zu weiten Teilen dem Volk der Tschuktschen, ihren Gebräuchen und Lebensformen. Ein Lexikon in Geschichtenform, setzt das Buch der verschwindenden Kultur und ihren wenigen Repräsentanten ein Denkmal.
3. Randgänge – oder : literarische Lexikographik als Schreiben an den Rändern des Wissens und seiner geläufigen Gegenstände
Als ‘ex-zentrisch’ charakterisiert Andreas Urs Sommer das « dictionnairistisch-enzyklopädische Bewusstsein » als solches[23]. Exzentrisch in spezifischem Sinn sind vor allem literarische Spielformen der Lexikographik : Das in ihnen reflektierte Wissen über ‘Kultur’, ‘Wissen’ und ‘Sprache’ wird vorzugsweise von Grenzen und Rändern her in den Blick genommen. Oft liegt der inhaltliche Akzent auf Peripherem, Abseitigem, Marginalem, auch auf Verdrängtem, Abqualifiziertem, Missachtetem – und zwar sowohl, was die jeweiligen (realen oder fiktionalen) Gegenstände lexikographischer Beschreibung angeht, als auch mit Bezug auf die Darstellungsform selbst. Man könnte lexikographisch-literarische Texte unter diesem Aspekt als Konkretisationen (Dokumentationen oder Entwürfe) eines ‘anderen Wissens’ betrachten – betreffe die Abweichung nun die Inhalt, die Form oder beides.
3.1 Randgänge : Die Ränder der Enzyklopädie
Den Rändern der Enzyklopädie gilt eine Kollektiv-Publikation desselben Titels von 2005[24]. Die Ränder der Enzyklopädie abzuschreiten, ist ein einerseits ex-zentrisches, andererseits aber eben darum das Zentrum beobachtendes Verhalten. Eine Serie mit alphabetisch geordneten Artikeln zu dezidiert unsystematischen (und in das alphabetische Wörterbuch der Ästhetischen Grundbegriffe nicht aufgenommenen) Gegenstände bzw. Themen spricht im Titeln von den ‘Rändern’ der Enzyklopädie – und beschreibt sich damit selbst[25]. Blättlers und Poraths « Auftakt » (7–9), ein selbstbezüglicher Artikel, der unter A (wie Auftakt) in die alphabetische Artikelsequenz integriert ist, steht unter einem Motto von Michel Serres aus seinem Buch Hermes V. Nord-West-Passagen (Berlin 1994, 81f.) :
Das Flüssige hat andere Ränder als die klar umrissenen, glatten des klassischen Systems. Sie fluktuieren mit der Zeit wie die Umrisse eines fliegenden Bienenschwarms oder generell einer groíŸen Population in der Geschichte bzw. ihrer eigenen Geschichte. (Serres, zit. nach Blättler/Porath, 7)
Die Ausführungen der Mini-Enzyklopädie ‘randständigen’ Wissens sind für die Auseinandersetzung gerade mit literarischer Lexikographik anschlussfähig. Im Zeichen der zitierten Bemerkung über die ‘Ränder’ des Wissens wirken etwa ‘lexikographische’ Zusammenstellungen von ‘Abfällen’, von ‘Ausgemustertem’, von ‘Unnützem’, ‘Abseitigem’, ‘Peripherem’ etc. wie meta-lexikalische, also selbstbezügliche Zusammenstellungen, welche ostentativ die Ränder des als wissenswürdig Betrachteten und Erfassten sichtbar machen bzw. zur Sprache bringen : Das, was auíŸerhalb der Systeme kodifizierter Wissensgegenstände liegt, dabei aber eben den Rand des akzeptierten enzyklopädischen Wissens ausmacht – ein Rand, der diesem Profil gibt. – Analoges gilt auch für ‘abseitige’ Begriffe, ‘Neben-Wissen’, ‘seltsame Ausdrücke’, ‘periphere Diskurse’ – also für die Ränder des Bereichs sprachlich-begrifflicher Repräsentationen von Wissen. Wissen konturiert sich in Relation zum (Noch-)Nicht-Gewussten ; Blättler und Porath sprechen « von jenem Unbekannten, dessen Existenz nicht einmal erahnt wird oder das noch im Wartestand der Zukunft verharrt ». Und sie betonen die ErschlieíŸungsleistung der Künste[26]; diese beobachten Prozesse der Konstitution, Ein- und Ausgrenzung von Wissen, verhalten sich zu diesen Prozessen – in den zitierten Bemerkungen liegt der Akzent auf den erkenntnisfördernden, horizonterweiterten Impulsen, die davon auf das Wissen ausgehen. Zumal in imaginären Enzyklopädien manifestiert sich die Beziehung der Kunst/der Künste zur Wissensgesellschaft – eine Beziehung, die als ‘Randgang’ zu charakterisieren wäre[27].
3.2 Randgänge : Lexikographik des Verschwindenden, der Abfälle, des Abseitigen
In alphabetisch-lexikographischer Form verfasst, enthält eine im Dezember 07/Januar 08 erschienene Ausgabe der Schweizer Zeitschrift « du » Artikel zu verschiedenen Dingen, Institutionen, Gebräuchen, Ideen und Abstrakta etc., die im Begriff sind, aus der Gegenwartskultur zu verschwinden[28]. Das bis dato bestehende Redaktionsteam verabschiedet mit dieser Nummer, da es im Begriff ist, durch ein anderes abgelöst zu werden, also selbst zu verschwinden. Die Bestandsaufnahme verschwindender Dinge würdigt aussterbende Tier- und Pflanzenarten ebenso wie kulturelle Praktiken und Gebräuche, Industrieprodukte, Modeartikel und Alltagsgegenstände. So wird – auf melancholisch-humoristische Weise – die Flüchtigkeit der historischen Lebenswelten sinnfällig gemacht, auch wenn es in manchen Fällen nicht gar so betrüblich erscheint, dass Dinge und Institutionen verschwunden sind[29].
Drastischere Bilder der Zeitlichkeit und Vergänglichkeit bietet ein anderes lexikographisches Projekt von 2004 – M. Vänçi Stirnemann/Fritz Franz Vogel: ¿flickgut! Panne, Blätz, Prothese. Kulturgeschichtliches zur Instandsetzung[30]. Unter dem Stichwort « Flickgut » werden alltagsweltliche Gegenstände, Räumlichkeiten und Praktiken verschiedener Art vorgestellt bzw. ins Gedächtnis gerufen, die mit dem Reparieren kaputter Dinge, der Ausbesserung schadhafter oder der Korrektur misslungener Objekte zu tun haben, mit dem Ausbessern von Defekten an toten und lebendigen Gegenständen, aber auch mit der Kaschierung von Brüchen, Schäden und Rissen. Vor dem Auge des Lesers und Betrachters – der Band ist opulent bebildert – ersteht eine Welt, an der die Zeit in vielfacher Hinsicht ihre Spuren hinterlassen hat und immer noch hinterlässt : beim Kaputtgehen und verrotten ebenso wie beim Geflicktwerden und der Schönheitsreparatur.
Nicht nur Dinge, Institutionen und Gebräuche verschwinden in einer schnelllebigen Welt immer rascher, sondern auch Wörter. Bodo Mrozek hat darum ein Lexikon der bedrohten Wörter zusammengestellt, dessen Titel eine Anspielung auf Listen bedrohter Tierarten darstellt[31]. Zum einen werden damit die Wörter in íœberspitzung der geläufigen Formel von der ‘lebendigen Sprache’ zoomorphisiert, zum anderen werden (leise ironisch) Wissensmuster und -inhalte der Biologie auf die Sprachwissenschaft als eine Kulturwissenschaft übertragen[32].
3.3 Randgänge : Lexikographik abseitigen Wissens
Zu den Abseitigkeiten, die zur lexikographischen Erfassung provozieren, gehören unter anderem auch Wissensdiskurse, die vom ‘offiziellen Wissen’ abweichen, veraltet, obsolet oder in anderer Hinsicht exzentrisch erscheinen[33]. Das lexikographische Kompendium Forse Queneau wirdmet sich dem abseitigen Wissen[34]. Es bildet das Kernstück einer Sequenz von drei Handbüchern, die eigenartigen und absonderlichen Gegenständen des Wissens gelten[35]. – Der Titel erinnert an den französischen Oulipisten Raymond Queneau, der ein Projekt zur panoramatischen Darstellung schrulliger Theorien entwickelt, aber weder zu Ende geführt noch publiziert hatte – eine Enciclopedia delle scienze inesatte[36]. Insgesamt bietet Albanis und della Bellas Enzyklopädie ein breites Panorama unorthodoxer (‘heterodoxer’ oder auch ‘heterokliter’) Theorien und Wissensdiskurse, die in Konflikt mit dem jeweils ‘offiziellen’ Wissen standen bzw. stehen : alternative und okkulte Lehren, als irrig und obsolet geltende Theorien, seltsame Hypothesen. Dabei werden im Lauf der Geschichte tatsächlich vertretene Ideen und Lehren unterscheidungslos neben solchen behandelt, die gleichsam nur in Anführungszeichen existieren (beispielsweise in literarischen Texten oder in Arrangements zu Täuschungszwecken)[37]. Der Effekt solcher Kombination der Lemmata lieíŸe sich in Erinnerung an Jorge Luis Borges als ‘borgesianisch’ charakterisieren. Gezielt und ostentativ verwischt werden die Grenzen zwischen in imaginären Welten vertretenen Lehren, etwa den Theorien exzentrischer literarischer Figuren, imaginären im Sinne von phantastischen, haltlos-spekulativen oder inhaltlich abseitigen Theorien in der realen Geschichte des menschlichen Wissens sowie Theorien über Gegenstände, die zeitweilig akzeptiert wurden, aber dazu tendieren, obsolet zu werden. Eine klare Differenzierung zwischen imaginären Gegenständen des Wissens auf der einen Seite, und eigenwillig interpretierten Gegenständen auf der anderen erscheint ebenso unmöglich wie die Benennung von Kriterien, die ‘akzeptables’ von ‘inakzeptablem’ Wissen scheiden.
Die Fülle des Heterodoxen innerhalb der Geschichte des Wissens spricht für sich. Auch und gerade neben Versuchen der Aufklärung und des Positivismus, zwischen gültigem und ungültigem wissenschaftlichen Wissen zu differenzieren, hat es sich erfolgreich behauptet. Ein eher längerer Artikel in Forse Queneau ist dem « Istituto di Anomalistica e delle Singolarita » gewidmet (217–220). Gegründet 1992 vom Ko-Auto Buonarroti, so erfährt man, widme sich dieses Institut fürs Anormale (Normwidrige) und Singuläre der Erforschung anormaler Begriffe, dem Wissen über Widersprüchliches und Irreguläres (den « scienze della contraddizione e dell’irregolarità »), den ungenauen (« inesatte »), auch ‘wandernd’ oder ‘beweglich’ (« peregrine ») genannten Wissenschaften – also solchen Wissensdiskursen, die sich auch dessen annehmen, was die offizielle Wissenschaft als der Beachtung nicht würdig betrachte. Zerstreuung, Auflösung, Deregulierung, Affinität zum Widersprüchlichen, Paradoxen und Offenheit für Unvorhersehbares : Mit diesen Stichworten wird das Operationsfeld jener anderen Wissensformationen umrissen, die im Institut fürs Anormale und Singuläre ihre Repräsentation finden ; vor allem die Tätigkeit des Instituts selbst ist durch sie charakterisiert (vgl. 217). – Im Zeichen des Interesses an Singularitäten ist die Erforschung des Anormalen und Irregulären dem Gedanken verpflichtet, ein jedes Objekt erfordere und verdiene seine eigene Spezialwissenschaft – eine wissenschaftliche Auseinandersetzung mit dem Unwiederholbaren.
3.4 Randgänge : Lexikographik veralteten Wissens
Reflexionen über die Geschichtlichkeit des Wissens knüpfen sich insbesondere an lexikographische Mitteilungen, die veraltet wirken, aus älteren Lexika zitiert werden oder auf andere Weise die Suggestion des íœberholten, Abgelegten erzeugen. Von der angebrochenen Zeit für « ein Letztes Lexikon » sprechen die Herausgeber eines entsprechend betitelten Kompendiums in ihrem Vorwort über die (angeblich endende) « Epoche der Enzyklopädien » (20)[38]. Was hier genau genommen als anachronistisch reflektiert wird, sind Konversationslexikons im Stil des XIX. Jahrhunderts, Publikationen also, die eine íœbersicht über die Bestände menschlichen Wissens in kondensierter Form boten und dabei viererlei versprachen : « Aktualität, Objektivität, Selektivität und Präzision » (19). Das Letzte Lexikon ist weitgehend Derivat-Text, Montage, Paraphrase ; es basiert auf der Auswertung verschiedener älterer Konversationslexika, insbesondere einer ganzen Reihe von Brockhaus-Ausgaben, die auch ausdrücklich aufgelistet werden (1896–1808, 1812, 1819, 1827, 1833, 1837, 1843, 1851, 1864, 1875, 1882, 1882, 1892, 1928, 1952, 1967, 1996), diverser Auflagen von Meyer-Lexika (1839–155. 1872, 1902, 1908, 1936, 1971), sowie mehrere andere (älterer) Lexika, darunter Zedlers GroíŸes vollständiges Universal-Lexicon aller Wissenschaften und Künste (1732–1754).
Das ‘Letzte Lexikon’ […] ersetzt keinen einzigen Band eines ordentlichen Lexikons, flüstert aber allem Wissen und allen WiíŸbegierigen ein leises Memento mori ins geneigte Ohr. Wir gleiten über einen unermeíŸlich groíŸen Ozean gefrorenen enzyklopädischen Wissens, bohren, mit stets unzulänglichen Mitteln, hier und da neugierig ein paar Löcher, um Trouvaillen, versunkene Schätze, Strandgut und den Bodensatz der Geistesgeschichte ans Tageslicht zu fördern. Als Arrangeure und Collageure bedienten sich die Autoren dabei aller Mittel der Kritik, Ironie und Polemik, um eingefrorene Wissensbestände aufzutauen und für die Gegenwart flüssig zu machen. (Letztes Lexikon, 21)
Die Beschreibung des lexikographischen Unternehmens suggeriert bzw. bekräftigt mehrerlei : Das im Lexikon dargestellte Wissen wird als zitiertes bzw. kompiliertes Wissen von vornherein unter dem Aspekt seiner Geschichtlichkeit (und d.h. auch : seiner Veraltungsfähigkeit) wahrgenommen ; Wissen erscheint als etwas historisch und kulturell Relatives. Alles darstellbare Wissen wird zudem vor dem (zu denkenden) Hintergrund eines íœbermaíŸes an nicht-dargestelltem Wissen entfaltet ; anders gesagt : Alle Wissensdarstellung beruht auf Selektionen, ist Stückwerk, ist Segment aus einer unüberschaubaren ‘Enzyklopädie’ des Gesamtwissens. Die Darbietung von Wissensinhalten im Letzten Lexikon möchte – über Inhaltliches hinaus – besagte Geschichtlichkeit und Kontingenz von Wissenskompendien bewusst machen. Mit den kompilierten Informationen aus allerlei historischen Konversationslexika geht es um die Geschichtlichkeit des Wissens – und um dessen Beitrag zur Geschichte[39].
Die Lücken und Untiefen, Verstiegenheiten und Bocksprünge, Stilblüten und Stilbrüche älterer Lexika registrieren wir dabei mit Staunen und heiterer Gelassenheit, aber ohne Häme, Besserwisserei oder Triumphgeschrei- Das ‘Letzte Lexikon’ entdeckt in den Lücken und Leerstellen seiner Vorgänger weniger Mängel und Kalküle als Sedimente der Geschichte. Es reiht sich in die aufklärerischen Traditionen des Genres ein, glossiert und ironisiert aber auch die Widersprüche und Exzesse jenes Prozesses der Vermehrung und Verfeinerung des Wissens, die ohne Konzessionen an Markt und Macht nicht zu haben waren. (12–13)
Das Letzte Lexikon ist Metalexikon – und Antilexikon zugleich : Metalexikon, weil es durch seinen Gestus der Kompilation zur Reflexion über lexikographische Darstellungen auffordert, Anti-Lexikon, weil es im Gegensatz zu konventionellen Konversationslexika nicht darauf abzielt, aktuelles Wissen bzw. Wissen auf einem aktuellen Stand darzubieten und insofern ‘relevante’ Informationen zu bieten[40]. Im Mittelpunkt stehen Wissen über Verschwindendes und verschwindendes Wissen.
4. Ein kurzer Rückblick
Alphabetische Formen dienen vielfach dazu, das Abseitige und das Gewöhnliche, das Fremde und das Vertraute, das Anormale und das Normale zusammenzubringen oder die Differenz zwischen ihnen zu nivellieren. Gerade Abseitiges, Hybrides, Nicht-Klassifizierbares bildet eine Herausforderung, wenn es um die Suggestion eines íœbersichtswissens ‘von A bis Z’ geht. Vor allem aber abseitiges Wissen stimuliert literarische Lexikographen zu (letztlich autoreferenziellen, weil ihrerseits gewollt abseitigen) Würdigungen. So widmen sich lexikographische Projekte dem Pfeifen im Walde[41]– und andere berichten von einer mittlerweile aus den akademischen Lehrplänen verschwindenden « Hilfswissenschaft der Vogelkunde », 102 :
Eierkunde. Kein Wunder, daíŸ die Universitäten in den letzten Jahrzehnten kontinuierlich an Attraktivität verloren haben, bieten sie doch so interessante Unterdisziplinen wie die Eierkunde nicht mehr an. (Letztes Lexikon, 101 sq.)
Literarisch-ästhetische ‘Lexika’ lenken – ob komisch-parodistisches Spiel oder ernsthafte ‘Bestandsaufnahme’ – mittels verschiedener Strategien den Blick auf Prozesse der Konstitution, Ausdifferenzierung und Konsolidierung von Kultur, auf kulturelle Institutionen und Praktiken, kulturspezifische Produkte und Formen des Umgangs mit diesen[42]. Archiviert und aufbereitet werden, eng verschränkt, Ding- und Wortwelten. Dominant ist vielfach der Aspekt ihrer Zeitlichkeit und Vergänglichkeit; das literarisch-künstlerische ‘Lexikon’ wird aus einer Perspektive des Rückblicks dann oft zum Archiv des Abgelegten, Verbrauchten, UnzeitgemäíŸen – oder zum Manifest einer (und sei es ironischen) Nostalgie. Wörterbücher und Lexika erweisen sich als wichtiges Format zur Darstellung von und Reflexion über die Zeitlichkeit kultureller Produkte, Praktiken und Formationen. Dies betrifft die Zeitlichkeit des jeweils als gültig erachteten Wissens ebenso wie die Zeitlichkeit der Gegenstände dieses Wissens. Es gibt weder ein zeit-loses Wissen noch zeitlose Darstellungsformen des Wissens.
Wissenskompendien, die sich ‘verlorenen’, ‘vergessenen’, ‘marginalisierten’› Gegenständen widmen, widersetzen sich einerseits der Zeit, machen andererseits aber auch auf den Zeitindex aller Wissensvermittlung aufmerksam. Insofern betreiben sie ein ironisch-selbstreferentielles Spiel im Spannungsfeld zwischen Flüchtigkeit und Fixierung. Das Format des Lexikons über Unnützes, vergessene und überflüssige Dinge, Institutionen und Wissensgebiete ist aktuell auffällig populär. Es entspricht offenbar einer zeitgenössischen Form der Auseinandersetzung mit Beständen kulturellen Wissens besonders gut. Das Lemma « storia » wird in « Forse Queneau » (Geschichte ; FQ 389) lakonisch unter Orientierung an R. Queneau (« Una storia modello », 1988) behandelt ; der Definition zufolge trägt diese Disziplin das Wissen über das Unglück der Menschen zusammen. Eine wirkliche Wissenschaft sei die Geschichte nicht, da sie keine Vorhersagen erlaube ; sie stehe insofern auf derselben Stufe wie Alchemie und Astrologie (FQ 389).
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
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[1] Th. Dorn/R. Wagner, Die deutsche Seele, München, Albrecht Knaus Verlag, 2011.
[2] Aus der Liste der Lemmata : « Abendbrot », « Abendstille », « Abgrund », « Arbeitswut », « Nauhaus », « Bergfilm », « Bierdurst», « Bruder Bam », « Buchdruck », « Dauerwelle », « Doktor Faust »…
[3] Querverweise zwischen den Einzelartikeln machen dazu Vorschläge, auch bei Dorn und Wagner.
[4] Vgl. dazu u.a. A. Kilcher, mathesis und poiesis. Die Enzyklopädik der Literatur 1600 bis 2000, München, Wilhelm Fink Verlag, 2003.
[5] « Wir machen uns keine Sorgen, dass Deutschland sich abschafft. Wir sehen nur, dass es […] [s]ein Gedächtnis verliert. » (Dorn/Wagner, 7) – « Was [ist] dieses Land […] jenseits der lexikalischen Auskunft, es sei ein föderalistischer, freiheitlich-demokratischer und sozialer Rechtsstaat in der Mitte Europas […]. » (Dorn/Wagner, 7 sq.)
[6] Vgl. stellvertretend nur die folgenden wenige Beispiele : J. Avignon, Welt und Wissen. Band 1, Berlin, Verbrecher Verlag, 2003. – P. Boman, Dictionnaire de la pluie, Paris, Editions du Seuil, 2007. – N. Edworthy/P. Cramsie, The Optimist’s Handbook. A Companion to Hope/The Pessimist’s Handbook. A Companion to Despair, London, Toronto, Sidney, Free Press, 2008. – U. Holbein, Narratorium. Abenteurer. Blödelbarden. Clowns. Diven. Einsiedler. Fischprediger. Gottessöhne. Huren. Ikonen. Joker. Kratzbürsten. Lustmolche. Menschenfischer. Nobody. Oberbonzen. Psychonauten. Querulanten. Rattenfänger. Scharlatane. Theosophinnen. Urmütter. Verlierer. Wortführer. Yogis. Zuchthäusler. 255 Lebensbilder, Zürich, Ammann Verlag, 2008. – G. Dischner, Wörterbuch des MüíŸiggängers, Bielefeld, Aisthesis, 2009. – L. Gustafsson/A. Blomquist, Alles, was man braucht. Ein Handbuch für das Leben, München, Hanser Verlag, 2010. – F. Hickmann/H. Wagenbreth/G. Barber (dir.): Taschen-Lexikon der Angst, Mainz, Verlag Hermann Schmidt, 2012.
[7] Kritisches Wörterbuch. Beiträge von Georges Bataille, Carl Einstein, Marcel Griaule, Michel Leiris u.a. Hg. u. übers. v. R. Kiesow/H. Schmidgen. Berlin, Merve Verlag, 2005. – Es gebe « antiakademische, revolutionäre, erfinderische, unbegreifliche und poetische Wörterbücher, die das Alphabet eines anderen Wissens buchstabieren » (120), so schreiben die Herausgeber Kiesow und Schmidgen. Genannt werden weitere « Antiwörterbücher », so das Abgekürzte Wörterbuch des Surrealismus von André Breton und Paul Eluard (erschienen 1938), ein rätselhaftes Enzyklopädieprojekt von Isabelle Waldberg, Robert Lebel und Marcel Duchamp (1947) sowie die Nuova Enciclopedia von Alberto Savinio.
[8] R. Kiesow, Das Alphabet des Rechts, Frankf./M., S. Fischer Verlag, 2004.
[9] A. Sommer, Die Kunst, selbst zu denken. Ein philosophischer Dictionnaire, Frankf./M., Eichborn, 2002.
[10] Vgl. auch « Dictionnaire, philosophischer. Ein Versuch, die Welt in Stichworte zu zerlegen. Typisch philosophisch, weil unnütz. Aber schon Mallarmé meint: ‘le monde est fait pour aboutir à un livre (faux).’ (→ Fiktion). Das dictionaristisch-enzyklopädische BewuíŸtsein ist ein sich zur Druckreife verzettelndes – ein ex-zentrisches. So gesehen ein sehr menschliches BewuíŸtsein. Ein philosophischer Dictionnaire ist gewissermaíŸen ein Gefechtsjournal. Ein Gefechtsjournal imaginärer Privatkriege gegen sich selbst. Aber vielleicht doch nicht nur gegen sich selbst. (→ Kompositionsprinzip.) » (Sommer, 56 sq.)
[11] X. Guo, A Concise Chinese-English Dictionary for Lovers, London, Chatto & Windus, 2007.
[12] D. Ugrešić, My American Fictionary, Frankf./M., edition suhrkamp, 1994. Orig.: Američki fikcionar, Zagreb 1993.
[13] Die Texte – in denen sich das Bewusstsein davon ausdrückt, dass der Balkankrieg die heimatliche Welt irreversibel zerbrechen lässt, waren zunächst Beiträge zu einer Kolumne für eine niederländische Zeitschrift, verfasst anlässlich eines USA-Aufenthalts. Reste und Reminiszenzen eines zum Untergang verurteilen kulturellen Wissens finden sich gesammelt – und mit Beobachtungen aus den USA konfrontiert. Auf die Einleitung, « FICTIONARY » folgen die Einträge « REFUGEE », « ID », « ORGANIZER », « MISSING », « MANUAL », « SHRINK », « JOGGING », « HOMELAND », « ADDICT », « INDIANS », « MAILBOX », « COUCH-POTATO », « YUGO-AMERICANA », « SUSPECT », « BODY », « HARASSMENT », « EEW », « PERSONALITY », « CONTACT », « COMFORTER », « TRASH », « REPORT », « COCA-COLA », « CAPUCCINO », « BAGEL », « DREAMERS », « AMNESIA », « LIFE VEST » sowie ein « APPENDIX : LETTER ».
[14] « […] Ende Juni 1992, nach Zagreb zurückgekehrt, hatte ich das Gefühl, daíŸ es keine Wirklichkeit mehr gibt. Die Realität in meinem zerfallenden und verschwindenden Land übertraf die schlimmsten Erwartungen, verwischte die Grenzen zwischen existierenden und nicht existierenden Welten […]. Beim Abtippen der Texte meines amerikanischen Wörterbuchs schrieb ich versehentlich f anstelle von d, aus dictionary wurde fictionary. Der Flüchtigkeitsfehler bestätigte nur meinen inneren Alptraum. Denn wenn es die Wirklichkeit nicht mehr gibt, dann verlieren auch ‘Fiktion’ und ‘Faktion’ ihre ursprüngliche Bedeutung. » (UgreÅ¡ić, 15)
[15] A. Manguel/G. Guadalupi, The Dictionary of Imaginary Places. Toronto, Lester & Orpen Dennys, 1980. Dt.: Von Atlantis bis Utopia, München, 1981.
[16] M. Serres/N. Farouki (dir.), Thesaurus der exakten Wissenschaften, Frankf./M., Zweitausendeins, 2001. Serres : Vorwort, ix–xxxix.
[17] C. Fuentes, En esto creo, Barcelona, Seix Barral, 2001. Dt. : Alphabet meines Lebens, Frankf./M., S. Fischer Verlag, 2006. In Form einzelner essayistischer Artikel, die Personen, Abstrakta und allgemeinen Themen gewidmet sind, reflektiert Fuentes über Dinge, die ihn angehen, teilt seine persönlichen Erfahrungen und Meinungen mit, bezieht Stellung. Eine kohärente Lebensgeschichte erzählt er gerade nicht, aber das ‘ABC’ ist ein Selbstporträt in Artikelform, in das immer wieder auch Lebenserinnerungen einflieíŸen. Fuentes’ Buch (dessen Titel in der deutschen íœbersetzung, nicht aber im Original, das ‘Alphabet’ nennt, das aber im Original alphabetisch aufgebaut ist) verbindet persönliche Erfahrungen mit allgemeinen Bemerkungen über künstlerische, soziale, kulturelle und politische Themen.
[18] C. MiÅ‚osz, « Mein ABC. Auszug der Buchpublikation », Sinn und Form, Berlin, 54. Jg. 2002, H. 1, 5-25, hier : 25. = Auswahl aus : C. MiÅ‚osz, Abecadlo Milosza, Krakau, Wydawnictwo,1997. Und : Inne Abecadlo, Krakau, Wydawnictwo, 1998. – Vgl. auch eine weitere Auswahlausgabe : C. MiÅ‚osz, Mein ABC. Von Adam und Eva bis Zentrum und Peripherie, München, Hanser Verlag, 2002.
[19] A. Savinio, Nuova Enciclopedia, Mailand, Adelphi, 1977. Deutsche Ausgaben : (a) Neue Enzyklopädie, Frankf./M., Insel, 1983. (b) Mein privates Lexikon. Zusammengestellt und mit einem Nachwort versehen von Richard Schroetter. Frankf./M., Die andere Bibliothek, 2005.
[20] Vgl. Jean Paul, Lebenserschreibung. Veröffentlichte und nachgelassene autobiographische Schriften. Hg. v. Helmut Pfotenhauer unter Mitarbeit v. Thomas MeiíŸner. München, Hanser Verlag, 2004, 145 : aus den Vorarbeiten zur Selberlebensbeschreibung, Nr. 25 : « ‘Meine Geschichte alphabetisch in Form eines Conversazionslexikon[s]’ ».
[21] Roland Barthes hat in den 1970er Jahren mehrere Texte verfasst, die sich – wenngleich teilweise verdeckt – an der Form eines alphabetischen Lexikons (oder ‘Wörterbuchs’/ ‘Dictionnaire’) orientieren; vgl. Le plaisir du texte, Paris, Editions du Seuil, 1973. Dt.: R. Barthes, Die Lust am Text, Frankf./M., editions suhrkamp, 2010. – ROLAND BARTHES par roland barthes, Paris, Editions du Seuil, 1975. Dt.: íœber mich selbst, München, Matthes & Seitz, 1978. – Fragments d’un discours amoureux, Paris, Editions du Seuil, 1977. Dt. : Fragmente einer Sprache der Liebe, Frankf./M. editions suhrkamp, 1984.
[22] J. Rytchëus, Alphabet meines Lebens, Zürich, Unionsverlag, 2010.
[23] « Das dictionaristisch-enzyklopädische BewuíŸtsein ist ein sich zur Druckreife verzettelndes – ein ex-zentrisches. » (Sommer, 56 sq.)
[24] Ch. Blättler/E. Porath (dir.), Ränder der Enzyklopädie, Berlin, Merve Verlag, 2012.
[25] Die beiden Verfasser des « Auftakts » rücken anlässlich des Zitats die Wissenskultur von den Rändern her in den Blick. « Das in einer Enzyklopädie eingefangene Wissen weist immer Ränder auf, an denen sich dasjenige bemerkbar macht, was nicht erfasst, aufgenommen und eingegliedert wurde – ganz zu schweigen von jenem Unbekannten, dessen Existenz nicht einmal erahnt wird oder das noch im Wartestand der Zukunft verharrt. Die groíŸen Entwürfe zu einem umfassenden System des Wissbaren scheinen der Vergangenheit anzugehören, doch auch dynamische Modelle wie Netzwerke, die Wissen produzieren und verteilen, ziehen Grenzen, überschreiten und transformieren sie, sortieren und sondern aus. Einen feinen Sinn für diese Operationen zeigen seit jeher die Künste. Ihre poietische Ordnung vermag nicht nur Neues zu erschlieíŸen, sondern immer wieder den Traum vom Wissen voranzutreiben und auszugestalten. So können sie imaginäre Enzyklopädien schaffen, welche die gewohnten Grenzen in Frage stellen, indem sie gerade auch Randzonen ästhetisch gestalten, offen halten, ober auch problematisieren. » (Blättler/Porath, 7) Der Band enthält nach dem « Auftakt » ferner Artikel verschiedener Verfasser zu den Lemmata « Buchstäblichkeit », « Compassio », « Et – Et », « Grammatik », « Jazz », « Lecture », « Liebe », « Neverland », « Patenschaft », « Phantasmagorie », « Sirene », « Vogel », « Zufall » – sowie abschlieíŸend einen Artikel « Imaginäre Enzyklopädien. Beobachtungen am Rande » von Karlheinz (Carlo) Barck (185–222).
[26] « Einen feinen Sinn für diese Operationen zeigen seit jeder die Künste. Ihre poietische Ordnung vermag nicht nur Neues zu erschlieíŸen, sondern immer wieder den Traum vom Wissen voranzutreiben und auszugestalten. » (Blättler/Porath, 7)
[27] « imaginäre Enzyklopädien […] [stellen] die gewohnten Grenzen in Frage […], indem sie gerade auch Randzonen ästhetisch gestalten, offen halten, ober auch problematisieren » (Blättler/Porath, 7).
[28] « Liftboy, der. Ein Alphabet des Verschwindens » = Ausgabe von « du ». Zeitschrift für Kultur 782, Dez. 07/Jan. 08.
[29] Die deutschweizerische Herkunft des Heftes macht sich auch bei der Auswahl der ”¹ verschwindenden › Dinge geltend ; allerdings sind auch typische DDR-Dinge so wie regional eher unspezifische Dinge auf der Liste. Viele der gelisteten Artikel sind typische Produkte der 1960er und 70er Jahre. (Aus der Liste der Lemmata: « der Alpenbock », « der Blick auf die Armbanduhr », « das Attachéköfferchen », « die Aussentoilette », « der Bäcker », « der Baiji », « das Bakelit », « der Ballermann 6 », « der Bilderrahmen », « der Blocher », « die Blumenwiese », « die Botanisiertrommel », « der Brief », « der Brustbeutel », « der Bumperfatscha », « das Butterfass », « die Buttons »…)
[30] M. Vänçi Stirnemann/F. F. Vogel: ¿flickgut! Panne, Blätz, Prothese. Kulturgeschichtliches zur Instandsetzung, Marburg, Jonas Verlag, 2004.
[31] B. Mrozek, Lexikon der bedrohten Wörter, Reinbek, rororo, 2005.
[32] Der Klappentext verdeutlicht bezogen auf die Wandelbarkeit gesprochener Sprachen, was dem Naturkundler bezogen auf Individuen und Arten auf analoge Weise geläufig ist : Die sogenannte ”¹ Lebendigkeit › der Individuen und Arten ist nur die Kehrseite ihrer Vergänglichkeit, ihrer Disposition (aus) zu sterben und anderen Platz zu machen; der Diskurs über lebendigen Wandel ist das euphemistische Pendant von Verfallsdiskursen.
[33] Vgl. z.B. Dr. Jeff Vandermeer/Dr. Mark Roberts (dir.), The Thackeray T. Lambshead Pocket Guide to Eccentric & Discredited Diseases. 83rd Edition. Edited by Dr. Jeff Vandermeer & Dr. Mark Roberts. San Francisco, Portland, Night Shade Books, 2003.
[34] P. Albani/P. della Bella, Forse Queneau: Enciclopedia delle scienze anomale. Bologna, Zanichelli, 1999. = FQ.
[35] Neben Forse Queneau sind dies: P. Albani/B. Buonarroti, Aga magéra difúra. Dizionario delle lingue immaginarie, Bologna, Zanichelli, 1994; P. Albani/P. della Bella, Mirabiblia. Catalogo ragionato di libri introvabili, Bologna, Zanichelli, 2003.
[36] Vgl. R. Queneau, Segni, cifre e lettere e altri saggi, Turin, Einaudi, 1981. Der Titel des Kompendiums heterodoxen Wissens ist ein Wortspiel, das sich aus der italienischen Lesart des Namens ”¹Queneau› (che no) ergibt; die Frage nach dem Gelingen des eigenen Unternehmens beantworten die Autoren mit einem Zitat von Giulia Niccolai (forse che si, forse Queneau).
[37] Zur ersten Gruppe gehören etwa die Gegenstände der Artikel « astrobiologia » (Astrobiologie, FQ 50f.) und « astrologia » (Astrologie; FQ 51f.); in die zweite Gruppe die von Tommaso Landolfi in einer Erzählung von 1939 umrisssene « astronomia sideronebulare » (Sternennebel-Astronomie, FQ 55f.). Wozu man die « atlantidologia » (Wissenschaft von Atlantis, FQ 56) rechnen möchte, hängt davon ab, ob man Atlantis für einen realen oder imaginären Wissensgegenstand hält.
[38] W. Bartens/M. Halter/R. Walther (dir.), Letztes Lexikon. Mit einem Essay zur Epoche der Enzyklopädien, Frankf./M., Eichborn, 2002.
[39] « Die Lexika sind, im Guten wie im Bösen, Teil der deutschen Geschichte, sie machten sich immer wieder zu Verstärkern und Lautsprechern des Zeitgeistes und riskierten nicht allzu oft – am ehesten noch im Vormärz – oppositionelle Töne. Das ”¹ Letzte Lexikon › verfolgt beide Spuren. » (Letztes Lexikon, 12)
[40] Der überwiegende Teil der Artikel nennt seine lexikographischen Quellen explizit, indem er deren Angaben mit eigenen Worten, aber unter Verwendung prägnanter Zitate zusammenfasst bzw. paraphrasiert. Manche Artikel bestehen auch nur aus Zitaten, die älteren Lexikonartikeln entnommen sind. Dort, wo zu erwarten ist, dass der Leser mit den Lemmata selbst schon eigenes Wissen verbindet, überraschen die Artikel oft durch skurrile Informationen.
[41] V. Straebel/M. Osterwold in Verbindung mit N. Collins, V. Maly, E. Moltrecht (dir.), Pfeifen im Walde. Ein unvollständiges Handbuch zur Phänomenologie des Pfeifens, Berlin, Podewil, 1994.
[42] Vgl. auch die folgenden wissens(diskurs)geschichtlichen Publikationen: B. Bühler/S. Rieger, Vom íœbertier: Ein Bestiarium des Wissens, Frankf./M., Suhrkamp, 2006. – B. Bühler/S. Rieger, Das Wuchern der Pflanzen: Ein Florilegium des Wissens, Frankf./M., Surhkamp, 2009.
 

 




Der Wille zum Nichtwissen. Skizze einer Poetik

1. Vom Wissen zum Nichtwissen
Als Friedrich Nietzsche sich 1886 in Jenseits von Gut und Bösekritisch mit den Vorurteilen der Philosophen auseinandersetzt, stellt er eine einfache Frage: « Was in uns will eigentlich zur ‘Wahrheit’? »[1]Dass Nietzsche die philosophische Frage nach der Wahrheit in seinem Text in Anführungszeichen setzt, verrät schon, in welche Richtung seine íœberlegungen gehen. Sie kulminieren in einer radikalen Infragestellung des Wertes der Wahrheit: « Gesetzt wir wollen Wahrheit: warum nicht lieber Unwahrheit? Und Ungewissheit? Selbst Unwissenheit? »[2]Nietzsches Kritik an den Vorurteilen der Philosophen geht mit einer auíŸergewöhnlichen Abwertung der Wahrheit und einer ebenso auíŸergewöhnlichen Aufwertung der Unwahrheit einher. An die Stelle des Willens zur Wahrheit setzt er den Willen zur Unwahrheit und Unwissenheit. Die Frage, die Nietzsche sich in Jenseits von Gut und Bösestellt, ist die, ob es so etwas wie einen positiv gewerteten Begriff des Nichtwissens geben könne. Er rührt damit an eine lange Tradition, die sich mit dem Problem des Nichtwissens und seiner íœberwindung auseinandergesetzt hat. Sie reicht von Sokrates über Erasmus von Rotterdam und Locke bis zu Freud und der Postmoderne. Die Aufgabe einer Poetik des Nichtwissens im Anschluss an Nietzsche besteht vor diesem Hintergrund vor allem darin, die Infragestellung von Wahrheit und Wissen weiterzuführen und auf das Verhältnis von Philosophie und Literatur zu übertragen. Schon Nietzsches Frage nach dem Willen zur Wahrheit orientiert sich nicht allein an Sokrates, sondern ebenso an der griechischen Tragödie, in Jenseits von Gut und Bösevor allem an der Figur des Ödipus, in dem er ein Paradigma verhängnisvoller Wahrheitssuche erblickt. In was für einer Beziehung steht also die Literatur zum Thema Wahrheit und Wissen, und wie lässt sich die schöne Kunst der Lüge und Täuschung, die Nietzsche in der Literatur erkennen wollte, mit der philosophischen Suche nach der Wahrheit in íœbereinstimmung bringen? Das sind die Fragen, denen die Poetik des Nichtwissens an prominenten Stationen der Geschichte nachgeht.
2. Faust und der Zweifel am Wissen
Eine der prominentesten Stationen der Geschichte des Nichtwissens ist der Faustmythos. In ihm überlagern sich die Suche nach der Wahrheit, die Nietzsche der Philosophie unterstellt, und das Eingeständnis eigener Unwissenheit. « Habe nun, ach! Philosophie, / Juristerei und Medizin, / Und leider auch Theologie / Durchaus studiert, mit heiíŸem Bemühn. / Da steh’ ich nun, ich armer Tor, / Und bin so klug als wie zuvor! »[3]Wer kennt ihn nicht, den berühmten StoíŸseufzer des gelehrten Doktoren aller vier Fakultäten, der in tiefer Nacht am Ende seiner Laufbahn zugeben muss, dass er trotz all seiner Anstrengungen keinen nennenswerten Fortschritt des Wissens zu verzeichnen hat. Die Faustische Frage nach dem, was die Welt im Innersten zusammenhält, führt mitten hinein in das Problem des Nichtwissens, in die verzweifelte Einsicht des Gelehrten, « daíŸ wir nichts wissen können! »[4]Formuliert worden ist das Problem nicht erst bei Goethe, sondern schon in der Antike. Die sokratische Einsicht in die eigene Unwissenheit unterstellt die gesamte Geschichte der Philosophie der Frage nach dem Nichtwissen als einer scheinbar unaufhebbaren Grenze des Wissens. Zwischen der Ironie, mit der Sokrates seinen Kampf gegen die Sophisten als ignoranten Experten des Wissens führt, und der Verzweiflung Fausts ist aber einiges passiert. War das Nichtwissen für Sokrates noch eine GröíŸe, die von der Philosophie im Unterschied zur Rhetorik beherrscht zu werden vermag, so zweifelt der gelehrte Faust selbst noch an den Fähigkeiten der Philosophie, geschweige denn denen der Theologie. Wenn der philosophische Umgang mit dem Nichtwissen eine derart tiefe Melancholie zutage fördert, wie es bei dem suizidgefährdeten Professor Faust der Fall ist, dann stellt sich die Frage, ob das Nichtwissen nicht eine fundamentalere GröíŸe sein könnte als Wissen, um das es der Philosophie geht. Das hat schon der englische Philosoph John Locke festgestellt : « Da unser Wissen, wie ich gezeigt habe, ziemlich beschränkt ist, werden wir vielleicht über den jetzigen Zustand unseres Geistes etwas Licht erhalten, wenn wir einmal nach der dunklen Seite blicken undunsere Unwissenheit überschauen. Diese ist nämlich unendlich viel gröíŸer als unser Wissen. »[5] Wie Locke in seinemVersuch über den menschlichen Verstand aus dem Jahre 1690 herausarbeitet, ist der Bereich des Nichtwissens stets gröíŸer als der des Wissens. Locke schaudert es vor dem « Abgrund von Finsternis […], wo wir keine Augen zum Sehen und keine Fähigkeiten zum Wahrnehmen besitzen »[6], den das Reich des Unwissens für ihn verkörpert. Zugleich aber muss er anerkennen, dass es Bereiche gibt, die auch dem gröíŸten Scharfsinn verschlossen bleiben. Wenn das Nichtwissen einen derart dunklen und zugleich zentralen Ort markiert, dann stellt sich nicht nur für die Philosophie die grundsätzliche Frage, wie denn Licht in dieses Dunkel zu bringen ist.
3. Dummheit und Witz
Was also kann eine Poetik des Nichtwissens leisten, was die philosophische Suche nach der Wahrheit nicht vermag? In einem ersten Schritt entfernt sich die Poetik des Nichtwissens von der spröden Entgegensetzung von Wissen und Nichtwissen, um sich konkreten Figurationen wie der Dummheit und dem Witz zuzuwenden, aber auch Begriffen wie der Hoffnung, der Neugierde und der Liebe. In ihnen sucht die Poetik des Nichtwissens eine Dialektik auf, die immer dann dem Blick entgeht, wenn sich die philosophische Begriffsbestimmung an einem Begriff des Wissens orientiert, ohne diesen zu problematisieren.
Dass man sich der Dummheit nicht in einem positiven Sinne verschreiben kann, hat schon Erasmus von Rotterdam gezeigt. Das Lob der Torheit, das er 1508 formuliert, kann gar nicht anders als ironisch sein. Das gilt nicht nur für den gelehrten Holländer, sondern ebenso für den Romanschriftsteller Jean Paul, der in ähnlich ironischer Weise wie sein Vorbild ein ‘Lob der Dummheit’ im Ausgang des 18. Jahrhunderts anstimmte, das zugleich in íœbereinstimmung mit einer Poetik des Witzes steht. Dass Dummheit und Witz etwas mit dem Gegensatz von Wissen und Nichtwissen zu tun haben, ist vielleicht nicht auf den ersten Blick ersichtlich. In Erinnerung zu rufen ist jedoch, dass sich die Bedeutung des Wortes Witz keineswegs auf das heutige Verständnis als Scherzwort beschränkt. Bis ins 18. Jahrhundert hinein meinte Witz vielmehr in ähnlicher Weise wie das französische esprit und das englische wit eine geistige Fähigkeit des Menschen, und so spricht Otto F. Best vom Witz auch als einem « Urwort des intellektuellen Bereichs »[7]. Dementsprechend konnte die Dummheit geradezu als Gegenteil des Witzes begriffen werden, als ein Mangel an geistigen Fähigkeiten. Am deutlichsten wird dies, vermittelt durch den Begriff der Urteilskraft, bei Kant. In der Kritik der reinen Vernunft gelangt dieser zu einer bemerkenswerten Bestimmung der Dummheit : « Der Mangel an Urteilskraft ist eigentlich das, was man Dummheit nennt, und einem solchen Gebrechen ist gar nicht abzuhelfen. »[8] Bemerkenswert ist Kants Definition nicht allein, weil sie dazu beigetragen hat, dass die Dummheit wie das Nichtwissen vor allem als eine negative Erscheinung, als Abwesenheit oder Mangel verstanden worden ist. Bemerkenswert ist sie darüber hinaus, da sie den Witz und nicht etwa die Klugheit als den eigentlichen Gegensatz zur Dummheit begreift. Witz zu haben bedeutet für Kant nämlich, über die Urteilskraft zu verfügen, die dem Dummkopf abgeht, und so lobt er auch den Mutterwitz des Menschen als das eigentliche Gegenmittel zur Dummheit – ein Mittel allerdings, das nur demjenigen helfen kann, der schon über Urteilskraft verfügt. Wie der Dummheit gar nicht abzuhelfen sei, weil sie auf der Abwesenheit von Urteilskraft beruht, so ist der Witz bei Kant eine Naturgabe, die sich auf unterschiedliche Weise im logischen Scharfsinn des Philosophen und der ästhetischen Darstellungsweise des Poeten zeigt. Zwischen den Naturgaben der Dummheit und des Witzes errichtet Kant einen scharfen Gegensatz, der keine Zwischenformen zuzulassen scheint.
Wenn Kants Lob des Witzes auf der Urteilskraft gründet, die sich in ausgezeichneter Weise in Scharfsinn und Witz als den intellektuellen Vermögen des Menschen zeigt, die es ihm erlauben, sich über die Dummheit hinwegzusetzen, dann deutet sich bei Kant eine spezifisch ästhetische Bedeutung des Witzes an, die in der Moderne um eine politische Komponente ergänzt wird. Nicht allein die ästhetische, die politische Urteilskraft steht im 20. Jahrhundert in Frage. So hat Robert Musil in seiner Rede íœber die Dummheit 1937 im gerade angeschlossenen Wien eine Barrikade gegen die politische Herrschaft der Unvernunft zu errichten sucht, die sich zu wesentlichen Teilen auf Witz und Ironie stützt. Der Held seines groíŸen Romans Der Mann ohne Eigenschaften befindet sich, ähnlich wie die Figuren des französischen Romanciers Gustave Flaubert, in einem lebenslangen – und letztlich erfolglosen – Kampf gegen die Dummheit. Dass der Kampf gegen die Dummheit selbst für die Götter vergeblich sein muss, hatte schon Friedrich Schiller in der Jungfrau von Orléans festgehalten. Das Dumme ist nur : Gekämpft werden muss er doch. Wie Kant und Musil zeigen, geht die Poetik des Nichtwissens jedoch keineswegs mit einem Lob der Dummheit einher. Sie ist vielmehr als ein ästhetischer wie politischer Appell an die Vernunft zu verstehen, – aber an eine Vernunft, die um die Grenzen des Wissens weiíŸ.
4. Hoffnung, Neugier und Liebe. Eine kleine Geschichte des Nichtwissens
Nicht allein um den Gegensatz von Dummheit und Witz bemüht sich die Poetik des Nichtwissens. Auch in anderen Begriffen wie der Hoffnung, der Neugier und der Liebe geht sie der inneren Verschränkung von Wissen und Nichtwissen nach. Eine besondere Rolle spielt vor diesem Hintergrund der Zusammenhang zwischen Nichtwissen und Zeit. So ist die Hoffnung offenkundig etwas anderes als eine Form des gesicherten Wissens um die Zukunft. Das hat schon der antike Mythos über die Figur des Prometheus festgehalten. Dieser war mit der Vorausschau in die Zukunft begabt, ein Geschenk, um das ihn selbst sein Verbündeter und späterer Widersacher Zeus beneidete. Um den Menschen das íœberleben zu sichern, so berichtet der Mythos, hat Prometheus ihnen nicht nur das Feuer gebracht. Er hat den Menschen zugleich die Hoffnung gegeben, um ihnen das Wissen um die Zukunft zu nehmen. « Ich habe in ihnen blinde Hoffnungen gegründet »[9], berichtet der stolze Menschenfreud bei Aischylos. Andernfalls, so die íœberlegung des unsterblichen Titanen, würden die sterblichen Wesen verzweifeln und schnurstracks in den Tod rennen. Zwischen Wissen und Nichtwissen erscheint die Hoffnung als etwas Gutes und Schlechtes zugleich – als ein Gut, das dem Menschen zu überleben hilft, und als ein íœbel, das ihn über das Ende seiner Existenz betrügt. Was die Hoffnung aufzeigt, ist ein fundamentaler Bezug zwischen dem Nichtwissen und der Zeit, der sich auch in anderen Begriffen wie der Neugier finden lässt.
Nicht nur die Hoffnung steht in einem ambivalenten Verhältnis zum Thema des Wissens und des Nichtwissens. Ähnlich verhält es sich mit der Neugier. Auch sie ist im Wesen zukunftsbezogen. Sie richtet sich auf die für möglich gehaltene und gewünschte Aufhebung des Nichtwissens in der Zukunft. Für die christliche Tradition war die Neugierde lange Zeit ein problematischer Fall, galt sie doch seit Augustinus als Verfallenheit an die Augenlust und damit als ein sinnliches Begehren, das den Geist beschmutzt. Erst Petrarca vermochte es, die Neugierde zu adeln. Als dieser am 26. April 1336 auf den Mont Ventoux hinaufstieg – ob er den Aufstieg wirklich vollzogen hat, oder es sich hier um eine Fiktion handelt, muss offen bleiben und spielt für das Selbstverständnis des Gelehrten auf der Schwelle vom Mittelalter zur Frühen Neuzeit auch gar keine Rolle –, befriedigte er seine Neugierde, das Land einmal von oben zu sehen, huldigt aber zugleich seinem Gott und dessen brillantestem Verkünder. Auf dem Gipfel des Berges schlägt er die Bekenntnisse des Augustinus auf und stellt so einen Kompromiss zwischen den Ansprüchen der Neugier und ihrem christlichen Verbot her. Seitdem gilt die Neugier als ein Antrieb zum Wissen, der die Neuzeit antreibt und zugleich in immer tiefere Abgründe des Nichtwissens verstrickt.
Seinen tiefsten Abgrund erreicht das Nichtwissen in der Liebe. Liebe kann alles Mögliche sein, ein Gefühl oder ein Code, glücklich oder unglücklich, leidenschaftlich oder platonisch, verboten oder gefordert. Liebe kann aber auch als eine – eben liebenswerte – Form der Verblödung beschrieben werden. Davon zeugt nicht nur der scheinbar unwiderstehliche Drang, dem Liebesobjekt Kosenamen zu geben, die meist an Kuscheltiere aus der Kindheit erinnern. Liebe als Verblödungsprozess und als Regression ins Kindesalter hat William Shakespeare in seiner Komödie Love’s Labour’s Lost (Verlorene Liebesmühn) höchst vergnüglich beschrieben. In ihr schlieíŸen vier Höflinge, an ihrer Spitze der König von Navarra, einen Pakt, der sie dazu verpflichtet, sich allen Formen der Liebe zu versagen, um sich in ihrem unstillbaren Drang nach Wissen allein dem Studium zu überantworten. Es kommt, wie es kommen muss: Vier Hoffräulein, an ihrer Spitze die Tochter des Königs von Frankreich, rücken an und binnen einer Minute ist es um die wissensbegierigen jungen Männer geschehen. Von Gelehrten auf der Suche nach einer von aller Sinnlichkeit freien Form der Wahrheit verwandeln sie sich in Tölpel, die verlegen um die vier Fräulein herumschwänzeln und zu deren Ärger noch schlechte Gedichte verfassen. Angesichts der Dummheit der Liebe vergeht den jungen Männer jeder Witz, was umgekehrt Shakespeare die Gelegenheit gibt, seinen überwältigenden Sprachwitz ausgiebig in der Komödie zu entfalten. Shakespeares Darstellung der Liebe führt so auf den Gegensatz von Dummheit und Witz zurück. Nicht nur scheinen Liebe und Witz sich wechselseitig auszuschlieíŸen. Liebe gründet geradezu auf Unwissenheit – wer alles über den Partner wüsste, der wäre keines Gefühls für ihn mehr fähig. Wenn Dummheit und Witz, Hoffnung und Neugier, ja selbst die Liebe es mit bestimmten Formen der Ignoranz zu tun haben, dann geht es der Poetik des Nichtwissens vor allem darum, die Literatur auf ihren Kampfplätzen gegen die Dummheit zu begleiten, um ihre wichtigste Waffe zu schärfen, den Witz als der ironischen Aufhebung der Dummheit[10].
 

ISSN 1913-536X ÉPISTÉMOCRITIQUE (SubStance Inc.) VOL. XV

 
Bibliographie
Aischylos, Prometheus in Fesseln, herausgegeben und übersetzt von Dieter Bremer, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1988.
O. F. Best, Der Witz als Erkenntniskraft und Formprinzip, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1989.
A. Geisenhanslüke, Dummheit und Witz. Poetologie des Nichtwissens, München, Fink 2011.
A. Geisenhanslüke, H. Rott, Ignoranz. Nichtwissen, Vergessen und Missverstehen in Prozessen kultureller Transformationen, Bielefeld, transcript, 2008.
J. W. Goethe, Hamburger Ausgabe in 14 Bänden, Band 3, Dramatische Dichtungen I, Textkritisch durchgesehen und kommentiert von Erich Trunz, München, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1986.
I. Kant, Werkausgabe in 12 Bänden, hrsg. von Wilhelm Weischedel, Band III, Kritik der reinen Vernunft I, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1974.
J. Locke, Versuch über den menschlichen Verstand. In vier Büchern, Band II, Buch III und IV, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1988.
F. Nietzsche, Kritische Studienausgabe in 15 Bänden, hrsg. von Giorgio Colli/Mazzino Montinari, Band 5, Jenseits von Gut und Böse, München, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1980.
A. Ronell, Stupidity, Urbana and Chicago, University of Illinois Press, 2002.
U. Wirth, Diskursive Dummheit. Abduktion und Komik als Grenzphänomene des Verstehens, Heidelberg, Winter Verlag, 1999.

[1] F. Nietzsche, Kritische Studienausgabe in 15 Bänden, Hrsg. von Giorgio Colli/Mazzino Montinari, Band 5, Jenseits von Gut und Böse, München, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1980, p. 15.
[2] Ibid.
[3] J. W. Goethe, Hamburger Ausgabe in 14 Bänden, Band 3, Dramatische Dichtungen I, Textkritisch durchgesehen und kommentiert von Erich Trunz, München: Deutscher Taschenbuch Verlag, 1986, Vers 354-359.
[4] Ibid., Vers 364.
[5] J. Locke, Versuch über den menschlichen Verstand, In vier Büchern, Band II: Buch III und IV, Hamburg, Felix Meiner Verlag, 1988, p. 205.
[6] Ibid.
[7] O. F. Best, Der Witz als Erkenntniskraft und Formprinzip, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft 1989, p. 5.
[8] I. Kant, Werkausgabe in 12 Bänden, hrsg. von Wilhelm Weischedel, Band III, Kritik der reinen Vernunft I, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag, 1974, B 173.
[9] Aischylos, Prometheus in Fesseln, herausgegeben und übersetzt von Dieter Bremer, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1988, Vers 250.
[10] Zur Poetik des Nichtwissens vgl. U. Wirth, Diskursive Dummheit. Abduktion und Komik als Grenzphänomene des Verstehens, Heidelberg, Winter Verlag, 1999 ; A. Ronell, Stupidity, Urbana and Chicago: University of Illinois Press 2002 ; A. Geisenhanslüke/H. Rott (dir.), Ignoranz. Nichtwissen, Vergessen und Missverstehen in Prozessen kultureller Transformationen, Bielefeld, transcript, 2008; sowie A. Geisenhanslüke, Dummheit und Witz. Poetologie des Nichtwissens, München, Fink 2011.
 

 




Hors dossier
« Aussi j’ai peur qu’on me prenne pour un détraqué » Entre l’archive médicale et texte littéraire, les textes de Lionel et L’enfant Bleu d’Henry Bauchau

Les écrits de fous éclairent de manière exemplaire le fonctionnement de ce qu’on peut appeler les institutions culturelles. Dans la mesure où ils proviennent très souvent d’une première institution, l’hôpital, qui les catégorise d’emblée de manière très stricte, tout le problème est de voir comment les textes peuvent sortir de ce premier cadre en transitant, le plus souvent, par d’autres institutions (les musées, les éditeurs, les universités… ) pour trouver d’autres lecteurs. Après avoir mis au point quelques éléments généraux de réflexion, cette étude se propose d’étudier le cas des écrits de Lionel[1], dont l’histoire a inspiré le roman d’Henry Bauchau L’enfant bleu[2] qui le représente sous le nom d’Orion. Nombre des textes attribué au héros du livre ont été directement inspiré par ceux de Lionel, conservés par l’écrivain du temps où il était son thérapeute. Leur insertion dans le roman va de paire avec une réécriture en profondeur qui inscrit dans le champ littéraire une certaine représentation du discours de la folie.
 
1. Pourquoi travailler sur les écrits de fous ?
Depuis le XIXe siècle et la naissance de la médecine mentale, les écrits de fous font l’objet de patientes retranscriptions de la part des psychiatres, dont le but diagnostique s’enrichit rapidement d’un intérêt esthétique[3]. Les revues et les traités de psychiatrie, les thèses de médecine, foisonnent dès 1870 de textes de patients, parfois donnés en fac-simile. La première moitié du XXe siècle a vu ensuite leur insertion progressive dans des revues littéraires d’avant-garde, principalement surréalistes[4], leur conférant, de manière ambiguë, le statut d’œuvres littéraire à part entière, et invitant à porter un regard nouveau sur la folie perçue dans une dimensions humaniste et créatrice. Les grandes expositions organisées par l’hôpital Sainte-Anne en 1946 et 1950 à Paris, invitant un public néophyte à prendre connaissance de l’art des fous, et l’expansion concomitante de l’art-thérapie, ont accentué cette perception des choses : à partir de la seconde moitié du XXe siècle, il semble désormais acquis que les malades internés peuvent produire des œuvres artistiques.
 
Pourtant ces œuvres peinent à trouver leur place dans le champ artistique traditionnel, comme en témoigne le succès de la notion d’art-brut, et les écrits de fous, collectés et parfois publiés, bénéficient d’un statut à part, cantonnés dans les marges de la littérature. En cela ils posent, de manière têtue, la question de la valeur : leur existence rend toute définition essentialiste de la littérature problématique dans la mesure où il remettent en question la pertinence de la notion de la littérarité, notamment en montrant combien elle est soumise à des variations historiques. En effet c’est de manière particulièrement ambiguë que ces textes, considérés à l’origine par les aliénistes comme du matériel pathologique, ont acquis peu à peu le statut d’œuvres littéraire au XXe siècle.
 
Se pencher sur ces écrits, c’est donc dès le départ s’affranchir d’une définition essentialiste de l’art au profit d’une définition institutionnelle, c’est-à-dire relationnelle. Relativisme inspiré de Genette, selon qui il apparaît que les critères de la relation artistique « ne sont pas de l’ordre de la substance, mais de l’usage, de la circonstance et de la fonction. Non du quoi, mais du quand, du comment, du pour quoi faire »[5] – pour preuve, l’exemple fameux les ready made de Duchamp, des trouvailles de Breton au marché aux puces, ou les collages surréalistes. C’est ainsi encore que dans son poème « Suicide »[6], Aragon confère le statut de poème aux lettres de l’alphabet, par simple titrage, disposition sur cinq vers, et insertion dans un recueil de poésie.
 
C’est l’intention de ces auteurs qui confèrent à ces objets le statut d’œuvre. Selon George Dickie, « une œuvre d’art au sens classificatoire est 1 un artefact 2 auquel une ou plusieurs personnes agissant au nom d’une certaine institution sociale (le monde de l’art) ont conféré le statut de candidat à l’appréciation »[7]. Cette définition, qui semble se fonder sur une conception purement institutionnelle de l’art, inclut cependant la notion d’intention. Car George Dickie précise aussitôt que ceux qui confèrent le statut d’œuvre peuvent aussi bien être l’artiste lui-même, et seul, pourvu qu’il soit lui-même partie intégrante du monde de l’art[8]. Mais les « fous littéraires », les auteurs de textes bruts ou d’écrits produits dans des hôpitaux psychiatriques sont exclus de cette sociabilité et leur éventuel désir de faire œuvre peine à recouper l’appréciation du monde de l’art. Ainsi les écrits dits « bruts » (censés être produit en dehors de tout circuit et de toute intention culturelle) ne sont publiés que pour autant qu’ils constituent une catégorie à part[9]. Les « fous littéraires » présentent, de leur côté, le cas d’auteurs qui désirent au contraire s’inscrire dans un contexte culturel ou scientifique, mais qui ne parviennent pas à l’intégrer, et qui ne trouvent de reconnaissance que par le statut paradoxal et exogène de « fous littéraires », ne pouvant ainsi être lus qu’à rebours de leur intentionnalité première. Les textes de fous enfin, même publiés, ne sont que très rarement pleinement considérés comme littéraires. Ni dedans, ni dehors, ces écrits dessinent et mettent en lumière à leur manière les frontières mouvantes de la littérature, et leur historicité.
 
Il convient tout d’abord de souligner les problèmes théoriques et pratiques qui se posent au chercheur, à commencer par l’usage du terme « fou », préféré à celui de « malade mental », de « psychotique », etc. Il s’agit ici d’éviter tout emprunt au vocabulaire médical, toujours sous-tendu par une préoccupation diagnostique. A contrario, « fou » désigne celui qu’on a, à un moment donné, interné ou hospitalisé, sans préjuger de la réalité ou de l’origine de sa maladie.
 
L’expression « écrit de fou » est elle aussi problématique. Doit-on y inclure les textes produits a posteriori, après la sortie de l’hôpital, c’est-à-dire après « guérison » ? C’est le cas de la plupart des témoignages,  écrits en général après la période d’internement, à un moment où la personne n’est plus considérée comme folle. Ou encore ceux que le patient a écrit avant, et qui ont été rétroactivement intégrés à certaines archives, comme c’est parfois le cas dans les archives asilaires, projetant ainsi un diagnostic implicite sur les antécédents du scripteur ? Pour être rigoureux, on ne devrait  retenir que les textes écrits pendant l’épisode de folie, pendant internement – du moins tout écart à cette règle de principe devrait être justifié.
 
Quels corpus, dès lors, se prêtent-il à l’étude ? Les textes d’archives asilaires, tout d’abord, écrits pendant un internement et conservés dans le dossier du patient. C’est ainsi que l’hôpital Saint Jean de Dieu, au Québec, a ouvert ses archives aux chercheurs pour la période 1850-1950[10]. On peut mentionner encore les textes écrits en ateliers, qu’ils s’intitulent ou non d’art-thérapie, dans le cadre de séances collectives ou individuelles, dont une copie est laissée, avec l’autorisation du patient, dans les archives de l’hôpital. Le CCE, à Sainte-Anne, conserve ainsi dans ses archives un important corpus d’écrits aux caractéristiques spécifiques (thème imposé, durée d’écriture fixe). Viennent enfin les textes publiés, qui appartiennent à deux catégories distinctes : la première comprend les textes d’artistes ou d’écrivains ayant traversé des épisodes de folie plus ou moins longs comme Gérard de Nerval, Antonin Artaud, André Baillon, Unica Zürn, Eleonora Carington, Emma Santos, Nijinski et bien d’autres ; la seconde inclut tous les anonymes, publiés à compte d’auteur ou par des éditeurs traditionnels. Il s’agit le plus souvent, mais pas toujours, de témoignages[11]. Quelques textes se sont ainsi frayé un chemin jusqu’au public non spécialiste, portés par les commentaires de philosophes ou d’écrivains célèbres. C’est le cas, par exemple, des Mémoires d’un névropathe du Président Schreber (commenté entre autres par Freud, Lacan et Deleuze), de  l’Autobiographie d’un schizophrène de Perceval le Fou, réédité et préfacé par Gregory Bateson, du Schizo et les langues de Louis Wolfson, préfacé par Deleuze en 1970[12], de l’anthologie rassemblée par Raymond Queneau et publiée en 2002 sous le titre Aux confins des ténèbres, Les fous littéraires, ou encore des Ecrits bruts  édités en 1985 par Michel Thévoz.
 
Chaque détail du contexte d’écriture et de publication est significatif : quel écart entre la date d’écriture et de publication ? Par quel biais le texte parvient-il à l’éditeur ? Paraît-il sous nom d’auteur ou de manière anonyme ? Intégralement ou sous forme d’extraits ? Dans quelle collection, et accompagné de quels éventuels paratextes ? Bénéficia-t-il d’une réception critique ? Tels sont les éléments qui permettent de mieux dessiner l’évolution de la frontière mouvante qui sépare le document pathologique du texte littéraire. Car enfin, s’agit-il de document clinique, d’autobiographie, d’essai, d’œuvre littéraire ? Dans le cas de ces publications, les genres sont pris en défaut, et l’on doit s’interroger sur ce qui, ici, met à mal les catégories littéraires traditionnelles. Quels critères permettent, on non, de traiter ces écrits comme des œuvres littéraires ? Comment remettent-ils parfois en question la notion même de littérarité ?
 
Les écrits de fous sont des objets intéressants parce que très déterminés par celui qui s’en empare et qui lui donne forme en le faisant entrer dans le cadre de sa réflexion et de sa discipline : ainsi le psychiatre, le psychologue, le psychanalyste le prennent comme un symptôme soumis à l’interprétation, l’historien comme une archive soumise à l’analyse historique, le linguiste travaille en général sur les langages dits pathologiques, le littéraire se pose des question sur la littérarité, et quand il s’agit de textes d’auteurs reconnus (Artaud, Unica Zürn, Leonora Carrington…), on les soumet à l’analyse littéraire.
 
A ces questions théoriques s’ajoutent de sérieuses difficultés pratiques. Ces textes produits dans l’hôpital appartiennent en théorie au patient. En pratique, soit qu’il ne les réclame pas, soit qu’ils soient d’office collectés par le personnel de l’hôpital (par exemple pour les joindre au dossier médical), ils se retrouvent classés dans les archives, et deviennent propriété de l’hôpital. Protégés par le secret médical, ils sont donc en principe non consultables, sauf sous certaines conditions. Les archives hospitalières sont des archives publiques dépendant des archives départementales, dont la communication sans justification est réservée au patient, et avec justification aux ayants droits. Il est possible cependant de consulter librement des dossiers médicaux tombés dans le domaine public. Ces documents sont soumis à un délai de 25 ans à compter de la date du décès ou de 120 ans à compter de la date de naissance. (Code du patrimoine article L 213-1 à 7). Les autres sont non consultables. Enfin, aucun accès n’est autorisé, sauf anonymisation du dossier, pour des recherches d’ordre sociologiques ou historiques, et il faut s’adresser directement aux archives nationales pour toute demande de dérogation.
 
En termes de droit d’auteur, comment les  considérer ? Plusieurs cas sont possibles : soit on les retrouve dans les archives d’un hôpital et ils ont été écrits par un patient né 150 ans auparavant, et mort depuis 70 ans : dans ce cas uniquement, les textes sont librement consultables et libres de droit. Soit on les retrouve dans les archives d’un hôpital, le patient est né 150 au moins auparavant mais est mort depuis moins de 70 ans. Il s’agit alors de trouver les ayants droit. Tout cela suppose que les dates de naissance et de mort figurent dans le  dossier, ce qui est loin d’être toujours le cas. Et les recherches auprès de l’état civil sont complexes et possibles seulement, là aussi, sous certaines conditions. Quand on ne retrouve pas ces texte dans les archives médicales, mais dans un texte déjà publié (thèse de médecine, traité de psychiatrie, article, etc…), le médecin a toujours anonymisé le patient pour obéir à la règle du secret médical. Impossible donc de l’identifier. Entre le droit de l’archive et le droit d’auteur, il y a donc contradiction manifeste, et en pratique, une zone de non-droit largement exploitée par les éditeurs,  collectionneurs et institutions muséales.
 
Qu’est-ce enfin qu’un auteur « fou », quand la folie est pensée, depuis deux siècles, dans les termes juridiques de l’irresponsabilité pénale[13] ? La loi a beau accorder désormais aux malades la propriété de leurs œuvres, ces derniers sont cependant symboliquement souvent destitués de leur statut d’artiste alors même que leurs œuvres ont depuis longtemps été éditées et diffusées.
 
Comprendre comment les écrits de fous intègrent le monde culturel et littéraire permet de mettre en évidence les mutations historiques et sociales d’un imaginaire de la folie, d’une part, et le déplacement de frontière entre littérature et non littérature, d’autre part. Ce faisant, on découvre que ces textes révèlent, de manière particulièrement aiguë, les fonctionnements institutionnels qui décernent de la valeur. Les écrits de fous ne sont pas les seuls à être soumis à ces mécanismes, tous les textes le sont. Mais ils le montrent mieux que d’autres, de manière beaucoup plus visible, beaucoup plus concentrée ; ils agissent comme des révélateurs.
Les problèmes ici posés ne trouveront pas de réponse dans le cadre étroit du cas que nous nous apprêtons à creuser, mais il est néanmoins nécessaire d’en garder les éléments présents à l’esprit : ils forment l’arrière plan sur lequel se détache, par contraste, le dossier que nous allons désormais exposer. On se limitera ici à l’examen des transformations subies par un des textes de Lionel ayant irrigué l’écriture du roman L’enfant bleu d’Henry Bauchau.
 
2. Le cas Lionel/Bauchau
L’enfant bleu est inspiré par la relation très particulière qui a uni entre 1976 et 1988 Henry Bauchau, alors psychanalyste, et Lionel, son patient dans un hôpital de jour pour enfants[14]. Dans le roman la narratrice, Véronique, psychothérapeute, se consacre tout particulièrement au cas d’Orion, un jeune adolescent très perturbé, qu’elle amène progressivement à s’épanouir dans la voie artistique. Le livre est rythmé par les « dictées d’angoisse » dans lesquelles Orion dicte ses peurs et son quotidien à Véronique. La voix d’Orion vient ainsi régulièrement se substituer à celle de Véronique.
 
Ces dictées d’angoisse sont directement inspirées de celles notées par Henry Bauchau lors de son travail avec Lionel, qui ont donc été reprises et réécrites pour les besoins du roman[15]. Dans le cas très particulier, sans équivalent à ce jour, des manuscrits des dictées d’angoisse de Lionel qui servent ensuite d’hypotextes à Henry Bauchau L’Enfant bleu, on voit comment un ensemble de textes transite du pathologique au littéraire au prix de plusieurs modifications. Ce n’est pas la première fois que des textes de fous sont utilisés dans une œuvre littéraire ; Les Enfants du limon de Queneau, publié 1938, est un éclatant précédent. Le contexte d’écriture rend cependant leur utilisation très différente. Queneau recycle, d’une certaine façon, un matériau brut qu’il aurait aimé, à l’origine, publier dans le cadre d’une anthologie et il cite les textes sans les réécrire. Bauchau, lui, s’en sert comme d’un matériau qu’il remanie en profondeur pour les besoins de son œuvre propre.
 
Les « dictées d’angoisse » consultées proviennent d’un don fait par Henry Bauchau au fonds éponyme, attaché à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve. Le dossier comporte plus de 550 pages, feuilles volantes et cahiers, pour la plupart manuscrites, dont 473 ont été dictées par Lionel à Henry Bauchau entre 1977 et 1988. Les textes ont été écrits lors des séances de travail ou de thérapie qui eurent lieu à l’hôpital de jour. Lionel ne souhaitait pas rapporter ses textes chez lui. Il les confia donc à Henry Bauchau, qui choisit de les garder. Il en fit ensuite dont au centre qui porte son nom, à l’Université de Louvain-la-Neuve. La singularité de cette archive résulte en partie de ce parcours atypique, qui fait transiter de dossier de l’archive hospitalière à l’archive littéraire, en passant par l’archive privée, transformant ce faisant la nature de son objet : ainsi les textes de Lionel appartiennent-ils désormais à l’histoire de la littérature, sous forme d’hypotexte du roman L’enfant bleu. C’est Henry Bauchau qui fait ici office d’instance légitimante.
 
Une autre particularité de ce dossier réside dans sa matérialité : il s’agit de textes dictés par Lionel, mais notées de la main de Bauchau. Dictés donc par le malade, et notés par le thérapeute, qui est aussi un écrivain. On peut déjà se dire que dans le flot de paroles de Lionel, Bauchau, si scrupuleux soit-il, a déjà dû opérer quelques coupures, a nécessairement effectué quelques sélections. D’autre part il n’est pas impossible que Lionel ait, consciemment ou inconsciemment, modelé son discours en fonction de son auditeur. Dès l’origine, ce matériau est donc, dans une certaine mesure, un matériau mixte.
 
Lors de la parution du livre, il n’est apparu nulle part que l’histoire d’Orion avait été inspirée par celle de Lionel. Henry Bauchau pensait alors protéger ce dernier des méfaits occasionnés par l’étiquette de malade mental, d’handicapé ou de psychotique. Lionel a cessé d’écrire dès que s’acheva son travail avec Henry Bauchau à l’hôpital de jour, mais il poursuivit, jusqu’à ce jour, son œuvre plastique. Au seuil de la mort et conscient de l’image positive dont bénéficiait désormais le héros de son roman, l’écrivain décida de lever l’anonymat, poussé par le désir d’aider la carrière de son protégé et de faciliter l’accès de son œuvre au grand public. Les « dictées d’angoisse » prirent dès lors une importance nouvelle : elles ne constituaient plus uniquement les hypotextes d’un roman, mais offraient également une documentation extrêmement complète sur le parcours d’un artiste dont l’œuvre avait pris naissance dans l’hôpital.
 
Bon nombre des tableaux de Lionel sont décrits dans L’enfant bleu où ils sont attribués à Orion. Ce jeu entre fiction et réalité est également à l’œuvre dans les écrits mentionnés dans le roman. Dès lors qu’Orion est inspiré par Lionel, qu’en est-il des textes cités dans le roman ? Quel écart entre l’original et la reprise romanesque ? Nous nous intéresserons ici à quelques modifications qu’Henry Bauchau a effectuées sur les textes de Lionel pour les faire figurer dans L’Enfant bleu, en prenant pour exemple celui qui s’intitule « Notre projet ».
 
Le texte « Notre projet »[16], daté du 17 mai 1978, a suffisamment intéressé Bauchau pour qu’il décide, d’une part, de le taper à la machine – ce qu’il ne fait pas pour tous – , et d’autre part, de l’utiliser dans son cours sur les rapports entre art et psychanalyse donné de 1982 à 1984 à l’Université de Paris VII. Il n’est donc pas étonnant qu’il fasse partie du corpus des hypotextes de L’enfant bleu.
 
Le voici, tel que retranscrit par Bauchau sur le document original :
 
Notre projet
Dictée du mercredi 17 mai 1978
 
Nous restons ensemble pour étudier et aussi un peu pour faire le docteur, le docteur psychologue. Ça sert à me rendre plus calme. Souvent je suis calme mais souvent je suis nerveux, quand le démon m’attaque. Je pense que tu travailles pour moi pour que je devienne plus intelligent et plus heureux. J’ai envie d’être plus heureux et toi ?
A Paris on n’est jamais tout seul ou bien on est tout seul du côté pessimiste sans les personnes qu’on voudrait ou alors avec les personnes qu’on voudrait mais avec d’autres gens en plus.
L’année prochaine, je voudrais travailler encore avec toi parce que je te connais et qu’avec toi je n’ai pas de grosses crises. Si je parle d’une jeune fille comme Pascale tu trouves que c’est bien. Tu t’intéresses beaucoup à mes dessins et ça m’encourage à en faire. J’ai le sentiment de faire des progrès, mes parents, je crois bien, pensent cela aussi.
Un professeur comme toi, ça sert à enlever un peu le démon de la tête. Alors peut-être aussi à penser aux belles filles. Pascale était au [nom de l’hôpital] parce qu’elle était un peu nerveuse. Est-ce qu’on a encore des dessins d’elle à l’école ? C’était une fille très intelligente.
Quand je serai grand je veux continuer à vivre avec papa et maman. J’aime peindre, les autres métiers, je ne sais pas quoi, je ne les connais pas. Je ne sais pas ce que tu voudrais que je fasse plus tard, non ! J’aime bien dessiner, je n’ai pas envie que cela s’en aille dans le courant de la vie, ni que cela se transforme en moderne, parce que ça fait du gribouillage. Le gribouillage c’est comme si c’était fait par un homme détraqué. J’ai un tout petit peu peur des hommes détraqués. Aussi j’ai peur qu’on me prenne pour un détraqué. Pour enlever le détraquement il faut faire des choses agréables : planter des arbres, aller dans les bois, planter des arbres dans les rues, faire plus de squares pour les enfants, faire des manèges pour les enfants, aller plus souvent à la piscine. Le bien se multiplie et rend nos caractères plus agréables et la folie s’en va. Nous deux on essaie de faire des choses agréables et de lutter contre la folie. Ça serait plus agréable encore dans le métro s’il y avait maman à côté, ou Superjenny ou Pascale.
Tu es professeur, en vérité, mais parfois tu es un peu comme un docteur, un monsieur qui soigne, qui arrange le détraquement. Moi, je ne suis pas détraqué. Je suis Lionel. Je suis un garçon normal parce que je travaille bien et je ne suis pas un garçon normal parce que le démon m’attaque. Mais le démon n’est pas en moi, il est dans Paris.
 

Voici maintenant l’extrait correspondant dans L’enfant bleu[17] :

 
Notre projet
 
Nous continuons ensemble à étudier comme à l’école et aussi à faire, tous les deux ensemble, le docteur un peu psychothéraprof. Ça sert à me rendre plus calme quand on devient nerveux, si le démon de Paris attaque de loin avec ses rayons ou de tout près avec son odeur, qui force à danser la Saint-Guy. Tu travailles pour qu’on soit plus intelligent et moins malheureux. Moi, on veut être heureux, et toi ? Cette année on veut travailler avec toi parce qu’on te connaît et qu’on a moins peur dans les grosses crises. Si on parle d’une jeune fille, comme Paule, tu trouves que c’est bien pour moi. Tu t’intéresses, même presque beaucoup aux jeunes filles qu’on connaît et à mes dessins. Une prof comme toi, Madame, ça sert à enlever le démon de la tête et à penser aux belles filles. Paule est à l’hôpital de jour parce qu’elle est aussi un peu nerveuse, elle est gentille sauf quand elle est parfois du côté de ceux qui font des mauvais coups.
Quand on sera grand… On aime peindre et siffler des airs d’opéra. Ce n’est pas un métier ça… Les autres métiers, ceux pour gagner des sous, on ne sait pas, on ne sait pas comment faire ? Et si on sent le démon de Paris, qu’on casse les outils et les machines ? Gagner des sous comme on doit faire, ça fait peur. On ne sait pas ce qu’on pourrait faire quand on sera un vraiment grand. Toi, tu le sais ? On aime dessiner seulement ce qu’on a dans la tête. Faire du réel pas réel. On ne veut pas que ça devienne du moderne comme souvent toi tu aimes. Maman dit que c’est du gribouillage. Comme si c’était fait par un détracté. Pour enlever le détractement, il faut faire des choses agréables : aller dans les bois, planter des arbres, faire des squares et des manèges pour les enfants, aller à la piscine, avoir des copains, des cousins de son âge, oser parler aux belles filles. Nous deux on est bien tous les deux dans ton bureau, tu as toujours du chocolat. On a envie de faire des choses agréables : aller en dessin à l’île Paradis n°2. Parce que sur l’île Paradis qu’on ne doit pas dire, on dirait que ça  s’est terminé dans le catastrophié. Nous deux on lutte contre la folie débile, ça serait plus facile si Paule, la belle fille, prenait le même métro ou Supergénie de la télé, l’autobus.
Tu es prof mais parfois tu es aussi un peu docteur, une dame qui soigne le détractement, pas avec des remèdes pour des pas-normaux, qui font peur. Nous deux, on est des normaux parce qu’on travaille ensemble. Moi, on est un peu un pas-normal parce que le démon de Paris, il saute sur mon dos, il me bousille la gueule, il me détractouille mais moins quand nous on est à deux. Voilà, fin du projet.
 
A la lecture, plusieurs remarques s’imposent. Tout d’abord, si les deux textes ont à peu près le même contenu sémantique, ils ne produisent pas tout à fait le même effet. Et à l’analyse, il apparaît bien que Bauchau a largement réécrit le texte de Lionel. Des passages ont été supprimés, des éléments nouveaux ont été ajoutés, et de nombreux passages sont paraphrasés. Globalement, le texte de L’enfant bleu semble plus enfantin, déstructuré et bizarre que le premier. Paradoxalement peut-être, il semble aussi dégager plus de poésie. Il conviendra donc de comprendre le sens et l’effet des modifications apportées.
 
Tout d’abord, Bauchau effectue de nombreuses suppressions. Ainsi le passage : « A Paris on n’est jamais tout seul ou bien on est tout seul du côté pessimiste sans les personnes qu’on voudrait ou alors avec les personnes qu’on voudrait mais avec d’autres gens en plus. » Son élimination peut s’expliquer par le souci d’éviter la digression. Cependant, on peut aussi penser qu’elle est motivée par l’utilisation tout à fait correcte que fait ici Lionel du « on », pronom indéfini qui désigne dans ce contexte une communauté anonyme dans laquelle il s’inclut. Or, le « on » est constamment employé par Orion dans le roman ; cette incapacité à dire « je » est même constitutive de son identité et caractéristique de sa parole ; nous y reviendrons. Les passages « J’ai le sentiment de faire des progrès, mes parents, je crois bien, pensent cela aussi » et « Est-ce qu’on a encore des dessins d’elle à l’école ? C’était une fille très intelligente », ont probablement été ôtés en raison de leur caractère prosaïques, quotidiens. Leur suppression renforce l’importance des autres thèmes du texte, qui au contraire connaissent une amplification.
 
C’est ainsi que le démon de Paris, qui est n’évoqué que brièvement à deux reprises dans le premier texte, voit son action décrite et précisée : il « attaque de loin avec ses rayons ou de tout près avec son odeur, qui force à danser la Saint-Guy », il pousse Orion à « casser les outils et les machines », il lui « saute sur [le] dos, il [lui] bousille la gueule ». Cette hallucination violente et hostile, ainsi développée, montre Orion sous un jour pathétique, pitoyable, au sens profond de digne de pitié. Subtilement, d’autre ajouts viennent renforcer cette image, comme la mention de Paule, « gentille sauf quand elle est parfois du côté de ceux qui font des mauvais coups », qui laisse entrevoir un Orion brimé par ses camarades, connaissant des difficultés à entretenir une amitié avec une fille, comme l’insinue le besoin d’aide qu’il exprime et qui n’est pas dans la dictée originelle : « Une prof comme toi, Madame, ça sert […] à penser aux belles filles. » C’est ce que signifie également ce souhait, ajouté à la liste des choses agréables : « oser parler aux belles filles ». Plus loin, Orion désirerait « aller en dessin à l’île Paradis n°2. Parce que sur l’île Paradis qu’on ne doit pas dire, on dirait que ça  s’est terminé dans le catastrophié ». Le monde imaginaire vient ici se substituer au monde réel, dans un mouvement inexistant dans la dictée de Lionel.
 
La vie ordinaire semble donc refusée à Orion, et son avenir lui apparait incertain : « Gagner des sous comme on doit faire, ça fait peur. » Très subtilement, Bauchau ajoute également une note discordante dans l’évocation de la famille. Dans la dictée d’angoisse de Lionel, la mère apparaît protectrice (« Ça serait plus agréable encore dans le métro s’il y avait maman à côté »). Ce passage est supprimé dans L’enfant bleu, alors qu’il est ajouté, à propos des dessins d’Orion, ou peut-être de l’art moderne qu’aime Véronique, que « Maman dit que c’est du gribouillage ». Apparaît ainsi, en filigrane, une fracture entre les aspirations artistiques d’Orion et l’incompréhension de sa mère, qui était absente du texte d’origine. En revanche, la fonction protectrice de Véronique est renforcée (« Nous deux on est bien tous les deux dans ton bureau, tu as toujours du chocolat »).
 
Orion est rendu plus vulnérable que Lionel, et relativement moins capable, en outre, d’interroger ses propres troubles mentaux. Lionel avouait ainsi : « J’ai un tout petit peu peur des hommes détraqués », cherchait un remède à ses problèmes (« Le bien se multiplie et rend nos caractères plus agréables et la folie s’en va »), et concluait sur une réflexion rassurante (pour lui) : « Mais le démon n’est pas en moi, il est dans Paris. » Il est remarquable que ces trois passages supprimés soient relatifs à sa réflexion sur ses difficultés psychiques, sur ce qu’il refuse d’appeler sa folie. Orion apparaît ainsi, bien plus que Lionel, aveugle à lui-même.
 
On dehors de ces ajouts et suppressions, les réécritures sont également très significatives. Ainsi, Lionel ne fait en général qu’un usage très modéré des néologismes. La dictée « Notre projet » n’en contient d’ailleurs aucun. Quant à la « Superjenny », qui devient « Supergénie » dans L’enfant bleu, il ne s’agit pas même d’un personnage issu de son imagination, mais bien, comme d’autres mentions dans les dictées l’attestent en contexte, du personnage éponyme de la série télévisée Super Jaimie, que Bauchau ne pouvait identifier faute de la connaître. En revanche le texte d’Orion rengorge de néologismes. Le premier est calqué sur le modèle des mots-valise : « psychothéraprof » (psychothérapeute et professeur), d’autres sont des variations sur le mot détraqué (le verbe « détractouiller », qui est lui-même un mot valise qui amalgame « détraquer » et « tripatouiller », ou le « détractement » qui vient remplacer le très correct « détraquement » employé par Lionel). De même, « le catastrophié », substantivation formée sur l’adjectif « catastrophé », est employé par Orion en place du plus conventionnel « catastrophe ».
 
Depuis le XIXe siècle, l’usage de néologismes dans le discours est considéré par les psychiatres comme un des indices fondamentaux permettant de poser le diagnostic de maladie mentale[18]. Multiplier ainsi les néologismes dans le texte d’Orion renforce inévitablement l’impression de folie qui s’en dégage. Cependant, cette multiplication a un autre effet, qui vient contrebalancer le premier, dans la mesure où les néologismes sont, sous l’influence des avant-gardes, devenu des marqueurs de poéticité. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, que Roger Vitrac dans « Le langage à part »[19] remarque « combien l’activité mentale en liberté rejoint avec bonheur ce qu’on est convenu d’appeler des « audaces » » et s’émerveille des mots recueillis dans l’ouvrage du psychiatre Jean Séglas, Des troubles du langage chez les aliénés[20]. La multiplication de ces inventions langagières dans le texte d’Orion lui donne ainsi une connotation poétique, et lui confère une force expressive naïve par laquelle le langage semble s’affranchir des contraintes sociales de la communication standardisée. Le discours d’Orion se caractérise à la fois par l’évidence de la folie dont il porte la trace, et par la liberté créatrice qu’il manifeste.
 
Venons-en, enfin, à la dernière grande différence entre les deux textes : la substitution généralisée du « on » au « je ». Lionel, dans ses dictées d’angoisse, parle couramment de lui à la première personne ; Orion, et c’est même une caractéristique fondamentale qui vient donner sens au récit, n’emploie que le « on », et ne saura enfin dire « je » qu’à la fin du livre, dont il marque ainsi l’aboutissement. Henry Bauchau, interrogé à ce sujet, me répondit que Lionel ne pouvait effectivement pas dire « je », qu’il n’employait que le « on », est se montra fort surpris lorsque je lui dis que les dictées d’angoisses notées de sa main montraient pourtant le contraire. Il avança alors l’idée qu’il aurait lui-même transformé le « on » de Lionel en « je » pendant les dictées, par un automatisme tendant à simplifier son discours. Cependant, les courriers datant de la même époque envoyés par Lionel à Henry Bauchau emploient, là encore, le « je » et non le « on ».  Plusieurs hypothèses ici se dessinent.
 
On peut supposer que Lionel, à l’oral, employait effectivement le « on » de préférence au « je », mais qu’en situation de dictée, dans un contexte mêlant indistinctement thérapie et enseignement, il ait été capable de canaliser ce qu’il percevait lui-même comme une anomalie contrevenant aux règles du discours, et soit donc repassé au « je ». Le « on » des textes d’Orion serait alors une tentative de restitution d’un discours oral, dans son authenticité quelque peu gommée par la situation de dictée.
 
Il est aussi possible que les souvenirs d’Henry Bauchau soient justes, et qu’il ait noté « je » quand Lionel (comme Orion) dictait « on ». Que signifie alors le choix de ce changement de pronom ? On peut y voir la projection de l’espoir d’Henry Bauchau, tendu vers le désir que Lionel dépasse ses blocages et parvienne à une perception moins problématique de lui-même. A la voix de Lionel se mêle alors l’écriture de Bauchau qui modifierait son discours, lui apportant, sur un point essentiel, ce dont il aurait manqué : une conscience claire de soi. Le « on » des textes de L’enfant bleu ne marqueraient alors qu’un retour au texte d’origine, non noté.
 
Les dictées d’angoisse de Lionel ont donc connu, lors de leur passage dans L’enfant bleu, des modifications importantes. Il ne s’agit nullement de collages de textes hétérogènes inclus dans une œuvre, et témoignant du discours d’un patient dans son authenticité – s’ils témoignent de quelque chose, c’est bien davantage de la complexité de la relation unissant Bauchau à Lionel. Réécrites de bout en bout les dictées d’angoisse de L’enfant bleu, avec leur syntaxe déstructurée, leurs néologismes et l’étrangeté que leur confère l’usage généralisé du « on », incarnent assez bien un idéal de « discours du fou », tel qu’il a été décrit par les psychiatres et encensé par les écrivains. La transformation du document original en œuvre littéraire s’est, dans ce cas, faite par le biais d’une refonte totale qui en renforce l’étrangeté plutôt qu’elle ne l’atténue, reconduisant ainsi l’idée d’une parenté entre discours poétique pathologie du langage.
 
 
 
 

[1] Il faut ici préciser que l’expression « texte de fou » n’implique aucun jugement diagnostique, et qu’elle serait par ailleurs fermement contestée par Lionel. Il déclare en effet à plusieurs reprises son désir de ne pas être considéré comme « fou », qu’il entend comme un synonyme de « débile ». Je préfère cependant employer le mot « fou » de préférence à tout autre, dans la mesure ou j’évite ainsi tout jugement d’ordre médical pour ne désigner que les personnes ayant fait l’objet de placement en institution spécialisée, et devant donc faire face à la stigmatisation sociale qu’il entraine – ce qui a été le cas de Lionel.
[2] Henry Bauchau, L’enfant bleu (2004), Actes Sud, coll. Babel, 2008.
[3] Voir Juan Rigoli, Lire le délire. Aliénisme, rhétorique et littérature en France au XIXème siècle, Fayard, 2001.
[4] Anouck Cape, Les frontières du délire, écrivains et fous au temps des avant-gardes, Honoré Champion, 2011.
[5] Gérard Genette (dir.), Esthétique et poétique, Seuil, 1992, p. 8.
[6] Aragon, Le Mouvement perpétuel (1926), Gallimard, 1980, p. 83.
[7] George Dickie, « Définir l’art », Esthétique et poétique, op. cit.,  p. 22.
[8] Pour Schaeffer au contraire, l’appartenance au milieu culturel n’a pas d’importance. Sa définition de l’œuvre d’art comporte quatre conditions, dont seule la première est nécessaire (mais non suffisante). Cette condition (ou « propriété absolue ») est qu’il doit s’agir d’un objet issu d’une causalité intentionnelle. Les trois autres conditions peuvent être plus ou moins présentes, voire absentes : l’appartenance générique (appartenir à un genre admis comme artistique, c’est à dire par exemple, présenter la structure d’un sonnet) ; l’intention esthétique (être produit dans l’intention de faire une œuvre d’art) ; l’attention esthétique (être considéré par un sujet comme une œuvre d’art). Ainsi, le fait d’être produit dans l’intention d’être une œuvre d’art fait d’un objet (issu d’une causalité Intentionnelle) ipso facto une œuvre d’art. Schaeffer, Les célibataires de l’art, p. 111 sq.
[9] Voir thèse de Fanny Rojat, Littérature et écrits bruts, les écrits bruts aux marges de la littérature, sous la direction de Catherine Mayaux, Université de Cergy-Pontoise, en cours.
[10] Voir André Cellard et Marie-Claude Thifault, Une toupie sur la tête, Visages de la folie à Saint-Jean-de-Dieu, Les éditions du boréal, Montréal, 2007 et Michèle Nevert, Textes de l’internement, Manuscrits asilaires de Saint-Jean de Dieu (vol. 1), XYZ éditeur, Montréal, 2009.
[11] Voir Françoise Tilkin, Quand la folie se racontait, plus de 50 titres sur la période 1940-1980.
[12] Voir le Dossier Wolson, ouvrage collectif rassemblant des textes de Pierre Alferi, Piera Aulagnier, Paul Auster, François Cusset, Max Dorra, Michel Foucault, Jean-Marie Le Clézio et de Jean-Bertrand Pontalis, Gallimard, Paris, 2009.
[13] En France : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » (article 64 du Code pénal de 1810). Depuis 1994 : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » (article 122-1)
[14] Pour une étude détaillée de l’œuvre de Lionel et de sa relation avec Henry Bauchau voir Lionel, L’enfant bleu d’Henry Bauchau, co-direction avec Christophe Boulanger, Actes Sud, Arles, 2012, et Rencontres, thérapie et création, co-direction avec Christophe Boulanger et Catherine Denève, Presses du Septentrion, Lille, 2014.

[15] Ceci avait déjà été remarqué par Fanny Rojat dans son article « Par delà l’Art Brut, L’Enfant bleu comme espace en liberté », Revue Henry Bauchau n°2, Henry Bauchau et les arts, 2009,  pp. 88-98.

[16] Fonds Henry Bauchau, A7906-A7907 (tapuscrit), E139-143 (manuscrit).
[17] Henry Bauchau, L’enfant bleu, op. cit., pp.100-101.
[18] Citons par exemple, parmi les premiers, les livres d’Adolf Kussmaul, Les Troubles de la parole (1874), Baillière et fils, 1884, de Jean Séglas, Des troubles du langage chez les aliénés, Rueff, 1892, ou la thèse de Charles Lefèvre, Étude clinique des néologismes en médecine mentale, 1891.
[19] Roger Vitrac, « Le langage à part », Transition n°18, 1929.
[20] Op. Cit.